Au cours de « la semaine du rire » qui s'est déroulée récemment en Tunisie, plusieurs humoristes étrangers, qui visitaient notre pays pour la première fois, n'ont pas manqué de relever un phénomène nouveau : le nombre croissant d'automobilistes qui grillent volontairement les feux rouges. L'un de ces humoristes s'est même permis de déclarer « les feux rouges à Tunis sont facultatifs ou quoi ? » Rires dans la salle, mêlés d'un sentiment de malaise…Tour d'horizon dans le monde agité des chauffards… Cette situation est nouvelle, car jusque-là, les conducteurs tunisiens respectaient les feux et seuls quelques jeunes chauffards se permettaient un tel outrage aux règles de la cité. Et c'est un taximan qui nous a donné la première indication sur les raisons d'un tel comportement irresponsable. Il a en effet constaté que « cette situation a empiré depuis que le nombre de voitures est monté en flèche dans la capitale, occasionnant des embouteillages permanents, jour et nuit… » Des feux à griller sans modération Du coup, « les jeunes et même de nombreux adultes et des femmes frétillent d'impatience lorsqu'ils sont devant les feux, et se permettent de les griller, mettant en danger leur vie et celle des autres conducteurs. Ils sont pressés, donc ils sont agressifs. » Et un bref moment passé à observer les voitures devant un feu finit par convaincre les plus incrédules à accepter cette réalité nouvelle. Mais il y a d'autres raisons à ce manque de respect au code de la route et c'est un moniteur d'auto-école qui remarque : « la plupart de ceux qui passent leur permis de conduire et qui le réussissent ne reçoivent pas de formation en comportement civique. En outre, pour eux, la voiture c'est un jouet, un instrument pour frimer devant les copains ou devant les filles. » Et c'est vrai qu'ils sont souvent inconscients ces jeunes. Amoureux de la vitesse, impatients et souvent agressifs sur la route, ces chauffards sont une race à part. Ils possèdent souvent des voitures puissantes et ils s'en servent de façon abusive pour en mettre plein la vue aux copains ou à la petite copine. Certains nous ont confié des réflexions qui feraient dresser les cheveux de l'examinateur qui lui a donné son permis… Ce qui étonne de prime abord dans le discours de cette jeunesse dorée, c'est l'indifférence, voire l'inconscience dont ces têtes brûlées font preuve face au danger potentiel que représente une voiture. C'est à croire qu'on leur a offert une Playstation et ils s'en servent d'ailleurs comme telle. Le danger ? « C'est ce qui me branche », annonce Sami, 22 ans, étudiant et appartenant à un milieu plutôt aisé. Il reconnaît griller des dizaines de feux rouges par jour, surtout lorsqu'il n'y a pas d'agent. Le civisme, le respect de la règlementation, la conduite sage, la sécurité, « c'est pour les vieux et les femmes. Moi j'ai besoin de cette poussée d'adrénaline pour vibrer, pour me sentir vivant... » Il faut dire que sa voiture est une véritable boîte de nuit ambulante, qui déverse des décibels assourdissants et empêche toute concentration. On ne vit qu'une fois Il faut dire que les spots et les slogans de la sécurité routière se sont ringardisés et usés depuis longtemps, ne touchant plus leur cible, tant leurs messages sont soporifiques ou mal ficelés. Ils n'ont d'ailleurs aucun impact sur ce type de conducteurs inconscients. Le même jeune homme affirme « ces spots ne me touchent pas, c'est juste pour faire peur à ceux qui ne savent pas conduire. » Plus inconscient tu meurs… Ce qui est grave justement chez ces conducteurs, c'est leur inconscience. Ils se comportent comme des gangsters des routes, mais vous tiennent des propos angéliques. Un autre jeune étudiant aisé, qui fréquente assidument les restaurants huppés, assure que la voiture c'est « on ne vit qu'une fois et moi je veux vivre à cent à l'heure, avec toute l'intensité possible. » Pour lui, la ceinture de sécurité ne sert à rien. Boire et conduire ce n'est pas forcément contradictoire. « Téléphoner, boire, manger, fumer, discuter avec les autres passagers, écouter la radio, regarder des affiches publicitaires » : toutes ces choses qui font perdre à l'automobiliste ses facultés d'attention sont « normales » pour lui. A cela s'ajoute l'excès de vitesse, l'une des principales causes d'accidents enregistrés régulièrement sur nos routes. Il semble ignorer que les véhicules sont de véritables engins de mort. Il a développé « une allergie à l'autorité » et la peur du policier ou du gendarme ne semble pas l'inquiéter outre mesure. Il grille les feux même lorsqu'il n'est pas pressé, il change de file sur un coup de tête, le clignotant il ne sait pas ce que c'est… On constate même que de plus en plus de conducteurs voyous grillent volontairement les feux rouges mettant la vie des autres en danger et adressant souvent des gestes grossiers aux conducteurs arrêtés au feu. Une dame a failli se faire agresser car elle avait klaxonné très fort pour protester contre un jeune qui lui a brûlé la politesse. Elle se souvient : « ils étaient deux et ils m'ont poursuivie en voiture pendant plusieurs centaines de mètres. J'ai failli avoir une crise cardiaque, car c'était le soir et il y avait peu de monde dans le quartier. Je n'ai jamais été aussi heureuse de rentrer chez moi. » Ainsi, dans la jungle urbaine, conduire une voiture, c'est s'exposer à une longue série d'insultes, de coups de volant, de freinages un peu brutaux… Le pire, c'est que ces chauffards dont les tristes exploits menacent nos vies, sont imperméables à la prévention et ne sont pas dissuadés par les sanctions. Ils semblent imperméables aux diverses campagnes de sensibilisation. La plupart de ceux que nous avons interrogés estiment que nos automobilistes manquent de courtoisie au volant, aussi bien vis-à-vis des piétons qu'avec les autres conducteurs. Le plus étonnant, c'est qu'ils considèrent que les autres sont de mauvais conducteurs mais la plupart des interrogés estiment faire partie des bons élèves. Et une fois redevenus piétons, ils se plaignent des automobilistes ! Ce cauchemar pour ceux qui prennent une voiture parce qu'ils y sont obligés doit être freiné, à défaut de disparaître. Quant aux chauffeurs de bus et de taxis, aux heures de pointe ils sont vraiment à plaindre. Bon nombre d'entre eux tombent malades à cause du stress. Une suggestion pour terminer : pourquoi ne pas confisquer les véhicules pour sanctionner les comportements les plus graves ? Après tout, on peut considérer qu'une voiture qui grille un feu rouge ou qui fait de la vitesse, c'est l'équivalent d'une arme dangereuse, puisqu'elle tue un grand nombre d'innocents…