Par Bourguiba BEN REJEB - Encore cette année, des formules nouvelles sont essayées pour réguler les horaires des écoliers et les adapter à la vie sociale. Ainsi, un élève de première année du primaire est réputé capable de suivre en après-midi quatre heures interminables d'apprentissage. Les habitués de la sieste ou des jeux en famille devront s'y faire. Les parents aussi, supposés être plus à l'aise dans un créneau horaire unique. Cela se passe ainsi par exemple à l'école primaire de la Nouvelle Médina dans la banlieue sud de Tunis, probablement aussi un peu partout ailleurs. Il faut tout de suite ajouter que les chers petits sont aussi appelés, sitôt l'horaire « officiel » assuré, à enchaîner sur les cours particuliers proposés, sinon obligés sur place. Dire que les gamins apprennent quelque chose dans ce qui ressemble à des travaux forcés est pour le moins aléatoire. Par ailleurs, la pression des responsables dits éducatifs est si forte sur les parents et les petits que le commun de ces parents consent bien obligé à ces séances qui ne valent rien pédagogiquement et néfastes physiquement. La pratique est connue depuis longtemps et décriée administrativement depuis toujours. Il ne reste plus qu'à l'expliquer aux responsables des établissements sourds aux injonctions de leur hiérarchie. Chacun est dans son droit Le constat est le même pour les autres niveaux assurés par l'école primaire. Il faut en effet observer la peine qu'ont les élèves de la quatrième année primaire à transporter le fardeau indûment appelé cartable. Quand il faut réunir tous les cahiers utiles et inutiles, tous les livres de la longue journée à assurer, il y a des parents qui s'y prennent à deux fois pour assurer le transbordement du « matériel » de la maison à l'école. Certains parmi eux ont alors, à tort ou à raison, la nostalgie des temps où un seul bouquin suffisait au bonheur d'être à l'école. Mais il ne s'agit pas seulement de nostalgie. A chaque démarrage de l'année scolaire, de nouveaux supports dont on ne voit pas la nécessité apparaissent sur le marché lucratif de la chose scolaire et sont adoptés tout de suite par beaucoup d'enseignants. Cela va des cahiers spéciaux qui coûtent plus cher aux fantaisies dont l'usage pédagogique est pour le moins sujet à caution. Au total, il n'y a finalement que les manuels édités par l'Education Nationale qui sont à la portée des petites bourses. Dans le collège voisin de l'école, la pratique actuelle consiste à obliger les élèves à remettre pratiquement à chacun des enseignants du papier blanc. En gros, chaque élève en a pour une rame pour contenter tout le monde et son père, l'addition étant à calculer sur le nombre des élèves. Et on ose dire que le commerce marche mal ! Tout le monde est en fait convaincu que rien ne sera refusé aux enfants, encore plus à ceux qui ont la charge de leur éducation. Partant de ce principe, il n'est plus vraiment question de discuter pédagogie. Au collège aussi le rythme scolaire ne répond pas à des exigences de bonne formation. Le rythme quotidien peut se traduire par sept heures de cours par jour, avec parfois une seule heure de battement entre la séance du matin et celle de l'après-midi. La réponse donnée est la contrainte des espaces, mais on sait aussi que la mise en place des « emplois » résulte d'âpres négociations sur les commodités des enseignants. Chacun est dans son droit, sauf qu'il est particulièrement contre productif d'obliger un gosse de 13 ou 14 ans à écouter et à comprendre des savoirs dans ces conditions. Le rythme endiablé Les exemples sont suffisamment nombreux pour considérer que le rythme scolaire ne tient pas beaucoup compte des objectifs de résultat et de l'efficacité. Avec en moyenne une trentaine d'heures de cours par semaine, les programmes officiels ne laissent pas de place aux raffinements dans les horaires ni aux temps d'assimilation. Quand il faut tenir compte aussi du nombre de salles et des commodités des enseignants, l'élève est élu au rôle de bouc émissaire. Les démarches que l'on peut faire auprès de l'administration butent toujours sur l'incapacité, bien réelle, de résoudre la quadrature du cercle. Du coup, il est tacitement entendu qu'on ne donne pas beaucoup de travail à faire à la maison, ce qui modifie le rapport avec l'école devenue une espèce de garderie pour grands enfants. Pourtant, la question est bien de savoir si tous les enseignements dispensés en même temps correspondent bien à des objectifs éducatifs bien identifiés et absolument nécessaires. Jusque là, l'observation faite au niveau des résultats évalués en acquisitions réelles ne milite pas dans ce sens. Tout le monde vous dira que les bacheliers arrivés au niveau de l'enseignement supérieur manquent presque de tout. Or ces bacheliers sont autant de jeunes ayant accompli tous les cycles avec succès, et souvent sans accidents de parcours. A 30 heures par semaine, pour 30 semaines et pendant toutes les années de collège et de lycée, il y a de quoi se poser des questions. Il faudrait surtout se demander si le rythme endiablé de tant d'années constitue une bonne réponse aux besoins éducatifs d'abord, et aux opportunités d'apprentissage ensuite. Les sacrifices consentis, autant par les parents, que par les élèves, que par la Nation, semblent bien mal récompensés par les têtes bien pleines plutôt que bien faites. A un enseignant à qui on demandait s'il était utile d'obliger des élèves du primaire à faire des heures « d'étude », la seule réponse fut que l'empêcheur de tourner en rond que nous étions ne comprenait rien à cette affaire scolaire. Et il ne fut pas le seul à choisir cette réponse de fuite en avant, du reste dûment appuyée par son directeur d'école. Il n'y avait donc pas de doute qu'un gamin de 8 ou 9 ans gagnait à s'asseoir 8 heures par jour sur les bancs de l'école. Que certains de ces héros ne parviennent pas, au bout du compte et après 13 ans, à rédiger trois lignes ne dérange pas vraiment. Au rythme où vont les choses, le cercle vicieux va décrocher l'école du monde réel. Mais n'est-ce pas déjà fait ?