Quand tombent les masques, c'est généralement qu'ils ne servent plus à grand-chose. Car s'ils en viennent tôt ou tard à tomber ; si avec une stupéfiante candeur Hassan Nasrallah peut tranquillement affirmer – et confirmer ! – à la revue égyptienne al-Arabi que toute cette agitation dans le centre-ville de Beyrouth a pour raison d'être l'affaire du tribunal international, c'est que lesdits masques n'avaient vraiment plus rien à masquer. Voilà qui jette une lumière un tant soit peu nouvelle sur le programme à géométrie variable de l'opposition : variable jusqu'à l'utopie désormais. Que signifie en effet cette exigence, devenue soudain prioritaire, d'élections législatives anticipées, quand la tenue d'un tel scrutin est du ressort exclusif du gouvernement et du Parlement, tous deux contrôlés par l'actuelle majorité ? Passablement irréaliste elle aussi, au demeurant (car elle requiert, pour être effective, pour que Lahoud puisse être traîné devant l'Assemblée, une introuvable majorité de deux tiers des députés) est la pétition parlementaire lancée hier contre le président de la République. Qui en refusant de contresigner le décret fixant la date d'élections partielles dans le Haut-Metn, en vue de pourvoir le siège rendu vacant par l'assassinat du jeune député et ministre Pierre Gemayel, a – cela devient une habitude – violé la Constitution. Toutes ces manœuvres et gesticulations, auxquelles on se livre d'un côté comme de l'autre, ne sauraient cacher la déprimante réalité : bien davantage qu'entre les protagonistes locaux de la crise, c'est hors de nos frontières que se joue la médiation libanaise de Amr Moussa. Le secrétaire général de la Ligue arabe, revenu hier à Beyrouth, s'est entretenu ces derniers jours avec les dirigeants d'Egypte et d'Arabie saoudite ; il entretient, selon ses propres termes, des contacts avec les Iraniens ; et il se rendra demain à Damas pour y rencontrer Bachar el-Assad, rentré entre-temps de Moscou où l'avait précédé, la semaine dernière, Fouad Siniora. Tous ces conciliabules, il est désormais établi qu'ils portent moins sur le fonctionnement harmonieux de notre précaire démocratie que sur les implications qu'aurait la mise en place du tribunal international – encore lui – appelé à statuer sur les crimes commis contre le Liban. La Syrie n'a jamais cessé de marquer sa défiance d'une telle cour ; fidèlement relayée par ses alliés libanais, elle a très tôt crié à la politisation de l'enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri, laquelle devait s'étendre par la suite à divers autres attentats criminels. En réalité, c'est la Syrie elle-même qui aura politisé à outrance cette question, tant il est vrai en effet que qui se sent morveux se mouche. Débarrassé de Detlev Mehlis qui l'avait pointée du doigt, à court d'arguments face à la démarche résolument discrète et même secrète de son successeur Brammertz, Damas a néanmoins marqué des points sur trois tableaux. De ce dossier il a réussi à faire d'abord une pomme de discorde libanaise, même si nul de ses disciples ne se hasarderait décemment à plaider carrément l'impunité pour les assassins. Adossée à l'épouvantail iranien, la Syrie en a fait ensuite un grave dilemme pour les Etats modérés arabes, visiblement déchirés entre leur aversion pour le régime baassiste et leur peur panique d'un vide syrien qui serait promptement comblé par les intégrismes. Au plan international enfin elle vient de s'assurer, semble-t-il, une bonne dose de compréhension de la part de la Russie. Comme du temps de son père et prédécesseur, c'est de Moscou qu'Assad sollicite des armes. Mais c'est avec Washington qu'il brûle de renouer le dialogue ; en prime, il va jusqu'à interpeller Olmert par voie de presse pour demander une reprise des pourparlers de paix, pour l'inviter même à le prendre au mot, à le mettre à l'épreuve, à constater qu'il n'est pas en train de bluffer. Soucieux de reprendre pied au Proche-Orient au moment précis où l'influence américaine est battue en brèche, le Kremlin est naturellement en quête de protégés ; mais pour se faire écouter, il a surtout besoin d'amis. Et pour cela, il est tenu à l'obligation de respectabilité internationale, laquelle va dépendre pour beaucoup de sa gestion du dilemme syrien. À l'ONU, où elle détient un droit de veto, la Russie a déjà réclamé et obtenu, c'est vrai, une version allégée du tribunal international, accordant une assez large immunité aux chefs d'Etat éventuellement impliqués dans cette série d'attentats. Cette version cependant, la Russie l'a votée sans réserves, elle est absolument engagée par ce vote. Et elle ne saurait se dédire sans dégâts, même si Vladimir Poutine a l'air de découvrir la poudre en soulignant, devant son hôte, le rôle important de la Syrie dans la région du Proche-Orient. Important ? Exportant surtout, Monsieur Poutine, là est précisément le problème et mieux que quiconque, les Libanais peuvent en témoigner.