Beaucoup d'enfants et de filles de chez nous, n'ayant pas encore atteint l'âge légal de travail, s'adonnent pendant les vacances scolaires à de pénibles besognes soit pour se procurer de l'argent de poche, soit pour aider leurs familles nécessiteuses. Ils travaillent n'importe quoi et dans n'importe quelles conditions pour une poignée de dinars qu'ils perçoivent en fin du mois et ce, malgré la législation tunisienne qui interdit le travail des enfants en bas âge (avant l'âge de 16 ans). L'ignorance et le manque de revenus chez certaines familles poussent les parents à envoyer leurs enfants encore mineurs à bosser pendant les vacances d'été, peu importe si le travail exercé est fatigant ou sous-payé. Nous avons rencontré trois cas de figure : il y a les enfants dont les parents estiment que le travail saisonnier est inutile, car le jeune enfant, une fois habitué au monde du travail et au gain de l'argent n'a plus réellement envie de retourner à l'école après les vacances. Si l'enfant y consentait, ce serait à son corps défendant ou pour faire plaisir à ses parents et, de plus, le travail pendant les vacances pourrait l'épuiser physiquement et le dégrader moralement. Ces parents trouvent même que déshonorant de faire travailler un enfant pendant les vacances, période dans laquelle il est censé se reposer et se divertir. Hedi, par exemple refuse catégoriquement qu'un enfant travaille en été : " les vacances sont faites pour que les enfants se reposent après une année scolaire pleine de travail de fatigue. Les enfants arrivent épuisés en fin d'année ; ils ont besoin de repos et de défoulement. Même si certains parents n'ont pas les moyens de les envoyer en voyage ou en colonies de vacances, des promenades en famille, des sorties ponctuelles avec les amis, des baignades en mer peuvent étoffer le temps vide de l'enfant ; et les enfants s'adaptent souvent très vite aux circonstances. N'oubliez pas que de temps en temps, l'enfant doit faire une petite révision durant l'été... " Ces parents sont certainement conscients des droits de l'enfant et de leur devoir de prémunir les enfants contre toute forme d'exploitation. Le deuxième cas concerne les parents qui approuvent l'idée qu'un enfant doit, dès son jeune âge et surtout pendant les vacances scolaires où il peut s'ennuyer s'il reste désœuvré, se familiariser au monde du travail et que cela lui apprendra la valeur du travail et ce que c'est que gagner son pain. De même, en travaillant, l'enfant s'épanouit et se fait une certaine autonomie et comprend que, dans la vie, rien n'est gratuit, et qu'il faut forcément y mettre du sien. Abdelaziz, un chef de famille et père de quatre enfants dont l'aîné a quinze ans, nous a livré son point de vue : " La saison estivale n'est pas un simple rendez-vous annuel pour errer sous le soleil et passer des heures entières à la plage ! Il faut que l'enfant sache dès son bas âge que la vie est dure à gagner et qu'il apprenne à valoriser le travail ; je ne vois pas pourquoi il faut les empêcher de travailler pendant l'été surtout si le travail n'est pas dangereux ou humiliant. L'argent de poche aurait un goût très particulier lorsqu'il est gagné de sa sueur ! Et puis avec les temps qui passent, le travail des enfants pourrait aider certains parents à joindre les deux bouts surtout en saison estivale où les dépenses augmentent du simple au double ! " Le troisième cas est celui des parents qui se sentent obligés de pousser leurs jeunes enfants à travailler, à faire n'importe quoi pour aider à subvenir aux besoins de la famille vivant dans la nécessité. En travaillant, il peut au moins économiser de l'argent pour se procurer les fournitures scolaires et tous les besoins de la rentrée. Ces parents cherchent à tout prix de les caser dans n'importe quelle boîte pour y travailler pendant les vacances, sans se soucier des risques que cet enfant peut encourir. Khémais, ouvrier de son état, a une famille composée de cinq enfants (deux filles et trois garçons), attend avec impatience les vacances scolaires pour que ses enfants se mettent à l'ouvrage : le premier est vendeur de jasmin ou de chewing-gum ou de mouchoirs, le deuxième est apprenti chez un mécanicien ou un boulanger, le troisième est un apprenti chez un coiffeur ou un épicier. Les filles, elles, sont à leur tour embauchées soit dans une crèche pour faire du baby sitting, soit dans une boutique de location de robes de mariées ou encore dans de petites fabriques artisanales de toutes sortes. Allez savoir de quoi elles s'occupent, comment elles sont traitées et combien elles sont payées ! Pourtant le père ne se fait pas de souci, il a besoin d'argent pour nourrir sa famille : " le travail de mes enfants m'aide beaucoup surtout pendant l'été, D'ailleurs, ils se sont habitués au travail pendant les vacances. Dès l'âge de 10 ans, je leur cherche un poste chez un artisan ou un commerçant ; ils apprennent le métier et gagnent un peu d'argent ; ils gardent leur argent de poche et me donnent le reste pour trouver de quoi leur payer les besoins de la prochaine rentrée ! "
Et en cas d'accident ? Ils sont par centaines comme ces enfants qu'on croise chaque jour sur nos chemins en train de proposer aux passants et aux automobilistes des produits importés de Chine et d'autres pays asiatiques ou qu'on rencontre dans les ateliers de menuiseries, de mécanique ou de tôlerie ou encore dans les parkings en train de laver des voitures en stationnement. Ces enfants ont-ils vraiment besoin de faire ces travaux qui peuvent les exposer à maints dangers ? Et en cas d'accidents subis par ces travailleurs mineurs, qui le coupable à désigner ? Les parents pour avoir obligé leurs enfants à travailler ? Les enfants qui en sont inconscients et irresponsables ? Les employeurs pour avoir engagé des mineurs non qualifiés pour ce genre de travaux ? Contre qui peut-on porter plainte à ce moment-là ? Dans ce cas, les parents sont responsables, du moment que ces boulots occasionnels ne sont pas protégés par la loi et sont considérés comme des travaux illégaux, tant qu'ils sont exercés par des enfants n'ayant pas encore atteint l'âge de travail légal. Nous vous laissons donc le soin d'imaginer les emmerdements qui s'en suivent en cas d'accidents de travail graves ou mortels. Hechmi KHALLADI
Que dit la législation tunisienne ? On sait que la Tunisie a signé en 1991 la Convention des Nations Unies sur la Protection de l'Enfant. De même le code du travail tunisien stipule dans son article 56 modifié par l'article premier de la loi n° 96-62 du 15/07/96 que : 1- Les enfants âgés de 13 ans peuvent être occupés à des travaux légers non nuisibles à leur santé et à leur développement et non préjudiciables à leur assiduité et aptitude scolaires et à leur participation aux programmes d'orientation ou de formation professionnelle agrés par les autorités publiques compétentes. 2- Aucun enfant âgé de moins de 16 ans ne peut être occupé à des travaux légers pendant plus de deux heures par jour, aussi bien les jours de classe que les jours de vacances ni consacrer à l'école et aux travaux légers plus de sept heures par jour au total. 3- Un décret détermine la nature des travaux légers et les premières précautions à prendre au moment de l'emploi des enfants à ces travaux. Il détermine également le nombre d'heures de travail des enfants âgés entre 16 et 18 ans occupés à des travaux légers.