Dans le cadre de la 19ème édition du Mois du Patrimoine, célébrée cette année sous le thème « La sauvegarde du patrimoine, responsabilité de tous », l'Assidje (Association pour la Sauvegarde de l'Île de Djerba ), pour ne point déroger à la règle, a défini un programme d'actions à réaliser pour la circonstance. L'évènement intervient à un moment où le besoin de sauvegarde et de récupération de quelques composantes phares du patrimoine insulaire, plus que jamais sous le coup de la marginalisation et de la disgrâce, se fait de plus en plus pressant. Dans le choix des thèmes devant être débattus au cours des manifestations à organiser et des questions faisant l'objet de réflexion, il a été question de prendre en considération la situation de déchéance et d'agonie dans laquelle sombrent certains éléments clés du patrimoine matériel bâti, en l'occurrence, le menzel, la mosquée, l'atelier de tissage et le pressoir à huile, et ce, du fait tant de l'insouciance du citoyen que de l'absence d'un cadre juridique contraignant et dissuasif. Le programme a prévu pour les deux premières semaines, soit les 24 et 30 avril, des visites de découverte de l'état des lieux destinées au public scolaire pour le sensibiliser, et la tenue au cours des deux dernières semaines, soit le 08 et le 15 mai, de deux ateliers de réflexion auxquels seront conviés les adhérents de l'Assidje et les décideurs institutionnels. Il va sans dire que pour couronner de succès ces ateliers de réflexion qui devront vraisemblablement aboutir à des mesures pratiques de sauvegarde et à des recommandations efficientes et contraignantes, chacune des quatre composantes évoquées devra constituer un cas à étudier en fonction de l'état des lieux le caractérisant. La situation des mosquées historiques séculaires réputées par leur singularité esthétique pousse certes à l'optimisme, grâce aux travaux incessants de restauration engagés par l'Assidje, avec le concours de l'Institut National du Patrimoine, à l'implication remarquable de l'actuel gouverneur, M. Mourad Ben Jelloul, depuis son avènement à la tête du gouvernorat de Médenine. La dernière décision présidentielle, issue du conseil régional extraordinaire du gouvernorat, d'accorder une subvention substantielle de 200 mille dinars à la restauration des mosquées de Djerba n'est que pour consolider la démarche de préservation de ces monuments de culte.. Cependant, de l'ensemble des 288 mosquées, dont 266 sont encore visibles, répertoriées par D.Riadh Mrabet dans sa thèse de doctorat, seules cinq ont bénéficié des faveurs du classement dans la liste des monuments classés patrimoine national, et ce en dépit des demandes incessantes dans ce sens formulées expressément par l'Assidje à l'adresse de qui de droit, depuis sa création en 1976. Terres en friche et constructions ruiniformes En revanche, l'état des lieux caractérisant les trois autres composantes est malheureusement de toute autre nature. Le menzel, conçu pour constituer l'ensemble de l'entité spatiale de la propriété d'une famille élargie, et pour être une véritable ferme agricole s'étendant sur 2 à 5 hectares, englobant l'habitation « le houch », les équipements et les constructions nécessaires à l'exploitation agricole n'est aujourd'hui que l'ombre de lui-même, abandonné à son triste sort, avec des terres en friche et des constructions ruiniformes, agonisants sous le regard indifférent des « heureux » héritiers, résolument décidés à ne jamais s'entendre pour réinvestir ce joyau dont ils sont en possession.. Quant aux ateliers de tissage à la forme et à l'architecture introuvables nulle part ailleurs, ils ne sont pas en meilleure forme. En 1997, le recensement effectué par l'Assidje a révélé l'existence, dans la seule région de Houmt-Souk, de 72 ateliers, dont 59 sont en excellent état. Nous sommes certes loin des 254 unités que comptait le territoire de l'île dans la première moitié du siècle dernier, mais leur nombre actuel est à même de nous convaincre de ne point abdiquer et de persévérer dans l'effort pour les protéger ; le paysage insulaire ne saura se passer de ces silhouettes exceptionnelles identifiables au fronton triangulaire surmontant la porte d'entrée et à la série de voûtes perpendiculaires à l'axe principal de la longue pièce en demi voûte, témoins, par ricochet d'un artisanat florissant présentant jusqu'à une époque assez récente un intérêt économique et social considérable pour l'ensemble de la population djerbienne. Pour ce qui est des « mâassera », ces antiques pressoirs à huile souterrains aux procédés rudimentaires disséminés par le passé en centaines à travers l'île, derniers témoins d'une civilisation oléicole de l'âge des oliviers millénaires encore visibles à Djerba, ils n'ont gardé que leurs traces et les quelques rares encore visibles sont dans un piteux état et ne demandent qu'à être dégagés de sous les décombres. Prémunir les richesses patrimoniales de la défiguration En somme, prémunir ces richesses patrimoniales de la défiguration ou de la démolition, les préserver de l'anonymat qui les guette, et leur restituer leur âme et leur éclat, est un devoir et une responsabilité que doivent assumer les acteurs institutionnels, les propriétaires, et la société civile. L'enjeu est de cette taille, et c'est dans cette perspective que s'inscrit l'action de l'Assidje par la tenue de ces ateliers de réflexion à l'occasion du Mois du Patrimoine. Toute stratégie future d'urbanisme et d'aménagement du territoire de l'île et toute volonté de sauvegarde de l'identité insulaire passent inévitablement par la sauvegarde du menzel, de la mosquée, de la « mâassera », et de l'atelier de tissage car, associés à d'autres paramètres constitutifs de cette identité, ils sont tout simplement les causes qui l'ont déterminée Un engouement significatif et salutaire, manifesté ces derniers temps par plusieurs amoureux de l'île, des étrangers surtout, pour le « houch » et l'atelier de tissage est sans précédent ; des expériences réussies de récupération et de réinvestissement ont été tentées et réalisées fidèlement et harmonieusement avec beaucoup de succès. Une belle leçon de sauvegarde du patrimoine et de bon sens à comprendre à sa juste valeur par les dépositaires de ce précieux legs dont ils finiront, si on les laisse agir à leur guise, par déposséder leur île, et la nôtre.