Le cogito de ces 50 dernières années est peut-être « j'ai des dettes, donc je suis »; comment ne pas le penser alors que 90 % des ménages dans le pays (et sans doute dans le monde) consacrent une bonne partie de leurs budgets respectifs au paiement des prêts divers qu'ils ont contractés. D'après une enquête très sérieuse menée en mai 2009 par l'Organisation de Défense du Consommateur auprès de 700 Tunisiens répartis sur l'ensemble du territoire national, pour la plupart mariés et responsables d'une famille, le taux de ceux qui se sont endettés au moins une fois dans leur vie dépasse les 85 %. Selon la même étude, 40 % des interrogés ont eu recours à l'emprunt plus de 3 fois, 45 % sont endettés auprès de plus de deux organismes prêteurs, 55 % ont eu des problèmes pour éponger leurs dettes et pour joindre les deux bouts suite à cette contrainte. Ils sont relativement nombreux (21%) à avoir renoncé à des besoins essentiels pour s'en acquitter. Pour la moitié des interrogés, le prêt (accordé par une banque dans 78 % des cas) sert à s'acquérir un logement ou un lot de terrain pour y construire la maison familiale. Mais pour d'autres ménages (entre 20 et 40 % des personnes interrogées), il permet de s'acquitter de certaines dépenses familiales de plus en plus lourdes ou bien de s'acheter des articles ménagers et une voiture. Naître endetté ! Les facilités de prêt accordées notamment par nos banques ont fait qu'aujourd'hui, même les bébés qui ne sont pas encore venus au monde risquent de naître dans un foyer endetté. Déjà, pour pouvoir les concevoir, leurs parents empruntent de l'argent pour se marier, meubler la maison et plus tard la chambre d'enfants, pour supporter les frais de la grossesse et de l'accouchement de maman et pour assurer au nourrisson un minimum de confort et de bonne hygiène. Le réflexe de l'endettement s'imposera plus tard à la nouvelle génération avant même que celle-ci n'atteigne sa maturité et ait de quoi honorer ses engagements financiers. Pour exemple, nous prendrons le cas des étudiants non boursiers qui se trouvent acculés à l'emprunt dès la réussite au baccalauréat, qui plus est à une époque marquée par l'incertitude de l'embauche même pour les diplômés de l'Université. Ramzi est l'un de ces jeunes que l'échéance terrorise ; mais pour trouver un emploi stable, il n'arrête pas de frapper à toutes les portes et de passer concours sur concours, alourdissant à chaque nouvelle épreuve les charges de ses parents responsables de deux autres enfants scolarisés. L'optimisme à crédit En fait, cet infernal cercle vicieux ne laisse pas beaucoup de choix à ceux qui n'ont que la formule du prêt pour s'en sortir. A tel point d'ailleurs que certains Tunisiens excessivement endettés et vivant constamment sous la menace de la saisie et des poursuites judiciaires, finissent par s'accommoder de situations aussi stressantes et par garder, au plus fort de leur crise, un optimisme quasi insolent. Un miracle, croient-ils, se produira assurément qui les sauvera de la noyade. Le rééchelonnement de leur dette reste également envisageable car le prêteur n'a rien à gagner en condamnant son débiteur fauché à moisir en prison. Et puis pourquoi écarter la possibilité d'un nouvel emprunt susceptible de faire taire une partie des créanciers. Non, le Tunisien ne désespère jamais même s'il lui faut emprunter à son entourage quelque dose d'optimisme !