Je reconnais d'entrée de jeu que je ne suis ni le Roi Salomon, ni ce quidam de négociant des pérégrinations de Sinbad. Ces deux là ont eu la chance de cancaner la « lingua animalia »… Le premier, faudrait-il le reconnaitre, outre que ses éléphants firent peur aux fourmis, était un tantinet implacable avec la Huppe. La pauvre, elle qui nous libère des scarabées, grillons, fourmis, courtilières, chenilles, larves, mille-pattes, limaces, escargots et que sais-je encore, doit-elle aussi cafeter sur la Reine de Saba? Quant au second, ne m'en parlez pas. Il était d'une déraison à vous donner le cafard … Imaginez que ce Monsieur, qui jacasse la langue des animaux, ait assisté à une chamaillerie entre un âne et un bœuf pour un tas de foin et ne manqua pas d'y fourrer son nez injustement. Quand il a remis les choses à leur ordre, l'âne, pour enquiquiner son ami de bœuf, lança une grosse prout qui fit rire le négociant, chose abominable, en présence de sa femme… Comme de bien entendu, dans notre culture populaire, nous n'avons ni Hélène ni Troie, mais nous avons cette volonté sourde de faire du second sexe un souffre douleur… Qu'à cela ne tienne ! De but en blanc, la dame exigea de son mari de négociant la raison de son hilarité car, pensait-elle si tant est qu'une femme pensa, il doit sûrement se moquer de sa tronche… Sauf qu'il y a un hic ! S'il révèle qui cause bébête, il avalera sa godasse séance tenante, geste glouton que toute personne normalement constituée ne peut concevoir étant connu que toute conscience ne peut pas avoir conscience de son propre anéantissement… Devant l'insistance de sa moitié, l'homme s'est incliné. En s'apprêtant à sa propre disparition, il prêta un peu attention et entendit le chien – cet ennemi juré des Anges – dire au coq : ne voilà-t-il pas que notre maître allait trépasser pour ne pas contrarier son amour d'épouse ? Le coq lui répondit, toute crête éclatante : « Je ne savais pas qu'il était si benêt. J'ai cinquante poules. Si jamais une, je dis bien une seule, oserait demander ce que je refuse de donner, j'irais tout simplement une tige d'un murier chercher… je la ferai bien nettoyer… puis, demanderai à la poule de gentiment s'amener… et dans un coin de la basse cour, je la coincerai… celle-ci est bienfaisante et celle-là est malfaisante… jusqu'à ce que raison, elle saura me donner… » Le négociant ne se le fit pas dire deux fois. Il fit ce que coq instituait. La tige eut raison de la goujaterie de la dame qui, nous dit l'histoire, « perdit connaissance et promis à son mari, son du, ne jamais demander. Elle lui embrassa les mains, lui baisa les pieds puis le talonna devant l'assistance animalière réunie dans la félicité… La mort de l'éléphant Cette histoire du coq et de ses poules, du négociant et de son épouse me vint à l'esprit en visitant dernièrement notre Zoo et voyant ce que sont devenus les locataires des différents box installés dans notre Belvédère national, j'en fus non seulement surpris, mais enchanté en plus. Il fut un temps, pas trop éloigné d'ailleurs, où pénétrer dans l'unique poumon de la capitale demandait de danser la gigue entre voitures stationnées n'importe où, marchands de bibelots made in China étalés n'importe comment, vendeurs de consommables humanoïdes bien rances et, cerise sur le gâteau, dans une indifférence généralisée… Il fut un temps, pas trop éloigné d'ailleurs, où dès que vous mettiez la pointe de votre pied au Zoo, vous étiez assourdi par les geignements, les gémissements, les pleurs et autres hurlements des animaux qui ne savaient plus à quel responsable se vouer… Le Macaque ne supportant plus le kaki, n'arrête pas de le renvoyer à la gueule des visiteurs parcimonieux en générosité… Les flamants avaient perdu tout leur rose flambant qu'ils déployaient même naguère au lac de Tunis… Quant aux aras, leurs cris ne faisaient plus peur aux moineaux qui leur chipaient leur pitance, que dire des inséparables de Ficher que se sont collés à eux mêmes dans le silence… Il n'y avait que notre coq et ses poules qui jacassaient en toute quiétude convaincus que l'ordre du monde est ainsi fait et que rien ne sert de rouspéter… Seul le paon avait la liberté de se promener dans des allées parsemées de sachets en plastique que la brise s'amusait à faire virevolter même quand le paon faisait sa roue… Le reste croupissait dans ses cages, priant pour une nette délivrance en attendant des jours meilleurs… On voyait les ours bruns s'ennuyer dans l'attente d'un tombeur à croquer, l'otarie prise de tourneboule à force d'être confondue avec un simple fana de baguette salée, le lion et sa lionne s'enquiquinaient à qui ignoreraient le mieux l'autre quand le tigre ne cessait de faire les cents ronds… La chose a atteint un seuil tel que « Bambi » l'éléphant fétiche des lieux décida d'attirer l'attention publique en se jetant dans la fosse qu'il n'a cessée de lorgner à force de photos et de carottes… Il s'est donné la mort, lui qui a une mémoire d'éléphant ! Mais à tout zoo malheur est bon. Cette disparition du pachyderme fit du bien aux habitants du Zooland quand on porta, enfin, un regard compatissant sur leur sort et, grâce aux efforts conjoints entre une ONG japonaise, la Municipalité de Tunis et l'Association des Amis du Belvédère, ils virent un jour débarquer pelleteuse et gros bras, grands seigneur, et gros portefeuilles qui passèrent un bon coup de lifting au Belvédère et à son Zoo, leur donnant un nouveau faciès… Pas d'Otarie, mais un Croco du Nil Dans l'attente des deux éléphants en provenance du Botswana et qu'on nous a promis depuis trois mois, les locataires du Zoo virent de leurs yeux les aménagements apportés à l'entrée du Belvédère. Nulle voiture n'a le droit de s'y garer… Nul marchand n'a le droit d'exposer ses bibelots en plastique hors espace réservé (qui s'étale de jour en jour), nul badaud ne peut s'étaler de son long au grand dam des promeneurs… Non, tout ceci n'est plus… Notre Zoo national vit un changement radical de régime… Déjà, plus de marchands de kaki mais certaines proposent du « harqûç »… De nouveaux locataires y montrèrent leurs pattes : de petits et mignons ratons laveurs vous adressent de profonds regards… des chèvres de je ne sais où (manque de pancarte) gambadent sur une pelouse bien verte… les léopards sont devenus d'une fainéantise de richards… Les perroquets, les inséparables de Fisher, les perruches jacassaient dans un bonheur à vous casser les oreilles. Et même si Rhinocéros et hippopotames, macaques et autruches, zèbres et dromadaires ne virent rien changer, du moins ne seront-ils plus ignorés puisqu'ils sont bien exposés… Et si la fosse de l'Otarie demeure sèche, non loin et sous des panneaux solaires tout neufs, deux crocodiles du Nil se la coulent douce… Mais la meilleure de toute est cet aménagement de fond en comble du café du Zoo… Plus de tables bancales et de chaises estropiées, plus de sales gueules et de langues salées… même le petit lac, il a eu ses dix jets d'eau latéraux et son jet central, concert de filets qui vous donne envie de devenir un canard domestique, une oie sauvage si ce n'est un cygne noir … signe que vous pouvez passer autant d'heure dans ce petit paradis en plein centre urbain… Sans tchatcher la langue des animaux, vous enverrez sûrement paître Salomon et négociant, coq machiste et poules mouillées pour chanter la mélodie du Zoo des animaux heureux…