Elle n'avait aucune apparence suspecte cette bonne-dame qui faisait du stop sur la voie publique. Une seule chose pouvait cependant prêter à équivoque, l'heure tardive pendant laquelle elle s'est attelée à la tâche. Mais peut-être travaillait-elle de nuit, ou devait-elle se rendre chez un membre de la famille, malade ou pris d'un malaise soudain ? Toujours est-il que même si on en acceptait l'augure, on ne pouvait en être tout à fait convaincu vu son allure décontractée et son accoutrement qui sortait légèrement de l'ordinaire. On opterait plutôt pour une soirée à laquelle cette dame aurait été invitée chez des amis ou des proches. Les automobilistes continuaient leur chemin sans prêter attention au signal qu'elle faisait à l'aide de son pouce, tendu depuis plus d'une demi-heure. Brusquement un automobiliste s'arrêta à son niveau et la jeune s'engagea dans le véhicule sans hésitation ni salamandres. Mais le conducteur est arrêté quelques mètres plus loin par la police des mœurs qui épiait la bonne-dame depuis quelque moment. L'auto-stoppeuse est accusée de racolage et le conducteur de complicité. En l'occurrence le complice est considéré comme proxénète, s'il s'avère qu'il a aidé, protégé ou assisté la racoleuse. Le fait pour lui de s'arrêter dans l'intention d'embarquer cette dernière est une manière de l'encourager, de l'assister ou de l'aider. En fait le racolage est prévu est puni par le code pénal en vertu des articles 231 et suivants. Mais le fait pour une dame de faire de l'auto-stop suffit-il à lui seul pour établir cette infraction infamante ? Bien sûr que non, car il faut qu'il soit prouvé en vertu de l'article 231 précité, que cette auto-stoppeuse avait fait des avances attentatoires aux bonnes mœurs en vue d'obtenir une contrepartie en numéraire ou en nature. Un dîner au restaurant peut être retenu comme une contrepartie en nature justificative du délit de racolage. En outre, il ne s'agit pas d'une infraction d'habitude, car il est stipulé dans ce même article : " ... les femmes qui, par gestes ou par paroles, s'offrent aux passants ou se livrent à la prostitution même à titre occasionnel, sont punies de 6 mois à 2 ans d'emprisonnement et de 20 à 200 dinars d'amende. " Cependant il reste à prouver l'élément moral de l'infraction c'est-à-dire l'intention de l'intéressée et de son complice. S'il s'agit d'une dame qui fait du stop pour la première fois, sa bonne foi est présumée, et celle de l'automobiliste également. S'agit-il d'une dame qui cherche tout simplement à faire des amitiés, sans contrepartie pécuniaire ou en nature ? En fait, les cas diffèrent même si le manège est le même. Dans ce cas d'espèce l'auto-stoppeuse s'avéra bel et bien faire du racolage, car elle avait des précédents en la matière. Quid cependant de l'automobiliste ? En l'occurrence il clama son innocence en affirmant mordicus que son geste était innocent, étant galant et philanthrope de nature. Il fut considéré comme un complice passif, étant donné que nul n'est censé ignorer la loi, et un homme prévenu en vaut deux. Les automobilistes qui avaient continué leur chemin étaient en effet plus avertis et avaient évité de la sorte de s'engager dans des chemins tortueux et incertains. Cet automobiliste ne cessait de répéter en effet qu'il n'avait nullement soupçonné cette bonne-dame. Mais dans le doute, ne vaut-il pas mieux s'abstenir ?