Pris dans l'absolu, le travail des femmes constitue un faux problème, celles-ci ayant toujours travaillé et d'ailleurs rien n'était venu l'interdire que ce soit à travers les lois sociales ou religieuses, et ce tant en Tunisie que dans tout le monde arabo-musulman. Depuis toujours la femme arabe a pris part aux activités pratiquées par les hommes. Beaucoup de femmes sortaient en caravanes aux côtés des hommes pour faire du commerce. Khadija, première épouse du Prophète Mohamed était commerçante, et elle avait choisi celui-ci pour la seconder lui faisant confiance pour ses hautes qualités, bien avant qu'il ne l'épousât. La femme était présente également en temps de guerre aux côtés de l'homme pour lui procurer toute son aide et tout son soutien. Khadija, mère des croyants a-t-elle cessé de faire du commerce à l'avènement de l'Islam ? en tout état de cause, rien ne permet de dire que la religion a interdit le travail des femmes. Celui-ci a toujours été un problème conjoncturel. En Tunisie, avant l'ère coloniale le travail des femmes était lié aux classes sociales auxquelles elles appartenaient. Chez les classes aisées, la femme renonçaient d'elle-même à travailler. Elle se complaisait de se trouver totalement prise en charge par l'homme qui pouvait se permettre de satisfaire à toutes ses demandes et ne la laisser manquer de rien chez les classes démunies, la femme était obligée de travailler aux côtés de l'homme, pour mieux subvenir aux besoins de la famille. La femme rurale était acculée à faire tous les travaux agricoles tels que la cueillette d'olives ou d'oranges ou même le labour, ou certains travaux d'artisanat dont celui du tapis à Kairouan. La femme citadine chez les mêmes classes s'adonnait à certains travaux de couture. Chez les plus pauvres certaines femmes étaient obligées d'aller faire quelques travaux de ménages ou autres chez les familles aisées. Cette situation avait continué à l'avènement de la colonisation. Toutefois dans les années 1920, celle-ci s'étant établie avec son mode de vie bien différent de celui des autochtones, allait ouvrir une brèche dans les traditions locales. Profitant d'une certaine conjoncture, un mouvement féministe allait se constituer pour dénoncer ce qu'il appelait la déchéance sociale des femmes tunisiennes. Ce mouvement était dirigé notamment par Manoubia Ouertani et Habiba Menchari, qui appartenaient à des familles de la bourgeoisie tunisoise. Notons que la bourgeoisie tunisoise, n'était pas nécessairement constituée par les plus riches ou les plus nobles, mais elle englobait les corporations des métiers, parmi ceux qui étaient les plus anciennement établis à la capitale. Ce sont en général les citadins les plus connus. Quant à la noblesse elle était constituée par les familles prétendant être de la descendance du prophète Mohamed, telles que les familles des Chérifs. Certes la femme était soumise à l'époque et vivait à la merci de l'homme qui pouvait la répudier à tout moment. Toutefois le travail des femmes à l'époque se posait surtout pour les citadines qui voulaient travailler surtout dans le secteur public, c'est-à-dire dans l'administration coloniale. Outre le fait, que cette possibilité à l'ère coloniale, n'était pas facilement offerte aux Tunisiens en général, le travail de la femme était strictement lié à un autre problème qui était celui du port du voile. Car il n'était possible, pour n'importe quelle femme d'aller travailler en tant que secrétaire par exemple avec le voile. En janvier 1929, Menchari avait dans une conférence à l'Essor, s'était élevée publiquement contre le port du voile déclarant entre autres. "Nous ne voulons plus de ce voile que l'arbitraire des hommes de notre sang nous oblige à porter. Nous n'en voulons plus parce qu'il est un symbole. C'est le symbole de la servitude dans laquelle nous vivons et de la misère matérielle et morale qui décime nos familles et qui nous met à la merci de l'étranger". Plusieurs avaient réagi pour être pour ou contre le port du voile. Cependant ceux qui s'opposaient à cette idée, trouvaient qu'il était d'abord superflu qu'une femme qui manque d'instruction aille travailler dans l'administration, pour la bonne raison qu'elle serait acculée à faire des travaux subalternes et dépenser son maigre salaire dans les robes et les produits de maquillage. Il fallait d'abord permettre à nos femmes d'acquérir l'instruction et les connaissances nécessaires qui leur permettraient d'avoir les mêmes que les citoyennes d'Europe et de Turquie. Dans un article du 27 février 1929 du journal Assawab, Mohamed Boujemil faisait remarquer que l'émanicipation de la femme tunisienne ne pouvait se réaliser que dans une société qui aurait pour caractéristique essentielle la grandeur civilisationnelle et la diffusion d'un sens civique à caractère populaire, ce qui était d'ailleurs déjà le cas à l'époque en Egypte et en Turquie. En Turquie la femme avait à l'époque acquis une certaine éducation en vertu de laquelle elle pouvait librement travailler, abstraction faite du port de voile dont elle avait petit à petit perdu l'habitude. Durant l'ère coloniale, des femmes avaient pu s'imposer que ce soit dans l'administration ou dans le secteur libéral, après avoir fait des études et décroché des diplômes pour être notamment d'éminents médecins ou pharmaciens. Certains autres qui avaient choisi l'enseignement pouvaient aller travailler gardant le voile, pas celui qui la couvrait entièrement, mais plus modernisé (La Lehfa masri) et qui n'a constitué ni un empêchement ni un handicap.