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Avec Edgar Morin (3) : l'étranger dans tous ses états
Grands entretiens
Publié dans Le Temps le 13 - 04 - 2010

Le Temps : Historiquement, la France est composée de maintes provinces ayant chacune sa culture et sa langue : le provençal, le basque, le celte, l'alsacien, l'occitan, etc. Or, le modèle d'Etat-nation en France, pour s'imposer face à cette pluralité, a inventé des formes culturelles conformes à ses dogmes et mythes de fondation et a imposé une "orthodoxie" culturelle qui a réduit cette pluralité à l'état de résidus. Pensez-vous qu'un tel Etat puisse assumer les défis politiques et intellectuels qu'impose la prise en charge de la pluralité, celle d'hier et d'aujourd'hui ?
C'est une question bien difficile. Considérons le modèle français tel qu'il s'est constitué dans l'histoire et, singulièrement, dans notre siècle. Pourquoi dans l'histoire ? Parce que le phénomène original de la France, c'est la francisation. Au départ, il y a un petit souverain qui règne sur l'Ile de France et l'Orléanais avec une langue, le francien, et qui va agrandir ses territoires. La France se constitue en intégrant des ethnies extrêmement hétérogènes, Alsaciens, Corses, Languedociens, Basques. Il a fallu un travail séculaire d'intégration, la multiplication des communications, la guerre aussi. Après la Révolution, la levée en masse pour le service militaire obligatoire ont fait fraterniser des personnes venues des différentes provinces... Le processus historique a pris un aspect sectaire au début du siècle, dans l'enseignement primaire laïc et obligatoire, où il était interdit de parler breton ou basque… Mais quoique la France fût une nation très centralisée, ces provinces ont conservé beaucoup d'originalité ; elles ont longtemps gardé leurs langues, certaines encore aujourd'hui. L'identité provinciale reste très forte, notamment avec les accents. Certes, elles étaient menacées. C'est pourquoi, pour se sauvegarder, elles se sont exprimées à travers les mouvements régionalistes, comme en Bretagne, etc.
Le deuxième processus de francisation a commencé à la fin du dix-neuvième siècle. Pour des raisons de faiblesse démographique, alors que les autres pays européens étaient des terres d'émigration, que les Italiens ou les Allemands partaient en Amérique, la France va accueillir des immigrés des pays voisins. Bien entendu, tous les immigrés ont subi au début des phénomènes de rejet xénophobe très violents, y compris les Italiens à Marseille, mais il y eut cette machine à intégrer qu'est l'école…
L'histoire de France est très riche, une histoire extraordinaire de vie et de mort : tant de fois la France risque de mourir, puis elle ressuscite, les Anglais la dominent et arrive une bergère qui la sauve, c'est Jeanne d'Arc ; ça recommence avec de Gaulle... Il y a l'épisode de la Révolution qui apporte à l'identité française un gène (si je puis faire cette comparaison génétique) d'universalité avec l'idée des droits de l'homme. "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit"...
Avec cette machine à intégrer qu'est l'école, on se sent Français dès la deuxième génération. On incorpore l'histoire du pays… La machine a tout de même fonctionné pour les Italiens, les Espagnols et les Juifs, une fois laïcisés. S'ils restent dans la religion, ils s'y enferment ; la loi de Moïse prescrivant de ne pas fréquenter les autres. Il faut être laïcisé pour accepter que le jour de congé soit le dimanche et se nourrir de la nourriture commune.
Le processus d'intégration française suppose la laïcisation, ce qui ne veut pas dire l'abandon de la foi religieuse. La religion devient une chose privée et non pas politique…
La France est double, une France républicaine, de gauche, ouverte à l'intégration des immigrés, une France de droite, réactionnaire, qui parle d'invasion de métèques, de youpins ou de bicots…
J'en arrive à votre question. Il existe dans le monde deux modèles d'intégration, l'américain et le français.
Aux Etats-Unis, l'intégration est, dans un sens, plus facile, il n'y a pas de passé historique profond donnant une singularité forte. Les Etats-Unis sont une nation d'immigrés. Qu'est-ce qui a joué ? Premier facteur d'intégration, c'est le mythe de l'Amérique, les immigrants sortaient d'un monde de pauvreté, de misère et d'oppression. Ils allaient avoir leur chance. Il y a aussi la Constitution des Etats-Unis, l'idée d'un monde où on est libre. Il y a enfin le rôle énorme des médias : le cinéma et la télévision ont donné une multitude de modèles de conduite. Aussi différents soient-ils, les gens ont les gestes des acteurs, pour leurs déclarations d'amour, pour les mille petits riens de la vie quotidienne. Quand vous voyez les Américains aujourd'hui, ils se comportent comme des acteurs des séries télévisées. Bien entendu, il y a la dialectique : plus on dit shit et fuck dans la rue, plus on le dira à l'écran, et plus on le dit à l'écran, plus on le répétera dans la rue... Avec ces deux mots-là, vous pouvez dire tout ce que vous voulez. Dans ce cadre de l'american way of life, les Américains gardent les communautés nationales d'origine: Polonais, Italiens, Irlandais, avec une très forte connotation religieuse…
Il existe donc un modèle des Etats-Unis, mais il est inassimilable en France, comme le modèle français est inassimilable aux Etats-Unis. On ne peut pas faire de cocktail ni de compromis. Le modèle français comporte un certain universalisme, mais demande d'obéir à ses règles propres. Et le communautarisme ? Je crois qu'il commence à se faire à pas lents. Pourquoi ? En fonction des facteurs que j'ai cités, comme la reconnaissance des provinces françaises et leur retour à l'existence, ou la reconnaissance des qualités gastronomiques du couscous et des restaurants asiatiques. On a dit d'abord : "Qu'est ce qu'ils bouffent ces gens-là ? !" et puis, maintenant, vous allez dans n'importe quelle épicerie de France et vous trouverez du taboulé qui vient du Liban, du tarama qui vient de Grèce ou de Turquie, du couscous. J'y vois un indice, dans ce pays de vieille tradition gastronomique…
Ne croyez-vous pas que le modèle américain laisse une place beaucoup plus importante à la figure de l'étranger, comme au cinéma, alors que le modèle français s'est construit hors de toute référence positive à l'étranger ? Vous parliez de Jeanne d'Arc et l'on sait comment ce mythe, apparemment mobilisateur, est accaparé. Le rôle des étrangers dans la construction de la nation et de l'histoire françaises demeure largement absent dans l'enseignement. Gérard Noiriel a bien souligné comment l'immigration a été trop longtemps un non-lieu historique et scientifique en France. Aux Etats-Unis, l'Ecole de Chicago a investi le thème de l'immigration dès les années vingt, donc beaucoup plus tôt qu'en France. Comment l'expliquer ? Ne croyez-vous pas qu'il y a là une question importante qui demeure sous analysée ?
Les Etats-Unis ont été faits par des non-Américains. Tous, dans ce pays, sont des étrangers devenus américains. L'école sociologique empirique de Chicago, que vous citez, a étudié ce thème alors qu'il n'y avait pas d'études empiriques dans la sociologie française à la même époque.
Ce qui me frappe par ailleurs, c'est le rôle des étrangers dans l'histoire de France: Mazarin, Premier ministre de Louis Quatorze, Marie de Médicis, Jeanne d'Arc elle-même était presque étrangère, elle venait de Lorraine qui était périphérique. La France a un fondement mythique très ambigu, le mythe gallo-romain. À l'école, on apprend à vénérer Vercingétorix. Les Gaulois étaient très divisés et il a essayé de les unifier pour résister aux Romains. Il a été vaincu, enchaîné, il est mort en prison à Rome. On vous apprend : "Aimez Vercingétorix !" Les Français devraient donc haïr Rome. Pas du tout, puisqu'en même temps, on leur dit qu'elle a apporté la civilisation à la Gaule. On nous demande d'intégrer les gentils Romains civilisateurs qui sont pourtant les méchants Romains qui ont tué Vercingétorix. Quant aux Francs, c'étaient des barbares germaniques qui arrivaient comme des étrangers. Clovis a été intégré parce qu'il a été baptisé. À l'origine de la notion de France, vous trouvez un mélange étranger, alors que Rome a été fondée par deux frères latins, Romulus et Rémus.
De même, la francisation est un phénomène dont les gens ne sont pas conscients. Au fond, ce sont des étrangers qui sont devenus français et même aujourd'hui encore, un tiers des Français sont d'origine immigrée…
Dans la culture américaine, les films et les séries montrent des personnages au nom étranger. Les héros ont des origines ethniques différentes, mais ils sont tous américains. On le voit beaucoup moins en France, même si ça commence. Je sais qu'il faudrait réfléchir à cette question que vous posez sur la place de l'étranger. Il se trouve que j'ai fait, il y a très longtemps, un rapport pour l'UNESCO, quand je m'occupais de cinéma au CNRS, sur l'étranger dans les films, dans un but de compréhension internationale. Je m'en souviens très mal. Il n'a jamais été publié, des diplomates avaient pensé qu'on offenserait leur pays en montrant que l'étranger y était présenté de façon péjorative. Ainsi, entre les deux guerres, il y avait toujours dans les films français un Levantin adipeux, sournois, dégueulasse qui était toujours le mauvais. Ça s'est beaucoup atténué. Je ne sens pas bien cette question, il faudra y réfléchir
Hassan Arfaoui


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