Il y a quelques jours, nous accompagnions à la gare de Tunis une parente âgée de 82 ans. Nous prîmes d'abord le métro en direction de la Place de Barcelone. Premier incident : les portes du véhicule se refermèrent avant que les passagers ne soient tous montés. L'un d'eux, un septuagénaire, a failli se fracturer la cheville quand celle-ci se coinça entre le quai et le marchepied de la voiture. On a dû le tirer avec force vers l'intérieur tout en retenant les deux volets de la porte. Le chauffeur démarra ensuite à l'américaine, ce qui déséquilibra immédiatement notre parente octogénaire laquelle dut s'appuyer sur les bras et les épaules des voyageurs pour se ressaisir. Pour lui trouver une place assise, nous nous adressâmes à deux jeunes filles de moins de vingt ans qui firent semblant de réviser. C'est un monsieur de 40 ans qui finit par céder son siège tout en regardant de travers les deux adolescentes. Mais dans ce métro-là, il y avait plus de 100 jeunes qui occupaient les places assises sans chercher à savoir si, dans les alentours, une personne âgée, handicapée ou malade n'en avait pas plus besoin qu'eux ! On les dirait plus fatigués qu'un athlète après un marathon de 40 kilomètres. Il faut les voir au moment de monter à bord du métro pour mesurer l'urgence qu'ils éprouvent de s'asseoir aussitôt entrés : ils bousculent tout le monde sur leur passage, les voyageurs qui montent comme ceux qui descendent, les femmes ainsi que les hommes, les bébés et les vieillards. A la station de la Place de Barcelone, ils prennent le métro avant même qu'il n'effectue les manœuvres nécessaires au voyage du retour. Une fois installés, ils se clouent à " leurs " sièges jusqu'à leur destination finale qui parfois se trouve à seulement une ou deux stations de là. Quand ils sont accompagnés d'un ou d'une amie, ils lui réservent sa place en y mettant un cartable ou tout autre objet annonçant l'arrivée imminente de l'occupant virtuel. Quelquefois, ils squattent quatre sièges à la fois et gare à vous si vous leur adressez une remarque malveillante ou même une demande très courtoise. La bataille pour les honneurs Pendant le mois de Ramadan, une bataille rangée a failli éclater à l'intérieur d'une voiture ; parce qu'un gaillard de 25 ans s'est arrogé tous les droits sur le siège voisin et refusa que la mère d'un autre jeune homme s'y mette. Pour le premier, il s'agit d'obéir à un impératif moral : " J'ai promis à mon ami de lui réserver sa place à mes côtés en attendant qu'il nous achète des cigarettes sur le quai. " L'honneur de tenir cette promesse empêchait donc ce vigoureux passager de laisser s'asseoir la mère du second voyageur. La dispute débuta par des vociférations grossières de part et d'autre puis les deux jeunes hommes en vinrent aux mains, mais la bagarre ne tarda pas à engager les supporters de l'un et de l'autre. Au milieu de cette foule de lutteurs déchaînés, la vieille dame fut plusieurs fois bousculée et on lui marcha allègrement sur les pieds qu'elle en pleura abondamment son sort et peut-être aussi celui de toutes les personnes de son âge. Le repos des guerriers ! Nous parlions jusque-là du métro, mais en réalité la situation ne diffère pas tellement dans les autres moyens de transports. A l'occasion de l'Aïd, les trains étaient bondés et l'encombrement monstre qui y régnait n'était pas pour rendre agréable le voyage des personnes âgées. Déjà pour que celles-ci puissent monter à bord des voitures, il fallait l'intervention d'au moins cinq personnes capables de faire reculer les masses noires de jeunes fougueux et fougueuses partis en guerre pour une place assise. A l'intérieur des wagons, le combat continuait et l'on s'y montrait aussi impitoyable avec les vieux et les malades que sur les quais ou devant les guichets. Au bout d'une demi-heure, les " hostilités " n'avaient pas encore cessé et beaucoup de sacs et de cabas jetés depuis les fenêtres occupaient des places libres que défendaient farouchement les passagers déjà à bord. Quand le train démarra, on se bousculait toujours et les " séniors " restés debout se contentaient de regarder impuissamment les moins de 30 ans étendre bras et pieds puis sombrer dans un profond sommeil récupérateur : digne récompense pour ces " guerriers " dont était venue l'heure du repos.