Le mois du jeûne n'est presque jamais perçu comme un seul bloc compact de 30 jours. On préfère, chez nous comme dans la plupart des pays musulmans, le décomposer en durées variables de dix ou de quinze jours. Cependant, le 27ème jour de Ramadan, date sacrée de la Nuit du Destin, constitue à elle seule une subdivision à part. L'ultime journée occupe également une place particulière tout comme le premier jour. Cette façon de compartimenter le mois saint s'explique le plus souvent par des pratiques coutumières apparentées aux rites sacrées. Peut-être aussi que sur le plan psychologique, cela représente une manière intelligente d'atténuer l'effet du jeûne prolongé et de se remonter le moral afin d'affronter la durée d'abstinence qui reste à passer. En Tunisie, la veille du 15ème jour de Ramadan donne traditionnellement lieu à des pratiques et festivités particulières selon les régions et les villes. Nous sommes allés à la rencontre de quelques citoyens pour leur demander comment ils fêtent la mi-Ramadan chez eux. Leurs réponses nous ont permis de découvrir que malgré certaines divergences dans les habitudes des familles et des régions, la célébration du 15ème jour de Ramadan traduit autrement l'unité du peuple tunisien.
De la viande Notre premier interlocuteur est un marchand d'épices de la zone de Bab El Jazira. Il est natif de la ville de Mateur. " Chez moi, la tradition veut que plusieurs familles parentes, alliées ou simplement voisines fassent collectivement les achats indispensables au repas de la soirée. En termes concrets, on achète surtout une grande quantité de viande ou bien on égorge plusieurs moutons ou chèvres ; et à la rupture du jeûne, on mange ensemble après avoir porté jusqu'à la mosquée le repas des pauvres. Nous pensons également aux déshérités qui vivent dans notre voisinage. Le dîner se passe ainsi comme entre frères et sœurs d'une même famille. Mais n'exagérons rien ; la coutume n'est désormais suivie que par une partie des Mateurois. Pour ce qui est des pratiques religieuses rattachées à la fête du 15ème jour, elles ne diffèrent en rien des autres habitudes propres à Ramadan. Je veux dire que les jeûneurs font comme chaque jour leurs prières des " Taraouih " à la mosquée puis vaquent qui à ses loisirs, qui à son travail, qui à ses occupations domestiques !
Une pensée aux morts et un cadeau pour la fiancée Mme Monia est d'origine mahdoise, elle affirme quant à elle que là-bas, on peut déroger à ses pratiques religieuses ordinaires à l'occasion de la nuit du " nouss " (littéralement la moitié du mois) : " Plusieurs familles font venir chez eux des lecteurs de Coran pour honorer la mémoire de leurs parents morts et toutes les prières de la soirée sont observées à la maison et collectivement. Quant au repas qu'on prépare à cette occasion, c'est principalement le couscous et en très grande quantité pour satisfaire les voisins et les pauvres. ". Mme Henda est née à Tunis mais sa famille est originaire de Nafta : " Ici, nous préparons l'incontournable couscous des ancêtres et le donnons en aumône à la mémoire des personnes défuntes. Mais on mijote aussi d'autres plats pour la famille et les nécessiteux. Il ne faut pas oublier d'autre part que comme l'Aid, la fête du 15ème jour est un " moussem " qui appelle quelques cadeaux à offrir à la fiancée. C'est pourquoi certaines familles se rendent chez leur-future belle-fille pour lui faire don d'un quelconque précieux bijou. A Nafta, je ne sais pas vraiment comment cela se passe mais je suis tout de même sûre que le couscous est un passage obligé là-bas aussi. "
Des traditions qui voyagent Pour le septuagénaire Abdallah Bessrour, de Jerba, les gens ont renoncé à plusieurs bonnes traditions comme celle de consacrer la plus grosse part du repas du 15ème jour de Ramadan aux pauvres. " Chez moi, on mitonne à cette occasion une préparation spéciale de macaroni que les Jerbiens adorent ; il est vrai néanmoins que vu la grande mobilité qui existe entre les différentes régions du pays, les traditions culinaires se contaminent les unes les autres. Raison pour laquelle on voit les Tunisiens de tous horizons préparer les mêmes recettes à chaque grande occasion. " Un autre vieux monsieur originaire de Siliana se rappelle que lorsqu'il était enfant, sa mère préparait toujours la " mloukhia " à toutes les fêtes. " Mais ajoute-t-il, c'est un plat difficile à digérer au mois de Ramadan et par un temps aussi caniculaire. Mon épouse ne prévoit rien de spécial pour la circonstance et c'est à peine si nous arrivons à terminer notre bol de soupe ! "