Aimer être au volant ne traduit pas seulement le plaisir que ressentent certaines personnes à rouler, c'est aussi « aimer diriger seul sa vie » selon les dires d'une doctoresse en psychiatrie. Nous comprenons ainsi que la façon avec laquelle les gens roulent reflète une partie de leur personnalité. Rouler vite ou à une vitesse modérée, être prudent ou prendre des risques, respecter les priorités ou se les approprier, c'est souvent notre manière de vivre qui est reflétée dans notre façon de conduire une voiture, ou une moto. Seulement, ce même reflet de notre vie peut parfois mener au-delà des limites de notre sécurité ou celle d'autrui. La jeunesse dans son élan de passion, son imprudence et sa soif d'aventure influence également le plaisir de conduire, qualités ou imprudences. Cela multiplie parfois les risques pris au volant. Ainsi, 28.7% des accidents de la route commis en Tunisie durant les dix mois écroulés de l'année 2010 ont été causés par des jeunes âgés entre 18 et 30 ans. Nous comptons dans ce taux 34.1% de décès et 31.3% de blessés. Outre la sensation et l'envie de devenir adulte que procure l'obtention d'un permis, lequel devient une nécessité de nos jours. Néanmoins, cette nécessité exige une maturité et surtout une prise de conscience quant à la responsabilité qui pèse sur le jeune conducteur. Il est alors important que les parents s'investissent dans cet apprentissage tout comme le ferait le moniteur. Etre sûrs de la maturité de leurs enfants avant de lui confier « les commandes à bord » est une étape importante. Or, cette responsabilité parentale devient limitée dans la mesure où la société demeure tributaire des médias et des prototypes. Les parents ont beau parfois expliquer à leur progéniture qu'être au volant nécessite de la concentration, de la maturité et le sens de la responsabilité, l'apprenti adulte se retrouve devant une image véhiculée de partout et à laquelle s'identifie. Cette image, ou autres prototypes, que l'ont retrouve dans les clips tout comme dans les films et séries montre souvent une jeunesse dorée et au goût du luxe qui a comme devise « vivre vite, mourir jeunes ». Une invitation aux excès est souvent perçue ; excès de boissons alcoolisées, excès de vitesse, excès d'aventure (…) alors qui pourrait résister, en pleine apogée de jeunesse de surcroît, à cette montée d'adrénaline et à cette confirmation de soi que procure le défi du danger ? Hajer AJROUDI ----------------------- Dr. Mohsen BOUAZIZI, Secrétaire Général de l'Association Arabe de Sociologie « La gestion de la conduite violente des jeunes pourrait s'expliquer par le malaise de plus en plus croissant qu'ils ressentent » Le comportement des jeunes à l'heure actuelle s'inscrit dans un ordre social pouvant être régi par le concept sociologique d'anomie, forgé par Emile Durkheim et repris par Jean Duvignaud; l'anomie signifiant « cette absence de contrainte normative et sociale. D'ailleurs le comportement déviant des jeunes prolonge un comportement social pluriel où tous les groupes sociaux, personnes adultes, et âgées sont concernés. » Si la société tout entière paraît faire aujourd'hui référence à un état d'esprit errant, en tout cas peu sûr de lui-même en raison précisément de l'absence de repères clairs, la société juvénile, compte tenu de la précarité de son système de référence semble, elle aussi, s'enliser dans l'incertitude et le flou. Il s'agit en quelque sorte d'un comportement peu habituel, peu ordinaire et choquant qui frôle à la limite la folie. Ce ne sont pas là des affirmations gratuites ou des jugements hâtifs que nous formulons à l'encontre des jeunes, mais juste pour dire que l'univers juvénile s'inscrit la plupart du temps dans un ordre d'excès, voire de violence plus ou moins perceptible. Au fait, la jeunesse ne s'est-elle pas définie au cours des âges comme une tentative de dépassement, de quête de renouveau lesquelles se forgent très souvent, dans l'incompréhension et la douleur. C'est la dialectique de la vie, pourrait-on dire. Par conséquent, pour revenir au problème ou à la question qui nous préoccupe ici, à savoir, le problème de la conduite arrogante des jeunes sur la route, problème que nous avons tenté, un tant soit peu, de contextualiser et d'inscrire dans un ordre social global. Il y a lieu d'observer que la gestion de la conduite violente des jeunes pourrait s'expliquer également par le malaise de plus en plus croissant que ressentent les jeunes, malaise revêtant plus d'une forme. Malaise se rapportant à leur existence matérielle d'abord, où la quête de travail paraît représenter leur obsession fondamentale. Malaise, afférent à leur existence intellectuelle et spirituelle où, en effet les jeunes perdus dans un énorme carrefour, traversé lui même par une infinité d'idées d'opinions, de croyances, de valeurs, de symboles, semblent incapables de choisir un mode de vie et de se frayer un chemin d'existence sécurisant. Cette situation de fait peu confortable n'a pas été sans fragiliser et rendre les jeunes de plus en plus vulnérables. Donc leurs comportements plus ou moins farouches n'ont pas émergé du vide. Ils s'expliquent en partie par certains de ces facteurs mentionnés précédemment et par d'autres encore dont en particulier leur univers de référence qui fait d'eux une population particulière se reconnaissant dans une vision (ou des visions) particulière de soi, de l'autre, de la société, du temps, de la culture. ----------------------- M. (la vingtaine) « Nous avons dépassé les limites de la mort » Cela fait déjà un an que j'ai vécu ce cauchemar. Et pourtant, tout avait très bien commencé. On rentrait d'une superbe soirée, arrosée par ailleurs et nous étions, les cinq passagers, ivres… Le conducteur dépassait toutes les voitures sans même faire attention, cela nous amusait et nous étions dans un état d'hilarité que procure le danger associé à l'alcool. Arrivés au niveau d'une BMW, il avait insisté à la doubler, or il n'arrivait pas. A un certain moment, il avait failli percuter une autre voiture dans ses tentatives vaines et ça a commencé à nous faire peur, nous lui demandons de laisser tomber. Rien à faire, il était déjà lancé. Et le voilà qu'il fait un coup de volant. Les gens nous ont rapporté que la voiture avait dérapé et fait trois tonneaux avant de s'écraser. Le conducteur a été tué suite à une hémorragie interne. J'ai eu de la chance de m'en sortir avec une fracture au bras, une blessure à la main et des hématomes. Les autres aussi ont été blessés. Ça a changé beaucoup de choses en moi, à commencer par mettre la ceinture de sécurité et conduire prudemment… ----------------------- Causes et conséquences des accidents chez les 18-30 ans -Vitesse : 17.5% des accidents, 25.7% de décès et 20% de blessés. - Inattention : 13.4 des accidents, 10.8% de décès et 13.6% de blessés - Traverser la route : 21.6% des accidents, 8.4% de décès et 14.3% de blessés. - Dépassement interdit : 3.7% des accidents, 8.4% de décès et 5.9% de blessés - Ne pas respecter la voie droite : 6.3% des accidents, 7.2% de décès et 9.1% de blessés. Notons que la voiture de type touristique est impliquée dans 78.7% du total des accidents de la circulation de cette année. *Statistiques de 2010