Si « Diphile », le héros des « Caractères » de la Bruyère, « commence par un oiseau et finit par mille », « Hamster » était contre le principe de priver ces volatiles de liberté. Il les attrapait seulement pour les baguer et les relâcher par la suite. « Halima », était, par contre, férue de rongeurs, et c'est ce qui explique le sobriquet qui lui avait collé depuis qu'elle était à l'école primaire. Cela fait un bail puisqu'à 80 ans passés, la seule fortune qu'elle avait, était un lot de Hamsters et de souris blanches qu'elle gardait dans un endroit aménagé pour la cause au coin de la cuisine de son appartement. Elle était restée toute seule après la mort de son mari, et n'ayant pas eu d'enfants, elle avait grande satisfaction morale de s'être sacrifiée corps et âme à s'occuper des bêtes. Dans son appartement exigu elle avait au moins une quinzaine de chats et un berger allemand qui s'entendaient à merveille. Bien plus, la chienne adoptait les petits chatons, grâce à cette vieille dame qui a su dresser toute cette faune, avec amour et affection. Elle sortait à des heures fixes pour aller donner à manger aux bêtes nécessiteuses qui connaissaient le moment où elle venait dans le jardin public plus ou moins déserté. Des chats de toutes sortes l'attendaient avec impatience. Elle leur amenait une nourriture variée qu'elle leur procurait en fonction de ses moyens, qui étaient du reste très limités. Un jeune homme qui l'avait remarquée venait s'asseoir à côté d'elle sur le banc public, émerveillé par son dynamisme et sa bonté. Emmitouflée dans son pardessus râpé, mince, le visage étique, avec de grands yeux bleus derrière des lunettes d'écaille qui lui occupaient presque tout le visage, elle engagea une discussion avec le jeune homme. « Cela fait des années que je viens ici pour donner à manger aux chats et aux pigeons. Il faut bien que quelqu'un s'occupe de ces chats de gouttière qui n'ont personne pour le faire. C'est leur chance. C'est la vie. Il y a des chats de salon qui sont bien au chaud, et qui n'ont pas de souci ! j'en ai chez moi aussi. Je les aime bien, mais j'ai un faible pour ces bêtes abandonnées. Vous savez, elles aussi réalisent bien leur situation. Elles ont des sentiments exactement comme les humains. Voyez-vous, là certains chats me connaissent bien. J'ai même baptisé certains, qui répondent à leurs noms ». - « Vous êtes une dame extra-ordinaire !, lui dit le jeune homme ébloui » - « Non, je suis un être humain normal. Aimer les bêtes, c'est tout ce qu'il y a de plus humain. - « Vous me rappelez le petit prince de Saint Exupery », lui dit le jeune homme ! - « Vous l'avez lu ? Ah, c'est bien. J'espère que vous en avez saisi le sens profond. Ce petit bonhomme qui rencontra l'aviateur, était en quelque sorte d'origine extra-terrestre, puisqu'il vivait sur un astéroïde. Puis d'astéroïde en astéroïde où il vit tant de choses et rencontra plusieurs personnalités, du roi raisonnable, au vaniteux ou au propriétaire d'étoiles, qui passait le temps à les compter, il échoua sur la planète terre. Et là, avant de rencontrer l'aviateur dans le désert, il rencontra des animaux dont un renard qui voulait être apprivoisé. Ce fut celui-ci, une fois apprivoisé qui lui apprend « qu'on est » responsable de ce que l'on a apprivoisé », et puis « on ne voit qu'avec le cœur ». C'est extraordinaire non ? C'est l'amour. L'amour de l'autre, l'amour c'est un humanisme. Moi, ces pauvres bêtes, je ne les vois qu'avec mon cœur. Comme le petit prince qui écoutait attentivement l'aviateur, le jeune homme le faisait avec admiration pour cette vieille dame. « Je compte sur toi pour prendre la relève ! Tu es jeunes et la jeunesse, c'est le printemps de l'humanité ». Le jeune homme était au bord des larmes. Il avait envie de lui dire : Et vous qui s'occupe de vous ? Mais il n'osa pas le faire, surtout qu'elle lui lança : « moi, j'ai plus de quatre- vingt ans. J'ai le temps de me reposer. Je ne demande plus rien, car c'est l'amour qui me fait vivre et qui m'a toujours laissé garder espoir dans la vie et surtout dans l'être humain ! ».