C'est la toute première fois que j'ai accès à l'intérieur d'une église. Il me faut reconnaître que je ne suis pas adepte de ce qui est communément appelé " Maison de Dieu ". Je n'éprouve pas spécialement de sympathie pour ceux qu'on nomme " les hommes de Dieu ". Pourquoi ? C'est comme ça ! Je ne dois pas avoir une foi aveugle dans ce qu'ils nous enseignent ! Tant pis pour moi. Je me rappelle que, tout petit déjà, je n'aimais pas l'école coranique. Je séchais les cours pour passer des heures au bord de la fontaine publique du coin, aidant les femmes et les jeunes filles à remplir leurs seaux et gargoulettes. Je n'aime pas les enterrements, non plus, ni les mariages, d'ailleurs... ni les chants religieux... Tant pis pour moi, j'irais sûrement en enfer. Le nombre des fois où j'ai du assister à de tels rites se comptent sur les doigts d'une seule main. Et me voilà, aujourd'hui, au cœur d'une église. Non en tant que croyant, mais tout bêtement pour faire mon pénible et doux travail de journaliste. L'Institut des Belles Lettres Arabes vient d'être " mangé " par les flammes et je suis venu fouiner.Que s'est-il vraiment passé ? Aucune information définitive concernant ce désastre. L'église était pratiquement pleine. J'y suis entré avec quelques cinq ou dix minutes de retard. J'entends un " prêtre " parler dans une langue qui me semble être du latin. Je n'en suis pas sûr. Ensuite, on passe au français, puis à l'arabe. On prie pour le mort. On se lève. On prie pour la Tunisie. On s'assoit. Je fais de même. Je me lève et me rassois. " Dieu, je te donne mon corps Fais-en ce qui te plaira. Je suis prêt. Tu peux en faire ce que tu veux, je ne peux que te remercier ". C'est une prière en arabe. Je commence à trouver le temps long. J'essaye de communier avec les autres en pensant au mort... mais je n'arrive pas vraiment à me concentrer. Camus, inévitablement, me titille la matière grise. Ils n'aimaient pas les prêtres. Ce n'est pas mon cas, mais il y a deux vocation que j'ai du mal à admettre... l'armée et le clergé. Tous les clergés du monde ! Soudain, la salle se transforme pour moi en tribunal. Encore un mauvais coup joué par Camus. Je commence à chercher le diable. Je ne le vois nulle part. Aucun signe de lui, Cet ange rebelle n'a, à coup sûr, aucune carte d'accès à la Maison de Dieu. Je découvre un Christ accroché en haut d'une colonne à gauche, à quelques mètres des prêcheurs. J'ai, soudain, une pensée pour cet homme de théâtre tunisien qui vit en Syrie et qui me dit que là-bas, les illustrations de Yassouâ (Jésus), n'ont rien à voir avec ceux de l'Eglise européenne. Il est plus costaud, plus rude, beaucoup moins fragile. Et puis, je ne sais pourquoi me vient à l'esprit l'image de Saddam se balançant au bout de sa corde. Soudainement, je me reprends. Saddam est juste un homme politique. Il n'a rien à voir avec les élus de Dieu. C'est peut-être, un mauvais coup que m'aurait joué le diable ? J'essaye de me reconcentrer pour penser au mort. Sérieusement... sincèrement ! Mais, rien n'y fait. Je vois beaucoup de Tunisiens, journalistes, amis du défunt ou du père Jean Fontaine. Certains semblent vraiment absorbés par leur prière. Quelle chance ils ont ! Moi, sans faire d'effort, je demeure étranger. Je pense à l'époque la plus occultée de notre histoire : celle où beaucoup d'habitants de nos contrées étaient juifs, chrétiens ou païens, On semble l'oublier mais c'est à travers la Tunisie que le christianisme est entré en Italie, en Espagne, et en France, avant d'envahir toute l'Europe. Le Christ n'est pas européen. Il est oriental et s'il était né aujourd'hui, il aurait sûrement beaucoup de mal à " brûler " vers la Sicile. Je maudis le diable qui m'insuffle toutes ces mauvaises idées. L'atmosphère est celle d'un huis-clos claustré dans une série de rites immuables. On prie et l'on chante. On se lève et on se rassoit. Soudain, je suis pris d'effroi. La présence de la mort est d'un poids insupportable. J'étouffe ! Suis-je dans un vaste tombeau dont les murs vont commencer à dangereusement se rapprocher autour du moi pour finir par ressembler à un tout petit tombeau. J'essaye de remettre de l'ordre dans mes idées. C'est à désespérer ! Soudain, la grande porte s'ouvre derrière nous et le soleil ramène les premiers signes de la vie. Mon Dieu... la rue est là. Il y fait froid, sec et beau. La vie continue. Je présente mes condoléances à la famille, en leur serrant la main comme on le fait à la fin d'un enterrement musulman. Une fois dehors, j'essaye de parler avec certaines personnes que je connais pour avoir plus de détails sur les causes du désastre. Personne ne sait quoi me dire. Aucune information. Une enquête ?... on ne sait pas. C'est juste une cigarette ! Une cigarette qui passait par là et , soudain, il n'y a plus d'IBLA ! Hechmi GHACHEM --------------------------------------------------- Précisions de source judiciaire à Tunis On apprend de source judiciaire que l'instruction relative aux circonstances de l'incendie qui s'était déclenché, le 5 janvier 2010, à la bibliothèque de l'Institut des belles lettre arabes « IBLA » de Tunis, causant le décès de son conservateur, progresse. Les éléments établis par l'instruction, au vu des constatations effectuées sur les lieux de l'incendie et les expertises techniques qui s'en sont suivies, ont révélé l'existence de traces d'essence qui était à l'origine du déclenchement de l'incendie. Les témoignages recueillis auprès des employés de l'Institut dont une ouvrière, ont révélé que le défunt avait apporté dans la matinée du jour de l'incendie, à la bibliothèque, un récipient en plastique contenant un liquide de couleur jaune. Des éléments dudit récipient ont été retrouvés sur les lieux de l'incendie. Les analyses effectuées ont démontré que ce récipient contenait de l'essence dont des traces ont été, par ailleurs, retrouvées sur les vêtements du défunt. Le foyer de déclenchement de l'incendie a pu, d'autre part, être localisé au lieu où le corps du défunt a été retrouvé. Il y a lieux de signaler, par ailleurs, que ce dernier montrait, ces derniers temps, d'après certains témoignages, des signes de dépression.