A plus de vingt ans, a-t-on encore le droit de se comporter comme un adolescent ? C'est pourtant ce que l'on a tendance à constater de plus en plus au sein de nos établissements universitaires : une majorité d'étudiants et d'étudiantes se conduisent en classe et dans les couloirs de l'université comme des pubères et parfois même comme des enfants en crèche ! Les exemples qui illustrent cette conduite immature sont innombrables et inquiètent plus d'un.
Ils arrivent presque toujours en classe avec au moins dix minutes de retard sans autre excuse que celle d'avoir siroté un peu trop lentement leur café à la buvette d'à côté, en compagnie de quelques camarades prolixes et drôles ! Quand ils entrent dans la salle de classe, ils le font en se bousculant et en chahutant ; même ambiance à l'intérieur au début de chaque séance ; c'est à peine s'ils ne se bagarraient pas pour occuper une place... au fond ! Au moment de faire l'appel, les professeurs découvrent souvent (sans surprise désormais) que le tiers de la classe a choisi de faire l'université buissonnière. Ceux qui sont là ne sont pas toujours les plus attentifs au cours. Il y en a certes qui animent intelligemment la séance ; ce sont ces rares rescapés du déluge de la médiocrité qui, en fait, font que les enseignants aiment et exercent encore leur métier. Les autres donnent en permanence l'air d'être dans les nuages ou de ne rien comprendre à ce qui se passe autour d'eux. Etourdis, ils le sont souvent chez eux aussi et dans la rue ! Ils cessent de l'être en revanche dès que pour une raison quelconque, le professeur se distrait du cours : immédiatement et comme par miracle, ils retrouvent une vivacité inhabituelle et commencent à remuer dans tous les sens pour plaisanter avec un voisin ou déranger une voisine. Ces étudiants n'ont presque jamais toutes leurs affaires ; il leur arrive assez fréquemment d'oublier ou d'égarer leurs stylos et leurs feuilles (volantes) de notes. Cela ne les préoccupe généralement pas outre mesure puisqu'ils savent d'avance qu'il y aura toujours un camarade généreux et compréhensif qui leur « prêtera sa plume », ses feuilles vierges, un livre ou un document polycopié et aussi des cigarettes et un briquet ! Ils sont aussi du genre à ne jamais éteindre leurs portables en classe ni au moins de ceux qui en affaiblissent la sonnerie. En matière d'alarme, ils vous en font entendre de tous les tubes en vogue et de toutes les nouveautés destinées à impressionner les autres jeunes ! C'est ainsi que la voix de Nancy Ajram interrompt à maintes reprises le cours sur Kant ou sur Descartes ; tandis que celle de Thameur Hosny fera oublier au professeur de français ce qu'il disait sur Hugo, Flaubert et Apollinaire.
Le phénomène Correcteur Dans les couloirs, ils oublient totalement parfois qu'ils ne sont pas au stade ou dans le café du quartier ! C'est ce qui explique pourquoi ils vont et viennent des heures durant devant les salles en provoquant toujours un boucan d'autant plus insupportable qu'il est prolongé par son écho que font résonner les couloirs trop hauts de l'établissement. Pour pouvoir monter les escaliers ou les descendre, vous devez en règle générale attendre que les étudiants qui les « squattent » veuillent bien vous laisser un semblant de passage sans bougonner quelques formules inaudibles de mécontentement ! Les examens ou les devoirs surveillés offrent à ce genre d'étudiants mille nouvelles occasions pour s'illustrer : comme à l'accoutumée bien sûr, ils oublient encore le stylo, le crayon et l'incontournable effaceur ! C'est un vrai phénomène que ce correcteur sans lequel les études et les examens de nos élèves et étudiants ne sauraient se dérouler normalement ! Presque personne parmi eux ne peut s'en passer ; la plupart des copies qui sont remises aux professeurs en portent la trace... ineffaçable à plusieurs endroits. Quelquefois, c'est une page entière qui est passée au correcteur. Mais comme il n'y en a dans la salle qu'un nombre très réduit, un seul effaceur peut circuler et plus d'une fois entre trente mains différentes. Ce qui bien évidemment perturbe la séance et fausse un peu les données d'une épreuve qui devait en principe se dérouler dans un silence de monastère. Si pour son malheur, un professeur surveillant offrait ses services pour faire passer l'effaceur d'un candidat à l'autre, cela se fera à ses risques et périls, notamment quand la surveillance a lieu dans un amphithéâtre de 300 places au moins ! Mais s'il ne s'agissait que du correcteur, la tolérance des enseignants et leur patience auraient permis de surmonter toutes les difficultés ; en effet, les étudiants lèvent trois mille fois le doigt pendant un examen pour demander l'heure, ou une énième feuille de brouillon, ou d'aller aux toilettes ou encore de sortir fumer une cigarette. De telle sorte que souvent ces candidats perdent jusqu'à une heure de leur temps à faire des caprices de toutes sortes et à déranger leurs professeurs lesquels se transforment parfois en monitrices de jardins d'enfants et en nurses de garderie tant la conduite des étudiants est turbulente et imprévisible ! Inutile de vous parler des tentatives de fraudes et des fausses copies : ceux qui croyaient jusqu'à ce jour que l'étudiant à l'université était au-dessus de tout soupçon en la matière doivent malheureusement se détromper. Les tricheries sont aussi monnaie courante au Supérieur, et pas seulement au premier cycle des études. Les étudiants inscrits en mastère revendiquent désormais le copiage et le plagiat comme des droits acquis et malheur à celui qui veut les convaincre du contraire : c'est un professeur dépourvu de sentiments, c'est un vendu de l'administration qui contribue à la chute des taux de réussite, c'est un psychopathe qui se venge sur ses étudiants etc. ! Badreddine BEN HENDA
Légende : Une majorité d'étudiants et d'étudiantes se conduisent en classe et dans les couloirs de l'université comme des pubères et parfois même comme des enfants en crèche !
*** Entretien avec M. Nejib Boutaleb (sociologue et directeur de l'Institut supérieur des sciences humaines de Tunis) « Un manque de concentration flagrant et généralisé chez la nouvelle génération d'étudiants »
*« Nous constatons avec amertume que presque toutes les structures traditionnelles qui, autrefois, encadraient les jeunes en dehors de l'école et de la famille n'ont plus le même rayonnement et sont franchement désertées ».
Pour mieux comprendre ce qui arrive à une bonne partie de nos étudiants, nous avons interrogé M. Néjib Boutaleb sur l'explication que l'on peut trouver à certains comportements incompatibles avec l'âge de ces derniers. C'est en sociologue et surtout en pédagogue que notre interlocuteur a bien voulu nous livrer ses impressions sur cette déplorable réalité et sur les moyens d'y remédier efficacement et sans « dégâts ».
Le Temps : Comment expliquez-vous certains comportements incompatibles avec l'âge de nos étudiants ?
M. Néjib Boutaleb : « Le phénomène que vous avez constaté et dont nous sommes tous conscients s'explique d'abord par un manque de concentration flagrant et généralisé chez la nouvelle génération d'étudiants. Leur attention et même tout leur esprit pâtissent d'une étrange « dispersion » due sans doute au vide qui caractérise leur vie de tous les jours, chez eux parmi les leurs, dans la rue avec leurs amis et dans nos établissements entre leurs camarades. D'autre part, nous constatons avec amertume que presque toutes les structures traditionnelles qui, autrefois, encadraient les jeunes en dehors de l'école et de la famille n'ont plus le même rayonnement et sont franchement désertées par une partie considérable de la jeunesse. Je vise en particulier les clubs et les associations à vocation distractive et éducative également. La désaffection des bibliothèques par les jeunes lecteurs est une autre « catastrophe » dont on doit s'alarmer. Sur un autre plan, on doit reconnaître que les nouvelles générations sont en mal de repères et de vrais modèles auxquels ils peuvent s'identifier et dont ils peuvent s'inspirer pour forger leur personnalité et construire leur propre vision du monde. Leurs aînés (grands-pères, pères, mères et frères plus âgés) ne jouent plus ce rôle comme c'était le cas autrefois. Les enseignants ne sont pas non plus des références fiables aux yeux de leurs élèves et étudiants qui ont plutôt tendance à faire tout le contraire de ce que les professeurs attendent d'eux. Un certain laxisme dangereux de la part de tous les partenaires de l'éducation des jeunes a donné également lieu chez ces derniers à une tendance à la paresse et à l'adoption en toute chose des solutions de facilité. En famille ou en dehors du cercle familial, on fait preuve à leur égard de trop de tolérance et d'indulgence, à mon avis ! »
Que faire alors avant que la situation n'empire, si ce n'est déjà fait ? « Personnellement, je suis pour une pédagogie du juste milieu en vue de responsabiliser nos jeunes et nos étudiants en particulier, puisque nous comptons sur eux pour prendre la relève des générations qui les ont devancés. Donc, je recommande d'être ferme sans tyranniser et souple sans être mou. Il importe aussi d'encourager l'adhésion du jeune à des associations civiles dirigées par des éducateurs compétents et ouverts. C'est au sein de telles structures que les jeunes peuvent occuper intelligemment leur temps libre et apprendre le sérieux et le sens des responsabilités ! »