Un joueur qui aime vraiment son équipe et ne lui souhaite que les meilleurs résultats, accepte d'être remplacé par un autre si son rendement ne sert pas cet objectif. Il ne rechignera pas non plus si ses dirigeants, son entraîneur, le staff médical et peut-être aussi le public jugent qu'il serait plus utile ailleurs que sur le terrain. Dans l'enseignement, l'instituteur et le professeur qui aiment et respectent leur métier, préfèrent le quitter avant de devenir incapables de l'exercer convenablement. La défense de la qualité de l'enseignement exige que l'on situe la fin de carrière d'un enseignant, notamment au primaire et au secondaire, entre 55 et 60 ans et pas au-delà. Certes, aujourd'hui en Tunisie, la moyenne de l'espérance de vie à la naissance est de 74 ans. Mais il faut voir si les enseignants sont les plus nombreux à vivre au-delà de 70 ans ; si, comparés aux autres salariés, ils conservent après 60 ans les mêmes potentialités physiques, mentales et psychiques. Déjà, avec la retraite à 60 ans, nous en voyons qui s'économisent dès avant la cinquantaine. En reculant l'âge de la retraite, ne les oblige-t-on pas à s'impliquer encore moins dans l'exercice de leur métier et donc dans la formation des générations dont ils ont la charge ? Si l'on veut dégrader un peu plus la profession, il faut en effet persister à vouloir repousser l'âge de la retraite jusqu'à 65 ans ! Pourquoi, pendant qu'on y est, ne pas prolonger la carrière jusqu'à 70 et 80 ans dans la mesure où l'on considère qu'enseigner est un jeu d'enfant. Si l'on estime que l'instituteur de plus de 60 ans supporte encore le boucan des classes, est encore capable de passer plus de deux heures debout à écrire au tableau, à contrôler les cahiers de ses élèves, à donner 4 types de leçons pendant la même séance, à s'occuper individuellement de 30 mômes turbulents disposés surtout à le tourner en ridicule pour le moindre prétexte, alors repoussons toujours plus loin l'âge de la retraite. Nous avons presque tous étudié chez des « vétérans » de l'enseignement et n'ignorons donc pas ce type de réactions répandues parmi les écoliers, les collégiens et les lycéens. D'autre part, nous avons rarement vu les inspecteurs du primaire et du secondaire se rendre dans les classes de ces « vieux ». De deux choses l'une : soit on considère ces derniers comme suffisamment chevronnés pour se passer de tout contrôle pédagogique ; soit- et c'est plus probable- qu'on trouve embarrassant d'aller leur dire que leurs méthodes sont dépassées, qu'ils trahissent des signes physiques et mentaux de sénilité et de rédiger sur leurs cours des rapports désastreux. On évite même de contrôler leur assiduité aux séances de recyclage. Et puis, qui oserait ruiner ou abréger la carrière d'un instituteur de l'âge de son père, pour ses méthodes désuètes et ses attitudes anti-pédagogiques ?! On vieillit plus tôt dans l'enseignement Mais la pénibilité de l'enseignement ne se mesure pas seulement à l'aune de l'effort physique dépensé en classe et à la maison, ni sur la base de la longévité mentale et psychique du fonctionnaire : il ne faut jamais perdre de vue que la société confie à l'enseignant ses membres les plus jeunes et donc les plus difficiles à contrôler, notamment entre 12 et 20 ans. De plus, il a la double mission de les éduquer et de les instruire ; pis encore : il lui faut actualiser plus d'une fois au cours de sa carrière, son approche de la bonne éducation et de la bonne instruction. Expliquons-nous : en 30 ans d'enseignement, par exemple, il lui faut s'adapter à au moins 5 réformes des programmes, à 5 pédagogies différentes, à 5 niveaux (toujours décroissants) d'élèves, à 5 inspecteurs nouveaux ; et à 5 types d'adolescents de plus en plus difficiles à gérer. Au bout de 20 ans, on finit par perdre ses repères les plus solides en matière de pédagogie et d'enseignement. Et l'on se lasse très vite des changements incessants et souvent inutiles introduits dans la progression et le déroulement des cours. C'est cette lassitude aussi qui fait « vieillir » l'enseignant plus tôt que prévu ; cette démotivation dégradante qui s'ajoute à une dépréciation sociale et financière du métier. En fait, et selon la logique qui apparente la retraite à une antichambre de la mort, la « fin » professionnelle de l'enseignant intervient très tôt. On déplore déjà chez des professeurs et des instituteurs qui n'ont pas encore terminé la première décennie de leur carrière, une indolence, une démotivation et une paresse inquiétantes. Avec l'âge, où les mèneront cette usure et ce désengagement prématurés ? Comment faire pour qu'ils retrouvent le goût du travail bien fait ? Est-ce en leur annonçant qu'ils exerceront ce métier plus longtemps ? Est-ce en soutenant et en œuvrant à répandre le préjugé selon lequel leur profession est une sinécure permanente ? Le « prix » des cours particuliers ! Lorsqu'en plus, l'incurie et le laxisme administratifs contribuent à affaiblir l'autorité de l'enseignant sur ses protégés, et que les parents d'élèves lui compliquent la tâche en se déchargeant sur lui d'une part de leurs responsabilités éducatives, faut-il espérer mieux de la part de l'enseignant qu'un désintérêt aussi inexorable dans l'exercice de son métier? Les cours particuliers dispensés (parfois outrageusement) par certains enseignants ne doivent pas nous leurrer : il ne s'agit pas d'une course effrénée après le gain facile. C'est le contenu de plus en plus contraignant des programmes qui « imposent » ce recours (collectif en réalité) aux cours privés. Si l'enseignant disposait de suffisamment de temps pour donner en classe une leçon convenable, ses élèves- dont le niveau général est en baisse continue à cause aussi des facteurs extrascolaires- n'auraient guère éprouvé le besoin de cours supplémentaires. Si l'instituteur ou le professeur percevaient des émoluments dignes de leurs efforts, de leurs sacrifices, de leurs diplômes et de leur rang social, ils n'auraient jamais accepté de se priver de temps libre pour quelques dinars de plus. Il faut voir par ailleurs quelles séquelles physiques, mentales et psychiques, les cours particuliers laissent sur le corps et l'esprit de l'enseignant tenté par cet argent qu'on dit « facile » ! Badreddine BEN HENDA
Ah, ces maudites vacances !
On invoque toujours la fréquence et la longueur des vacances de l'enseignant comme facteurs atténuants de la pénibilité de son métier. D'abord ce ne sont pas ses vacances à lui seul, ses élèves en jouissent certainement plus que lui. D'autre part, comment reprendre des cours qui exigent une vigilance à la fois physique, nerveuse, psychique et mentale sans temps de récupération conséquent ? Pour pouvoir être performant, convaincant et motivant en classe, il faut avoir évacué les pressions et les tensions de la veille, de la semaine ou du semestre écoulés. Pour faire passer à son jeune public une séance agréable, il faut soi-même être dans les dispositions humorales adéquates. Pour ne pas vivre de tensions excessives avec ses élèves et pour savoir gérer la violence latente des adolescents dont on a la charge, il faut avoir le calme et la lucidité exigés dans pareilles situations. Sans récréation suffisante, sans récupération adéquate, sans repos conséquent, l'apprentissage et l'éducation se dérouleront dans une ambiance plus propice à la confrontation et aux conflits qu'à une pacifique et fructueuse transmission de savoir et d'expérience. Si aujourd'hui, la violence refait surface dans les établissements scolaires, c'est sans doute à cause de la difficile gestion des tensions des uns et des autres au sein de « la famille éducative ». Depuis le simple ouvrier jusqu'au proviseur (au directeur dans les écoles) en passant bien évidemment par les enseignants et leurs élèves, presque aucun de ces acteurs ne profite convenablement des congés scolaires : si on ne les passe pas à effectuer quelques heures supplémentaires pour joindre les deux bouts en ce qui concerne les adultes ou à rattraper les retards scolaires pour les plus jeunes, les vacances de 4, 7, 15 ou 100 jours mettent à la rue et envoient aux cafés des centaines de milliers de désœuvrés supplémentaires. Par manque de moyens, la majorité écrasante de ces « vacanciers » se résout à s'abrutir de diverses manières au lieu d'employer intelligemment et utilement le temps de récupération accordé par le calendrier scolaire. La retraite pour les enseignants est perçue comme le congé final d'une carrière. Il n'est pas sûr qu'il soit rempli par de meilleures occupations, mais au moins, il est attendu aussi, sinon plus fébrilement que les vacances du lycée et de l'école. Retarder (ne serait-ce que d'un mois ou d'un semestre) l'échéance de ce dernier repos de compensation, c'est un peu désormais comme si l'on repoussait la libération d'un prisonnier usé par son incarcération et qui a hâte de quitter sa cellule tout en sachant que dehors, la « prison » sociale n'est pas de tout repos ! B.B.H