Ces derniers temps, la mode chez nos artistes est de prôner l'ouverture en tout et à tout bout de champ. Dans l'absolu, c'est beaucoup mieux ainsi que de défendre des vues intégristes rétrogrades. Pour peu néanmoins qu'ils ne versent pas dans l'intégrisme inverse, car à trop s'ouvrir sur l'Autre, (l'expression est tellement galvaudée, de nos jours !), on risque d'en perdre tous ses repères et de ne plus avoir de voie propre. C'est cette impression première que nous donna, jeudi soir à Carthage, le spectacle composite « Hadhra 2010 » de Fadhel Jaziri. En tout cas, le public très nombreux, (près de 9000 spectateurs), venu vivre avec l'un de ses réalisateurs favoris, une nouvelle soirée soufie qui rappelle et égale la première « hadhra » de Jaziri, eut dans son ensemble une réaction très mitigée et parfois franchement défavorable face à la version remaniée de « sa » fête. Ce fut un peu comme les films en série : les suites proposées au premier succès ne valent jamais celui-ci ! L'audace ne paie pas à tous les coups Nous concédons à Fadhel Jaziri son droit d'artiste de porter un regard esthétique, de préférence différent, sur le patrimoine spirituel des Tunisiens. Après tout, c'est le premier devoir du créateur authentique d'apporter sa touche personnelle aux sujets qu'il aborde et aux modèles dont il s'inspire. La « Hadhra 2010 » se propose d'ailleurs comme une relecture de l'un des rituels les plus populaires sous nos cieux. Jaziri s'y autorise bien des libertés, pas vraiment au niveau du texte, mais plus particulièrement sur le plan de la musique, de l'exécution des chants, des instruments, des costumes et des mouvements. Certains tableaux furent réussis, la chorégraphie a par moments impressionné l'assistance, mais les jeux de lumière, l'exploitation de l'espace scénique, le métissage des styles et des genres musicaux ne suscitèrent point l'adhésion escomptée. Sur les gradins, on conspua timidement, puis de plus en plus fort, quelques mouvements de danse et certains tours de chant. Manifestement, le public n'apprécia guère que sa « hadhra » traditionnelle subisse une mondialisation aussi poussée et aussi audacieuse. On le sentait sans peine : ce qu'il attendait de Fadhel, c'était de lui faire retrouver des sensations perdues, de satisfaire son goût nostalgique des cérémonies mystiques d'autrefois, de recréer une atmosphère de fête et de spiritualité bien conservée dans l'imaginaire de certains « vieux », mais sérieusement menacée dans celui des jeunes générations. Plutôt que ces nombreuses concessions faites aux mélodies et aux arts du monde, on voulait une nouba moins frelatée, plus foncièrement tunisienne, orientalisée à la rigueur mais pas aussi hybride. Le « plat tunisien » servi jeudi dernier sur la scène de Carthage a péché sans doute par excès d'exotisme. Le mariage des saveurs tenté par Jaziri donna en définitive une ratatouille étrange que les 9000 spectateurs consommèrent avec beaucoup, beaucoup de modération. Badreddine BEN HENDA ------------------------- Les à-côtés *L'enceinte des chaises réservée habituellement aux invités du festival laissa la place jeudi soir aux décors et accessoires de la troupe de Jaziri. L'écran géant disparut à son tour car la hadhra se jouait sur les trois niveaux de la scène. *Bien avant la fin du spectacle, la majorité des journalistes quittèrent, très déçus mais railleurs à volonté, les gradins où ils étaient déjà inconfortablement assis. Quelques centaines de spectateurs en firent de même. *Le spectacle a commencé avec près d'une demi-heure de retard et s'acheva vers minuit trente. On enregistra quelques ratés au début du programme, comme cette erreur de placement qui mit inutilement et pendant un bon bout de temps la moitié des membres de la troupe à l'étage supérieur de la scène alors que la première séquence devait se dérouler en bas. Nous avons remarqué un grand brasero sur scène que personne n'utilisa. Quant aux cierges, ils ne furent pas allumés en même temps et se consumèrent trop vite, sans doute à cause de la forte humidité ambiante. Par ailleurs, un incident technique léger survenu dans l'engin qui simulait la fumée d'encens amena sur les lieux quelques pompiers pour réparer la panne. *Les youyous qui saluèrent certains tableaux du spectacle ne furent pas suffisants, loin s'en faut, pour couvrir les sifflements des spectateurs mécontents. A la fin du programme, les applaudissements ne furent guère nourris comme c'était le cas à l'entrée des artistes.