«Prière d'un petit enfant nègre » est un poème mondialement connu qu'on faisait, du temps de Léopold Sédar Senghor et d'Aimé Césaire, apprendre par cœur à tous les élèves africains. Son auteur, Guy Tirolien, y exprime par la voix d'un enfant le profond dégoût que lui inspire l'enseignement de son pays calqué sur le modèle européen et entièrement démotivant pour la jeunesse à qui il est destiné . « Seigneur, s'exclame l'enfant, je ne veux plus aller à leur école/ faîtes je vous prie que je n'y aille plus/ elle est vraiment triste leur école/ triste comme ces messieurs de la ville/ ces messieurs qui ne savent plus danser au clair de lune/ qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds/ qui ne savent plus conter les contes aux veillées/ ». Chez nous, et en cette année mondiale de la jeunesse, l'heure a peut-être sonné pour se demander si nos élèves se plaisent dans leurs établissements scolaires. Il ne suffit guère de déplorer leur démotivation de plus en plus généralisée. Il faut aussi en étudier les causes et y proposer des remèdes. En partant d'enquêtes, d'études et de sondages fiables, il est possible de comprendre l'origine du mal et d'enrayer progressivement ses pires effets. Le présent article est le fruit de plusieurs discussions et débats avec des enseignants du primaire, du secondaire et du Supérieur sur les meilleurs moyens de faire aimer la classe aux élèves et aux étudiants d'aujourd'hui, de réconcilier les nouvelles générations avec leurs écoles, leurs collèges, leurs lycées et leurs facultés. Mais d'abord, reconnaissons qu'actuellement, et à des niveaux multiples, certains établissements ne font pas grand-chose pour séduire ce public. Notre propos ne sera pas d'énumérer toutes les lacunes qui existent mais de remettre en question quelques attitudes pédagogiques adoptées ici et là et qui sont souvent inadaptées au profil des jeunes apprenants du 3ème millénaire. En effet, on continue dans de nombreuses institutions éducatives à bannir, sans raison valable ou alors sur la base d'arguments ringards, certaines méthodes d'apprentissage et certains supports pédagogiques qui pourtant ont fait leurs preuves ailleurs. Repenser l'opération éducative Jusqu'à une date récente, une bonne partie des enseignants et des pédagogues fustigeait les éducatrices des crèches et des jardins d'enfants parce qu'elles faisaient écouter aux gosses dont elles avaient la charge des chansons branchées que d'aucuns trouvaient d'un très mauvais goût. Aujourd'hui, nous pensons que cette dépréciation n'a pas lieu d'être : dans les années 1980, on utilisait des recettes culinaires parfois débiles pour apprendre aux élèves à écrire correctement un mode d'emploi et pour leur faire saisir les valeurs de l'infinitif et de l'impératif ainsi que la construction des phrases injonctives. A l'époque, nombreux étaient les professeurs que ces supports scandalisaient. En fait, convenablement exploitée, cette méthode n'était pas si désastreuse qu'on le prétendait. Ceci pour dire que ce qui importe plus que tout le reste dans l'opération éducative, c'est d'atteindre les objectifs pédagogiques préalablement fixés. Certes, les supports ne peuvent pas tous être retenus ; il faut par ailleurs qu'ils répondent à certaines normes de bienséance morale et idéologique. Mais de là à les sélectionner en fonction des seules préférences de l'enseignant ou du concepteur des programmes, c'est refuser de concéder aux principaux destinataires de ces supports le moindre droit de regard sur le choix des outils pédagogiques susceptibles de leur faire acquérir, aimer et retenir le savoir inculqué. Changer les supports pédagogiques Autrement dit, s'il faut aujourd'hui passer par l'audition des chansons à la mode et le visionnage des clips favoris des jeunes pour développer chez eux certaines compétences essentielles, n'ayons pas peur de souscrire à pareille méthode. Il ne faudrait pas non plus voir d'inconvénient à ce qu'ils apprennent l'alphabet (arabe ou latin) en rédigeant les noms de leurs stars bien-aimées ou les titres de leurs tubes préférés. Dans les séances d'expression orale, invitons-les de temps à autre, à discuter d'un feuilleton qu'ils aiment, d'une mode qui les tente, d'un jeu dont ils raffolent ; organisons-leur des forums similaires à ceux qu'ils improvisent sur face-book. Ensuite, demandons-leur de passer à l'écrit pour exprimer leurs opinions sur les mêmes sujets ou sur des thèmes apparentés. Sachons tirer profit de leur passion pour certaines chansons ou certains genres musicaux : on tirera de leur mutisme obstiné les élèves les plus taciturnes en donnant leur chance aux rappeurs insoupçonnés de la classe ; le groupe s'enthousiasmera également pour les exercices de production écrite s'ils lui proposent par exemple de rédiger des chansons semblables à celles qu'il aime écouter. On lui fera jouer des scènes inspirées par les films de son choix. Nos jeunes n'arrêtent pas de tripoter leurs portables, invitons-les donc en classe à écrire dans une langue soignée et inspirée leurs messages amoureux et leurs autres courriers électroniques. Longtemps autrefois, la calculatrice était restée interdite en classe. On en fait de même aujourd'hui avec les téléphones mobiles alors qu'on peut exploiter à fond cette nouveauté technologique. L'ordinateur non plus ne profite pas suffisamment à nos enseignants et à leurs disciples. Encore faut-il que tous les établissements du pays en soient réellement équipés. Le renouveau attendu Et ces maudits tableaux noirs qui désormais découragent tout autant les cancres que les premiers de la classe. Le temps n'est-il pas venu de repenser la participation physique de l'élève à l'élaboration de ses leçons ? La répartition traditionnelle des pupitres dans la salle de classe est-elle la mieux adaptée pour une participation massive au cours ? Les instituteurs et les professeurs eux-mêmes font ils assez pour rendre leurs séances agréables et intéressantes à suivre ? Ne faut-il pas leur réapprendre le sourire, la patience, le sang-froid et l'indulgence ? Un vent de jeunesse et de renouveau doit souffler sur tous nos établissements scolaires et universitaires. Depuis la garderie jusqu'à la faculté, la « famille éducative » doit se réformer pour que le chemin qui mène nos élèves à leur école ne ressemble pas à un chemin de croix, pour que les collèges et les lycées n'accueillent plus des adolescents lymphatiques et découragés, pour que nos universités façonnent des générations d'hommes nouveaux déterminés, volontaires et pleins d'ambition. Si rien de cela n'est fait dans les prochaines décennies, nous chanterons tous avec l'écolier de Guy Tirolien « Seigneur, nous ne voulons plus aller à leur école/ Faîtes, seigneur, que nous n'y allions plus ! »