C'est Béchir Drissi, homme de théâtre et mon ami qui m'envoya ce message «Fayçal El Karoui edwem lilleh». Il fût relayé par Lassaâd Bank qui me transmit exactement le même message. Puis c'est au tour de Tigana de m'appeler «Es-tu au courant pour Fayçal ? « «Oui mais où et quand aura lieu l'enterrement ?» «Je vais aller chez lui pour m'informer et je te rappelle». Avant qu'il ne le fasse, c'est Béchhir qui m'expédia un deuxième message : «Fayçal El Karoui Edwem lilleh et Jeneza baâd El Asr fi Ejallez». J'avais l'impression qu'on était dimanche. Un dimanche gris. Je ne réalisais que très vaguement que ce jeune homme qui fréquentait»le Florence» avenue de Carthage, comme beaucoup parmi nous en ces temps-là et que j'avais rencontré furtivement à Sousse au mois de Janvier 1978, alors que le pays était sur le point d'exploser, ne fait dores et déjà, plus partie de ce bas monde. Que je ne l'entendrais plus jamais souffler dans son saxophone donnant de la couleur à la vie terne monotone des faux vivants que nous sommes. Il ne viendra plus le dimanche partager quelques rougets avec ses amis ni quelque fois en fin d'après-midi pour qu'on écoute ensemble un peu de musique. Il était réservé, exigeant et à la fois très permissif dans ses amitiés. Depuis quelques mois les signes de l'affreuse chose avaient pris son visage d'assaut. Puis cela s'est calmé un peu. Son visage est redevenu normal malgré une tristesse toute en éclat de soleil froid dans ses yeux. Il ne parlait jamais de sa maladie. Personne n'osait lui en parler non plus. Par pudeur mais aussi et surtout par respect de lui-même et des autres. Quand il arrivait que ses descentes en ville s'espaçaient dangereusement, il informait un de nos amis communs qu'il allait descendre tel ou tel jour pour nous voir. Nous l'attendions ! Nous n'aurons plus à l'attendre aujourd'hui. C'est triste. C'est terrible pour sa famille et ses filles et pour son petit garçon âgé de huit ans à peine avec qui il passait beaucoup de temps. Ses plantes et ses fleurs qu'il dorlotait et chérissait seront tristes aussi. Les plantes ont une âme aussi. Je l'ai entendu jouer deux fois. Une fois à la Maison du journaliste par une belle journée d'hiver ensoleillée. Une autre, il avait joué pour mon fils pendant près d'une heure dans un lieu public ou se rassemblaient artistes et hommes de plume. La première fois, il avait surfé sur des airs traditionnels tunisiens. La seconde, il nous avait fait découvrir la musique qui l'habitait. Sans trop parler de sa lutte pour parfaire son art, l'on savait qu'il travaillait beaucoup. Il aimait la musique. Sa vie fut à plusieurs étapes cruellement découpée. Il a roulé sa bosse par-ci par-là, jouant dans les hôtels à Monastir ou participant avec tel ou tel groupe d'artistes. Ces derniers temps, les choses commençaient à se calmer et à prendre le chemin qu'il désirait. Il recommençait à composer, à se produire ici ou à l'étranger. Secrètement, il était fier chaque fois qu'il revenait d'un pays parce que ses habitants ont connu et apprécié sa musique qui n'était pas la sienne dans ces cas-là mais celle de son pays. La tendre et chère Tunisie qui va l'accueillir ce samedi gris qui n'est qu'un faux dimanche avec son spleen et son ciel lourd de larmes dans la terre ou il avait pris racine. Ces derniers temps, les choses semblaient aller au mieux et c'est alors que l'affreuse chose a redoublé de violence et que la mort a frappé. La mort ne fait pas de cadeau. La vie non plus ! Adieu mon ami.