La pratique ne date pas d'hier : pour surveiller leurs clients et prévenir les vols et les hold-up, les responsables des magasins de grande distribution engagent plusieurs agents au gabarit souvent dissuasif et les placent aux endroits les mieux indiqués pour un contrôle efficace des lieux. Il arrive rarement que ces vigiles vous accueillent ou vous laissent sortir sans vous dévisager ou même vous fouiller à la recherche de signes suspects qui dénoncent en vous l'auteur d'un quelconque larcin. Cela se passe la plupart du temps sans accrocs, les clients tunisiens étant d'une manière générale diligents et compréhensifs ; quelques uns se sentent néanmoins offensés, presque déshonorés lorsqu'ils subissent la vérification à la sortie du magasin ; ils crient à l'outrage, menacent d'en référer aux plus hautes autorités et finissent par ouvrir leurs sacs tout en grommelant des formules d'indignation et en maudissant le jour où ils ont décidé de faire leurs courses dans le coin. Il faut reconnaître que l'opération est vraiment intimidante et pas facile à vivre au milieu de la foule en particulier. De plus, certains agents zélés en rajoutent et suspectent sans distinction ni courtoisie tous les visiteurs du magasin à tel point qu'ils vous donnent quelquefois l'envie de ne plus remettre les pieds dans leur établissement ! Car vous y êtes en toute circonstance présumés coupables jusqu'à preuve du contraire ! Mais pour nuancer un peu le jugement, nous devons à la vérité de dire que ces « contrôleurs » en uniformes et parfois même tirés à quatre épingles, ne sont pas dans leur tort en agissant de la sorte. Ce que nous révéla, enregistrements filmés à l'appui, le directeur d'un grand magasin situé au cœur de Tunis ne peut que légitimer l'extrême vigilance dont ils font preuve en accomplissant leur tâche. C'est tout simplement ahurissant !
Voleuses en herbe La direction de ce magasin a installé aux quatre coins du local 64 caméras pour surveiller les mouvements des clients. Seulement, le suivi des enregistrements n'est pas suffisamment assuré en raison, nous dit-on, du manque de personnel et de la difficulté de sévir instantanément contre les visiteurs en faute. Il n'empêche que plusieurs larcins ont été découverts à temps et leurs auteurs furent immédiatement livrés au commissariat le plus proche. Les enregistrements que le directeur du magasin nous a permis de visionner montrent plutôt les voleurs qui ont échappé au contrôle et qui sont rentrés avec leur « butin » sans éveiller les soupçons de qui que ce soit ! Sur les premières images, on voit deux collégiennes d'à peine 1 mètre 20 chacune qui passent d'un rayon à l'autre sans donner la moindre raison à qui que ce soit pour les soupçonner de préparer un quelconque coup. Arrivées devant l'étalage des chocolats, les deux fillettes commencent toutefois à jeter autour d'elles des regards furtifs en continuant de faire les clientes sérieuses. Mais à un certain moment, l'une des complices tendit la main du côté des petites tablettes et en prit au moins une dizaine dont elle remplit son sac à main. Voyant que son geste passa inaperçu, elle récidiva et s'empara de quelques autres produits de la vitrine et les dissimula dans le même petit sac. Non satisfaites de ce butin, elles se dirigèrent vers le rayon des salamis pour l'alléger d'un boyau entier que l'une des deux compères glissa dans son soutien-gorge ! A la sortie, personne n'osa fouiller le sac à main ni les dessous de la voleuse de salami !
Les goûts multiples des kleptomanes Dans un autre enregistrement, on voit un monsieur à l'allure très correcte faire le va-et-vient devant les parfums et les déodorants du magasin en donnant l'impression d'être un virtuel acheteur. Puis, profitant des quelques secondes où il se trouvait seul devant les vitrines, il subtilisa un flacon de déodorant et en un clin d'œil le camoufla dans son pantalon à l'endroit intime que vous pouvez deviner. Ce « client » passa lui aussi entre les mailles des filets et put sans doute chez lui se parfumer les aisselles après les parties génitales ! Le quatrième voleur s'est apparemment spécialisé dans le vol des boîtes de thon en conserve. Pour faire diversion, il arpente les rayons avec un panier du magasin dans les mains, panier qu'il garnit de produits divers et bien évidemment de sa marchandise favorite. Une fois sa comédie jouée, il s'isole dans un coin pour cacher les boîtes de thon sous ses vêtements, quant au panier qui ne lui sert plus à rien, il l'abandonne quelque part dans la boutique. Les goûts étant toujours différents d'un « client » à l'autre, on nous a fait admirer les talents d'un voleur de produits cosmétiques, ceux du fou de nescafé en sachets et ceux de l'amateur de barquettes de viande hachée. Presque tous les voleurs sont des récidivistes qui souvent bénéficient de l'indulgence des policiers et des juges, ou bien qui se sont assuré au préalable les bonnes grâces d'un parent bien placé. Contre ces kleptomanes incurables, les directions des différentes enseignes de la grande distribution se sont liguées pour créer un réseau d'information sur les individus à surveiller de près. Les données circulent non seulement entre les succursales installées dans une même ville mais aussi entre les points de vente disséminés un peu partout sur le territoire national. Cette stratégie a permis, selon le directeur contacté, de « ficher » un certain nombre de suspects « que nous avons fini par priver de champ et de moyens d'action. », ajouta-t-il. Il nous montra à ce propos la photo de l'un de ces voleurs « itinérants », prise exactement selon les mêmes procédés que dans les services d'anthropométrie de la police.
Tous suspects ! Mais, cette solution reste efficace en partie selon notre interlocuteur, ce qui justifie à ses yeux le recours aux agents de sécurité placés à l'entrée et à la sortie des grands magasins, et plus particulièrement ceux qui se trouvent en centre ville. C'est là surtout, à en croire ce jeune directeur, que la plupart des vols à l'étalage ont lieu. « Chaque jour, nous accueillons près de 10.000 visiteurs et contrôlons plus de 4000 tickets à la caisse. A un moment ou à un autre, la faille est décelée par les clients indélicats qui arrivent ainsi à tromper la vigilance des agents. Mais grâce à ces derniers, nous avons tout de même pu limiter les dégâts. Nous nous excusons auprès de nos concitoyens que l'opération de contrôle embarrasse, mais qu'ils sachent que les pertes que nous avons enregistrées par la faute des voleurs sont d'un volume important qui justifie pleinement toutes nos mesures de fermeté. Figurez-vous que certaines marchandises vendues sur les trottoirs de Tunis proviennent directement de chez nous. Des quantités effrayantes de produits de toilette ont disparu frauduleusement de nos étalages. » Concernant le profil des voleurs, le directeur nous révéla que toutes les catégories sociales sont impliquées : le maîtrisard de la faculté comme le plus inculte des petits vendeurs à la sauvette ; l'institutrice comme sa femme de ménage ; des avocats sont interpellés en même temps que des clochards ; des femmes voilées qui volent pendant Ramadan et à quelques minutes seulement de la prière du Vendredi, on en a vu aussi. Les points de vente installés dans les quartiers chics ne sont pas épargnés par les kleptomanes : à la cité Ennasr, on nous dit qu'un honorable monsieur fut confondu pour le vol d'une...baguette de pain ! Jean Valjean dans une grande surface, quoi !