Si, pour être palpable et visible, le bien-être social doit se traduire, en aval, par le surendettement des ménages, eh bien, nous ne serons pas dans l'objectif. Même frénétique, une société de consommation ne peut pas s'abîmer indéfiniment dans l'endettement . Car à la longue, le mécanisme se dévore lui-même: en deçà d'un certain seuil, en effet, le lien entre consommation et production casse. Depuis quelques mois – et plus particulièrement cette année – nos concitoyens rivalisent en hardiesses et en entourloupettes pour s'endetter. Ils se font un point d'honneur à honorer des échéances – deux Aïds très rapprochés l'un de l'autre: et entre les deux la rentrée scolaire - . Mais il s'agit bel et bien d'une spirale dépressive, procédant, entre autres, d'une béatitude doublée d'indifférence face aux mouvances économiques que connaît la planète. Quelque part, le Tunisien moyen a le sentiment d'être sécurisé. Cela veut dire que dans leur action socio-économique, les pouvoirs publics entreprennent des mesures crédibles. En même temps, quitte à faire comme l'autruche, le Tunisien moyen ne veut pas entendre parler de crise mondiale. Là, les pouvoirs publics ne le sensibilisent pas assez. Chacun campe dès lors dans son rôle: un Etat-providence, d'un côté; un citoyen qui a pris l'habitude qu'on réfléchisse pour lui et qu'on résolve pour lui tous les problèmes, de l'autre. Nous avons l'habitude de ne guère avoir à entendre des discours officiels alarmistes. C'est un gage d'équilibre social et une garantie d'harmonie de la vie socio-économique. Et d'ailleurs qu'est-ce qui justifierait l'alarmisme, s'il n'y a pas le feu? Pourquoi devrait-on s'étonner que les équilibres macro-économiques restent solides malgré une sérieuse menace de récession mondiale? Il est vrai que le marasme financier a touché l'économie réelle. Mais nos règles prudentielles sont bien assises depuis longtemps: en fait le libéralisme économique a toujours été sous-tendu, chez nous, par le dirigisme centralisateur. Nous en redécouvrons aujourd'hui les vertus. Il n'empêche: si la politique bégaye parfois, l'économie n'a pas de réponses à tout. Et c'est maintenant que les pouvoirs publics et, pour tout dire, l'administration devraient briser le carcan du langage paradisiaque par ancrer, dans le vécu des Tunisiens une véritable culture économique; pour leur expliquer que la frénésie des crédits à la consommation, les voitures populaires et le mouton à tout prix, conduisent au surendettement et que, puisque notre économie a l'ambition de cesser d'être une économie d'endettement, la société tunisienne doit certes rester une société de consommation mais elle est de son côté en droit d'en finir avec le surendettement de ses ménages.