Etre télégénique est une condition incontournable pour apparaître sur le petit écran. On nous a tellement habitués à cette « évidence » qu'aujourd'hui nous sommes incapables de concevoir qu'un animateur puisse trahir une tare physique, qu'une présentatrice soit laide, que les filles du public sur le plateau soient neutres, que le studio des émissions de variétés accueille des vedettes inélégantes et peu séduisantes. Pour un peu on interdirait aux téléspectateurs dénués de charme et aux téléspectatrices sans atours de suivre les programmes. Dans le feuilleton «Sayd Errim », les ouvrières de l'usine textile sont toutes charmantes et quand elles descendent l'escalier de leur atelier pour rentrer, vous avez l'impression d'assister à un défilé de modes pour starlettes. Si bien d'ailleurs qu'on trouve assez d'excuses aux patrons qui les harcèlent : comment, en effet, rester insensible devant un sérail aussi fourni en créatures affriolantes et autant de chair fraîche ! Le problème social que l'auteur du feuilleton voulait dénoncer s'en trouve du coup presque faussé.
Pour rire Sur nos écrans, dans nos feuilletons, dans nos spots publicitaires, on colporte encore tous les préjugés discriminatoires sur le physique des personnes. Les laids et les laides n'y ont pas droit ou bien quand on daigne leur trouver un « emploi », ce sera toujours celui du vieux cacochyme ratatiné ou de la vieille loque toute plissée et éborgnée si ça se trouve. Ils serviront à faire rire le spectateur de leurs handicaps. Un noir ou une noire sur un écran de télévision, quelle audace ruineuse ! On a certes tenté et réussi le coup une fois dans le feuilleton « Mektoub » de cette année, mais c'est justement l'exception qui confirme la règle, et puis la brune et son fiancé de couleur qui y jouaient avaient largement de quoi faire fantasmer les plus frigides des spectateurs et des spectatrices.
Toujours sexistes Pour ce qui est du sexisme à la télé, nous n'en détenons certes pas l'apanage ; mais ne devrions-nous pas faire un effort pour reproduire un tant soit peu l'image de ce que sont devenus les rapports hommes/femmes dans la réalité de tous les jours. Dans les spots publicitaires, les travaux domestiques sont exclusivement accomplis par des femmes, la réclame pour les expositions de mobilier ou de produits cosmétiques n'emploie que des dames et que des jeunes filles. Mais pour une campagne de don du sang, on recourt à des hommes adultes ou à la fleur de l'âge, toujours vigoureux et jamais gringalets, pour offrir leurs bras aux infirmiers et médecins collecteurs. On a par ailleurs tendance à exclure la gent féminine de certaines émissions et de rendre la pareille aux hommes dans d'autres. Le plateau de Dimanche sports s'est transformé depuis un certain temps en un cercle fermé où seuls les mâles sont admis, parce qu'apparemment, ils sont les seuls à comprendre quelque chose au football. C'est manifestement pour s'approprier chacun son émission que de nos jours les programmes sportifs sont répartis entre animateurs des deux sexes, répartition inéquitable du reste, comme ce fut toujours le cas depuis l'avènement sous nos cieux et ailleurs de la télévision et de la radio. Il faut reconnaître néanmoins qu'on fait de plus en plus de place aux femmes dans le domaine de l'animation, mais les critères de sélection ne sont pas toujours objectifs. C'est encore à qui se dénude le plus, à qui se farde le plus, à qui radote le plus ! Les présentatrices en place actuellement sont au mieux tout juste ordinaires quant à leur intelligence et à leur savoir faire en matière d'animation. Celles qui ne savent rien faire d'autre que de lire les textes qu'on leur a rédigés au préalable sont pitoyables : tous leurs efforts pour paraître naturelles tombent chaque fois à l'eau et nous sentons, comme si nous étions leurs pauvres mamans, l'embarras inextricable où les met cet exercice pénible et si faux ! C'est pour dire aussi que si nos femmes veulent s'imposer autrement que par des atouts physiques, il leur faut un supplément de culture et de présence d'esprit, davantage de subtilité et d'humour également.
Rien à faire ! Pour nous autres spectateurs, le problème est encore plus délicat : nous avons subi si longtemps le conditionnement télévisuel que, pour exiger des programmes non discriminatoires, il nous faut une désintoxication de plusieurs décennies. Ce qui veut dire en d'autres termes que nous devons préparer les générations de demain à bannir l'exclusion dans tout ce qu'elles entreprennent et à la condamner vigoureusement où qu'elles la relèvent. C'est sans doute facile à dire : lorsqu'on constate que même dans les émissions pour enfants, on fait la part belle aux plus mignons et aux mieux vêtus parmi ces derniers, on nous donne toutes les raisons de désespérer d'une possible redéfinition des « valeurs » qui sous tendent le travail télévisuel. Le public aime ça !