Lorsque vous consultez n'importe quel numéro du Bulletin épidémiologique publié chaque trimestre par la Direction des soins de santé de base, vous constatez sans la moindre peine que sur la liste des principales maladies transmissibles en Tunisie, la tuberculose figure en « très bonne » place. Les données chiffrées que fournissent les différents bulletins trimestriels ne laissent pas l'ombre d'un doute concernant les difficultés que rencontrent les autorités sanitaires pour éradiquer ce mal pourtant curable. Certes l'évolution du taux d'atteinte n'est pas très alarmante au vu des statistiques communiquées par le ministère de la Santé ; toutefois le fait que l'on signale par centaines les cas de tuberculose enregistrés tous les trois mois, que d'autre part en près de 10 ans, le taux d'incidence de la maladie ait plutôt tendance à s'élever, cela devrait donner des sujets d'inquiétude pas seulement aux responsables sanitaires mais aussi à tous les partenaires de l'éducation en matière d'hygiène et de santé. L'effort de l'Etat dans la lutte contre la tuberculose est colossal et continu. En effet, le ministère de la Santé garantit au malade la gratuité du traitement et la disponibilité des médicaments. Le dépistage de la maladie ainsi que l'enquête épidémiologique au sein de l'entourage immédiat du tuberculeux sont assurés par des services spécialisés et par des médecins compétents dans ce domaine ; ces derniers exercent par ailleurs dans des locaux équipés de tout le matériel technique et scientifique approprié. Par ailleurs, la nouvelle stratégie adoptée dans le cadre du programme national de lutte contre la tuberculose et qu'on a baptisée Suivi du Traitement Directement Observé (D.O.T.S.) vise à faire participer l'entourage familial à l'exécution du traitement prescrit au malade et à contrôler la prise régulière par celui-ci de tous ses médicaments durant toutes les phases du traitement. Après le démarrage du traitement effectué sous le contrôle des centres de soins de santé de base (phase initiale), une fiche est délivrée au membre de la famille chargé de ce suivi rigoureux pour être remplie et tenue scrupuleusement à jour par lui durant la phase de continuation du traitement. Ce choix de responsabiliser la famille du malade a été dicté en réalité par le constat amer fait par les responsables du programme de lutte contre la tuberculose auprès des personnes atteintes qui, par négligence ou par ignorance, ne sont pas réguliers dans la prise des médicaments ou bien décident de leur propre chef d'arrêter le traitement croyant d'après certains signes physiologiques rassurants qu'ils ont guéri.
Toujours les mêmes régions L'objectif du programme national de lutte contre la tuberculose est de baisser le taux d'incidence par an à 10 cas pour mille habitants, en 2010. Or, au dernier trimestre de 2008, nous en sommes un peu loin (autour de 20 à 25 cas pour mille habitants). De plus, on constate que de 1997 à 2004, le taux d'incidence de la tuberculose n'a connu qu'une baisse toute relative en 2001 et en 2003 pour enregistrer une hausse faible mais significative en 2004 comme l'illustre nettement le tableau ci-dessous. Les régions les plus touchées sont souvent les mêmes : la capitale et ses alentours, les villes de Bizerte, Jendouba, Sidi-Bouzid, Sousse, Sfax, Gafsa, Gabès et Médenine. La tuberculose pulmonaire est la plus répandue parmi les personnes atteintes, en général plus de 60 % des cas ; la tuberculose ganglionnaire vient en deuxième position avec un taux qui oscille entre 15 et 17 % des cas déclarés. Les formes pleurales et péritonéales sont relativement rares. La tranche d'âge la plus atteinte se situe entre 20 et 40 ans mais la tuberculose est une maladie qui n'épargne personne quel que soit son âge, son statut social ou son sexe. La sensibilisation à la gravité de la maladie et l'information relative à son traitement ne relèvent pas seulement des prérogatives des autorités sanitaires. Tous les partenaires de l'éducation, toutes les structures à vocation culturelle, tous les médias sont appelés à venir en aide aux responsables du programme de lutte contre la tuberculose. Les malades eux-mêmes doivent suivre le plus rigoureusement possible toutes les prescriptions du médecin traitant. Ils doivent aussi informer ce dernier sur les milieux qu'ils fréquentent s'ils sont à risque, sur leur alimentation, sur des cas ou des signes suspects constatés au sein de leur entourage immédiat et principalement dans leurs familles. Les sujets atteints ont tort de considérer la tuberculose comme une maladie honteuse, et ne prennent pas la meilleure option en se faisant soigner ailleurs que dans les dispensaires antituberculeux. Ce sont des précautions et des dépenses inutiles puisque les soins sont gratuits et la guérison assurée quand ils se font suivre par le personnel médical de ces services compétents.
Défectuosités Les efforts dépensés dans le cadre de la lutte contre la tuberculose par les différentes directions régionales des soins de santé de base et par les médecins et les infirmiers des dispensaires antituberculeux sont incontestables. Mais certaines défectuosités qui ne sont peut-être pas dues aux responsables de ces structures sanitaires doivent tout de même être signalées. D'ailleurs ce sont plusieurs agents de la santé publique qui nous ont prié de les évoquer et de souligner l'urgence d'y remédier. Parmi eux, il y en a qui s'interrogent par exemple sur les raisons qui poussent certains services hospitaliers à libérer des tuberculeux confirmés avant que leur crachat ne soit « négativisé », autrement dit avant d'éliminer chez le malade le risque de contaminer son entourage. Pourquoi, demandent-ils encore, on ne le retient pas le temps qu'il faut pour s'assurer qu'il ne transmettra pas sa maladie aux autres ? Cela veut-il dire que la mise en quarantaine du malade s'est avérée inefficace, ou bien s'agit-il comme certains le prétendent d'un manque de place pour ce genre de patients dans nos hôpitaux ? Ces malades sont-ils devenus « indésirables », parce que leurs soins sont obligatoirement gratuits et qu'ils ne rapportent donc rien à l'établissement qui les accueille ni à son personnel médical ? Il fut un temps pourtant où l'on mettait sous observation pendant plus de 15 jours des dizaines de bacillaires dans un pavillon réservé exclusivement à l'accueil et au suivi initial de ces patients. Pourquoi a-t-on maintenant tendance à renoncer à ce choix ? se demandent certains médecins et infirmiers pour qui la mesure risque d'entraîner une recrudescence sérieuse de la tuberculose dans le pays. D'autres agents ont déploré l'insuffisance des moyens techniques et médicaux dont pâtissent certains dispensaires antituberculeux. Les locaux qui accueillent les malades sont de surcroît de plus en plus exigus et de moins en moins équipés en matériel de tous genres. Parmi les interrogés, il y en a également qui s'inquiètent pour le malade dont l'entourage est aussi inculte et aussi inconscient que lui-même : dans un environnement de ce genre, la stratégie du suivi directement observé (D.O.T.S.) risque de ne pas aboutir aux résultats souhaités. En effet, il y a lieu de craindre le pire avec des individus négligents vivant sous le même toit ; on a beau expliquer le mode de remplissage de la fiche du suivi, on a beau mettre en garde contre le moindre manquement aux prescriptions du médecin, à un moment ou un autre, une défaillance, une omission peuvent tout faire échouer. Concernant la tuberculose ganglionnaire, on doit savoir que le principal facteur de la maladie est la consommation du lait cru contaminé et de ses dérivés (petit lait, lait fermenté, ricotta etc.). Or il semble, d'après les personnes interrogées, que des défaillances sont constatées au niveau du contrôle du bétail atteint de brucellose (tuberculose bovine) et du lait cru et de ses dérivés commercialisés. Mais tous nos interlocuteurs ont mis également l'accent sur la responsabilité de certains citoyens et sur celle des malades qui se conduisent d'une manière très négative et avec beaucoup de légèreté face à la tuberculose, cette maladie qui, ne l'oublions jamais, peut tuer si elle n'est pas convenablement soignée!
Logistique Les propositions que nous avons retenues concernent d'abord la nécessité de revenir à la précaution que l'on prenait, il y a quelques années, d'hospitaliser le bacillaire pendant la durée nécessaire à la « négativisaion » de son crachat. Il faudrait aussi peut-être réserver dans chaque grande unité hospitalière un ou des pavillons susceptibles de résorber la population contaminante. Equiper les dispensaires antituberculeux de tout le nécessaire pour un dépistage rapide de la maladie et des foyers à risques, pour également mener les enquêtes épidémiologiques dans les meilleures conditions, tout cela doit figurer parmi les priorités si l'on veut agir efficacement contre la tuberculose. Il y a lieu de recommander le renforcement de la concertation entre le personnel du ministère de la Santé et celui du ministère de l'Agriculture en vue de limiter et pourquoi pas de freiner les effets de la tuberculose bovine sur la santé des citoyens. Et bien évidemment, poursuivre sans relâche les campagnes d'information et de sensibilisation auprès de la population. Car, la moindre distraction peut nous coûter quelquefois une ou plusieurs vies. A propos des médicaments indiqués contre la tuberculose, on nous assure que les stocks sont disponibles en quantités suffisantes. C'est tant mieux, sommes nous tentés de dire, parce qu'il suffit, à notre humble connaissance, que le patient en manque un seul jour pour que tout le traitement soit remis en question !