Par Malek Slim - Le prix Nobel de la paix décerné au dissident chinois Lui Xiaobo a été perçu comme un acte d'agression par Pékin dénonçant une « conspiration planétaire qui vise son développement ». Le ton menaçant de la Chine à l'égard de ses partenaires économiques dont quinze ont préféré ne pas assister à la cérémonie de remise du prix est inhabituel. Tous les observateurs n'ont pas manqué de souligner la virulence des termes employés par les autorités chinoises pour fustiger le « caractère politique » du Nobel. Tout le monde est surpris, d'autant que Pékin s'est toujours gardé de tout excès de langage dans ses rapports avec le reste du monde. Le ton de la protestation est d'une brutalité telle que, beaucoup d'analystes y ont décelé un début de changement de cap dans la diplomatie de l'Empire du Milieu. Les dirigeants des pays occidentaux ont été les premiers à s'émouvoir de l'attitude de leurs homologues chinois et semblent avoir bien saisi la portée de leur message. Révolu le temps où la Chine courbait l'échine devant des puissances industrielles et économiques dominantes dont elle avait besoin pour son développement. Plus rien ne lui interdit désormais de faire valoir sa propre vision du monde. Son statut de puissance économique conquérante est pour beaucoup dans cette nouvelle voie inaugurée par Pékin qui semble dire à ses partenaires, que ce sont eux qui ont le plus besoin de lui et non le contraire. Sans l'argent chinois, un pays comme les Etats-Unis aurait sombré encore plus dans la crise. Et la Chine vient de leur rappeler sa manière, elle qui détient les mannes qui financent les déficits budgétaires des pays occidentaux, plus que jamais en position de faiblesse devant la montée en puissance d'un partenaire de plus en plus ombrageux. La nouvelle attitude de Pékin n'est au fait que l'aboutissement d'un processus qui a commencé depuis quelques années et que la crise économique frappant essentiellement les puissances industrielles traditionnelles avait accentué. Sur plusieurs dossiers, la déplomatie chinoise s'est montrée en désaccord avec ses principaux partenaires. Ses rapports avec ces derniers sont empreints de suspicion, voire de méfiance. Ceci explique son intransigeance sur la question de l'appréciation de sa monnaie, sa position à Copenhague en 2009 sur la réduction des émissions de carbone et son refus catégorique de souscrire à des objectifs contraignants sur la question. La Chine estime que les exigences de l'Occident sur les deux dossiers visent à freiner son élan économique. En dépit des menaces de rétorsions économiques brandies par Washington, Pékin demeure ferme sur ses positions, pour signifier à tout le monde qu'il n'est plus question de se plier aux injonctions venues de l'extérieur. A l'ONU, Pékin fait de la résistance sur le dossier du nucléaire iranien et se montre ferme sur celui de la Corée du Nord. Ses manifestations de mauvaise humeur à l'égard de la politique américaine dans le Sud-est asiatique se font de plus en plus nombreuses. En un mot les dirigeants chinois n'admettent plus qu'on leur dicte la politique à suivre, chez eux, dans leur région et dans le reste du monde où leurs relations avec plusieurs secteurs économiques vitaux agacent au plus haut degré les anciennes puissances coloniales et tout le monde occidental qui constatent l'émergence de ce dragon avec de sérieuses inquiétudes et devant laquelle ils sont impuissants. La manifestation de mauvaise humeur de Pékin devant l'octroi du prix Nobel à l'un de ses dissidents s'inscrit au fait dans la parfaite logique du changement dans le rapport des forces entre l'Occident et l'Empire du Milieu.