Nous savons qu'il y a beaucoup à dire sur les façades de nos commerces. Nous aurions même pu choisir de parler de ces lambeaux du drapeau national qui flottent en haut de plusieurs administrations tunisiennes. Mais le présent article qui brosse un tableau peu reluisant de la plupart de nos enseignes commerciales et administratives dénonce une incurie tout aussi condamnable. Nous avons sillonné nombreuses villes tunisiennes, les rues les plus animées et celles où se concentre l'essentiel de l'activité économique et bureaucratique du pays. Les boutiques, les magasins et les bureaux qui se font annoncer décemment, proprement et élégamment y sont plutôt rares. Même sur les avenues principales des grandes métropoles, même dans les villes touristiques les plus accueillantes, vous êtes comme condamnés à croiser quelques enseignes indignes de notre pays dont nous voudrions pourtant renvoyer la plus belle et la plus honorable des images. La propreté et la splendeur de la Tunisie tient entre autres à ces détails urbanistiques que représentent les panneaux renseignant sur un local et sa raison sociale. Lumineuse ou pas, une enseigne est à elle seule un ensemble de signes, un livre ouvert dirions-nous, à travers lesquels vous pouvez deviner la personnalité, la culture et le goût de celui qui les a conçus et de celui qui les a choisis. Il est vrai que de nos jours, les enseignes coûtent de plus en plus cher ; mais personne ne demande à nos commerçants ni à nos administrateurs d'en commander les plus sophistiquées ni les plus voyantes.
Mauvais goût, incurie et bric-à-brac Ce qu'on voudrait voir disparaître, ce sont ces écriteaux en bois moisi, ou en métal rouillé qui chancellent au-dessus des têtes des passants. Parfois, ils sont placés trop bas et tiennent à un vieux fil de fer ou seulement à un bout de tissu. En plein cœur de Tunis, une administration relevant du Ministère de l'Education et de la Formation accroche son enseigne au moyen de deux morceaux de bois et d'une fragile tige métallique. D'autres panonceaux sont bourrés d'incorrections de tous genres : ici on relève des problèmes avec les accents graves et aigus comme sur cette enseigne à l'entrée d'une administration publique dépendant du Ministère des affaires sociales et située au cœur de la capitale ; là-bas, c'est l'orthographe française qu'on applique à la langue de Shakespeare ; ailleurs, on fait fi des règles de l'accord au féminin et au pluriel ; ou alors on invente ses propres structures arabes, latines, anglo-saxonnes ou germaniques. Quelquefois, l'enseigne perd, sous l'effet des intempéries ou bien à cause d'un défaut de fabrication ou d'installation, ses couleurs et quelques unes des lettres qu'on y avait transcrit. A telle enseigne ( !) d'ailleurs qu'il devient difficile d'y lire un message ou un nom intelligibles. Lorsque le support de l'écriteau est en verre, il faut toujours s'attendre à ce qu'il soit entièrement ou partiellement brisé et qu'il le reste le plus longtemps possible. Si par miracle, il échappe à l'éclatement, c'est surtout parce que personne ne s'est rendu compte de son existence tant il est noir de crasse. A propos de saleté, nous avons constaté que les stores qui tiennent lieu d'enseignes ne sont presque jamais nettoyés. Entre la rue Charles de Gaulle et la Rue d'Espagne, nous avons dénombré plus de 60 stores crottés. Les autres sont soit effilochés, soit démontés, soit franchement éventrés. Certains magasins ont encore leurs enseignes d'il y a 50 ans sur lesquelles vous avez de la peine à déchiffrer les numéros de téléphone à cinq chiffres ! D'autres n'ont pas du tout d'enseignes alors que le commerce voisin en arbore une ou plusieurs qui vous cachent le nom de la rue et l'entrée de bien d'autres locaux. Les murs latéraux comme ceux de la façade peuvent porter toutes les inscriptions possibles. On recourt alors à un calligraphe pour les noircir ou bien on s'y prend tout seul à la main : le gribouillis que cela produit est alors des plus cocasses ! Dans ce sinistre décor, il faut tout de même reconnaître à certains pharmaciens, lunetiers et opticiens qu'ils entretiennent convenablement leurs façades et leurs vitrines. Les banques et les boutiques de luxe seraient presque sans reproches sans cette excentricité qui leur fait adopter des noms et des orthographes par trop déracinées. Nous déplorons tout de même que les responsables de certains espaces à vocation artistique n'exigent aucun art dans la conception de leurs enseignes. Badreddine BEN HENDA
Ce que dit le règlement Nous avons contacté un ami maire pour avoir quelques précisions sur les règlements en vigueur concernant les enseignes ; voilà ce qu'il nous a appris : Celles-ci ne sont obligatoires que dans certains cas de métiers ou services, notamment ceux qui sont en rapport avec la santé des citoyens. L'installation d'une enseigne est payante et le montant à débourser est calculé en fonction de la surface occupée par le panneau. Cette taxe varie d'une municipalité à l'autre ; mais elle est plus élevée dans les zones touristiques. Sur le plan esthétique, les enseignes ne sont pas soumises à des règles précises ; en revanche l'arabe doit y prévaloir sur toute autre langue. Est-ce toujours le cas ? Les contrevenants se compteraient par milliers si un recensement était effectué dans ce sens ! Depuis un certain temps déjà, nos commerçants boudent l'arabe jugé comme démodé pour adopter les langues en vogue et parfois celles qui évoquent des contrées exotiques ! B.B.H. Drôle de hit-parade Si l'on organisait un concours ou un hit-parade des enseignes les plus inesthétiques, on placerait en tête celles des mécaniciens et des plombiers. Celles qui comportent le plus d'incorrections seraient celles des marchands de fruits secs et des réparateurs de matériel électronique et informatique. Les incorrections les plus fréquentes seraient « reluire » à la place de « reliure », « pinture » au lieu de « peinture », et «sallon» pour « salon ». Les appellations les plus ridicules se lisent surtout sur les enseignes des bouchers : vous pouvez ainsi acheter votre viande à « la boucherie de la jeunesse » ou chez « le boucher des copains » ! Mais de l'humour moins noir, on n'en trouve presque pas sur nos enseignes. C'est, que dans l'état où elles sont et avec les maladresses qu'elles recèlent, celles-ci sont suffisamment grotesques pour susciter plus de rires que de pleurs ! B.B.H. Nos enseignes by night En dehors de la saison estivale, et mis à part quelques sites touristiques, la plupart de nos villes ne se reconnaissent la nuit que grâce à l'éclairage public qui illumine leurs artères. Ce sont rarement leurs enseignes lumineuses qui les annoncent aux visiteurs nocturnes. En effet, celles-ci sont soit éteintes par mesure économique, soit totalement ou partiellement détraquées. Eborgnées, elles clignotent faiblement à certains endroits et laissent les autres dans l'obscurité totale. Du coup, au lieu d'y lire une inscription intégrale, on n'y peut en déchiffrer que le tiers ou la moitié. De telles défectuosités sont tellement fréquentes dans nos cités que celles-ci finissent par ressembler à une agglomération de… rébus !