De notre correspondant permanent à Paris : Khalil KHALSI - C'est l'histoire d'un artiste, d'une chanson. John Lennon avant les Beatles, John Lennon avant John Lennon. Un drame incontournable. Ce n'est pas un biopic (abréviation anglophone de biographical picture) à proprement parler. Les spectateurs, dont nombreux seront des fans des Beatles, ne verront pas une énième transposition à l'écran de la vie de l'un des quatre garçons dans le vent, mais simplement la naissance d'un artiste, à la rencontre de la musique, de son passé, de ses origines, et au croisement de son avenir. Mais c'est aussi la révélation, bien romancée, de secrets que les admirateurs de l'enfant de Liverpool ne connaissent pas forcément, ou seulement à travers une de ses plus célèbres chansons, « Mother », que l'on peut écouter pendant le générique de fin. « Mother, you had me but I never had you… » Appel à la mère qu'il n'a jamais eue, cette chanson porte, dans la simplicité de ses mots et de sa poésie, toute l'étendue dramatique de ce premier long-métrage à travers lequel la Britannique Sam Taylor-Wood essaie de faire miroiter la blessure profonde de cet artiste adolescent venu de nulle part. « Nowhere », nulle part, c'est de là que vient le jeune John Lennon (campé par l'acteur anglais Aaron Johnson, déjà vu dans « Kick-Ass »), parce que c'est là où se trouvent les génies, comme il le lance gaillardement à la figure cramoisie de son directeur d'école. Cependant, ce n'est qu'une bravade digne de son âge, car le talent ne s'est pas encore révélé à son porteur, et, à seize ans, John passe son temps à faire les quatre-cents coups avec ses compagnons. Sa rébellion lui coûte alors l'expulsion de l'école. Elevé depuis sa tendre enfance par l'austère tante Mimi (Kristin Scott Thomas, magistrale dans son jeu tout en froideur et en rigidité, mais également dans la mesure de l'émotion), John enfreint les règles et confronte son passé. Sa mère (Anne-Marie Duff ou la sincérité à fleur de peau), ressurgie dans son adolescence alors qu'elle l'avait abandonné enfant, est ce pivot qui sera déterminant dans sa carrière d'artiste : avec elle, il découvre Elvis, apprend à jouer du banjo, se met à chanter et finit par montrer un groupe de rock'n'roll : les Quarrymen. Incommunicabilité des émotions Ce à quoi s'intéresse Sam Taylor-Wood (qui est d'abord photographe et vidéaste) dans son travail, c'est la difficulté à communiquer les émotions. Son film s'en trouve alors chargé de cette incommunicabilité, de ces refoulements, de ces silences, probablement propres à l'époque puritaine dans laquelle évolue John Lennon adolescent, mais aussi aux histoires de famille, lourdes de secrets et de honte. Si John semble inatteignable derrière cette carapace d'ironie et, parfois, de franche méchanceté - à l'égard des étrangers dont le menaçant Paul McCartney (Thomas Sangster), de sa tante et même de sa mère-, il est tout à fait vulnérable aux moments de rêve que la réalisatrice réussit à imag(in)er et qui posent les jalons d'un drame qui va en se déployant. En effet, le crescendo dramatique du scénario est tel, que le spectateur finit par se rendre compte que là est l'histoire, non pas d'un artiste adulé par des millions de fans à travers le monde, mais d'un adolescent hors du commun, d'un adolescent qui a su sortir de sa blessure pour en faire quelque chose de beau. Cette construction par l'autodestruction offre des scènes de confrontation difficiles à supporter, mais tout à fait délectables pour les cœurs en mal d'émotion… C'est, finalement, l'émotion de cette chanson qui dénote, pas seulement d'une amertume, mais aussi d'une certaine rancune, vive bien des années plus tard… Toutefois, c'est une douleur qui s'est calmée, à l'instar de l'esprit du film qui oscille entre amertume, justement, et douceur. Porté par un formidable trio d'acteurs qui ne se font pas d'ombre les uns aux autres (Johnson, Scott Thomas et Duff) et servi par un traitement impeccable de l'image qui rehausse la linéarité du scénario, « Nowhere boy » est une belle leçon de survie dont l'humour enjolive le tragique…