Les travaux d'élargissement entrepris depuis plus d'une année sur le tronçon de l'autoroute Tunis-Msaken, qui relie la capitale à la ville d'Hammamet sont pratiquement achevés. Désormais, les automobilistes roulent, dans les deux sens, sur des voies très larges que séparent deux lignes parallèles de garde-fous en béton. Ce n'est, d'après certaines sources, qu'une partie d'un projet plus vaste qui viserait l'ensemble de cette autoroute à grand trafic. En tout cas, l'œuvre réalisée jusqu'à présent constitue une amélioration notable qui profitera sans doute aux usagers les plus assidus et les plus pressés de la voie. En effet, ces derniers peuvent maintenant gagner plus de temps pour rejoindre leurs destinations respectives : un quart d'heure au moins, nous dit-on, pour atteindre par exemple Mornaguia et vingt à trente minutes en direction d'Hammamet. Dans quelque temps peut-être, il ne faudra pas plus d'une heure pour gagner Sousse par l'autoroute. Mais tout en saluant cette réalisation technique qui épargne des encombrements gênants à certaines heures de la journée et à certaines saisons, le gain de temps qu'elle permet de réaliser inquiète à plus d'un égard. Les ailes dangereuses Nous avons tout récemment pris plusieurs fois cette autoroute ; ce fut à chaque passage l'occasion pour nous de constater que l'extension qu'on y a effectuée a donné des ailes aux automobilistes lesquels ne craignent plus de rouler à plus de 150 kilomètres à l'heure. Alors qu'auparavant, ils se prenaient pour des pilotes de Formule 1, maintenant ils croient participer à un rallye interstellaire du genre qu'on organise dans les jeux vidéo. Les louagistes, par exemple, s'adonnent plus allègrement à leurs jeux mortels favoris, en l'occurrence l'accélération et le dépassement systématiques. Et ils font des émules parmi les autres conducteurs de véhicules de transport. Vendredi dernier, un chauffeur d'autocar se mit à doubler les voitures les plus rapides et souriait de plaisir à chaque dépassement réussi. Les passagers qu'il transportait, probablement de jeunes sportifs, applaudissaient à ses exploits et ricanaient à la face des conducteurs doublés. Mauvaise lecture du projet En pleine campagne estivale de sécurité routière, qui plus est menée tambour battant ces derniers jours sur l'autoroute Tunis-Msaken, nous appréhendons la mauvaise interprétation par nos conducteurs des intentions (forcément bonnes) qui président à l'élargissement de la voie. Chez nous, la plupart des usagers des autoroutes y verront une incitation à la vitesse. Pour eux, c'est comme si, dans une course d'obstacles, on avait éliminé les haies placées sur le chemin des concurrents. Personne ne pensera que c'est pour rendre la circulation plus fluide et la conduite plus confortable. Rares seront ceux que le projet assagira au volant. On trouvera même aberrant qu'avec des autoroutes aussi dégagées, on continue de limiter la vitesse supérieure à 110 ou à 130 à l'heure ! Dans un pays comme le nôtre, qui comme chacun sait détient de tristes records sur ses routes, les projets d'élargissement des voies routières ne sauraient bénéficier aux citoyens si ces derniers s'obstinent à « jouer » en conduisant. C'est une mentalité nouvelle qu'il faudrait instaurer ; mais paradoxalement, on ne peut pas changer les esprits sans améliorer les infrastructures routières du pays. L'élargissement des voies de l'autoroute d'Hammamet s'imposait donc et l'on peut même estimer que ce projet est relativement tardif vu le peu d'améliorations que le tronçon a connues depuis sa mise en service. Mais dans le même temps, nous regrettons que l'éducation des usagers de la route et leur prise de conscience des dangers de la conduite imprudente ne suivent même pas ce rythme relativement lent ! La « cure » psychologique Une conférence internationale se tient à Gammarth la semaine prochaine pour analyser et comprendre plusieurs faits sociaux importants dont justement les accidents de la route. Elle réunira des psychologues tunisiens et étrangers qui montreront la voie en matière de prévention routière. Car la conduite au volant est aussi, et surtout, un comportement psychologique ; un état d'âme et un état d'esprit si l'on veut. Il faudrait donc logiquement « soigner » ou plutôt « traiter » psychologiquement nos patients-conducteurs. Leur indiquer un traitement spécifique à même de les calmer sur la route. Mais en même temps, il faudra combattre tous les facteurs susceptibles de provoquer chez eux une fatale rechute dans la légèreté criminelle des conducteurs inconscients. Lorsqu'une société ne sait pas choisir pour ses enfants les jeux éducatifs et les jouets convenables, il ne faudrait pas plus tard, qu'elle accuse les adultes qu'ils deviendront d'avoir des conduites irresponsables et des comportements suicidaires. Faire aimer la vitesse effrénée aux jeunes, délivrer des permis de conduire à des adolescents écervelés, sévir avec mollesse contre leurs délits de conduite, tout cela ne contribue pas à produire une génération de conducteurs suffisamment mûrs pour tenir le volant d'une voiture ou d'une moto. Nos conducteurs adultes eux-mêmes ont besoin d'un « psy », et l'on ne peut pas du tout dire d'eux qu'ils donnent, sur la route, le meilleur exemple à leur progéniture. Le mal est donc plus profond qu'il n'y paraît et impose d'agir sur ses causes premières. Nos psychologues ont de ce point de vue un apport déterminant dans la compréhension du fléau et l'atténuation de ses conséquences désastreuses. Prêtons donc l'oreille à leurs conseils !