Dix heures du matin à l'avenue Habib Bourguiba devant le ministère de l'intérieur des milliers de policiers, portant le brassard rouge entonnaient le slogan désormais symbole de la révolte des policiers : «Dignité, Liberté, Syndicat des policiers». Devant des civils venant assister à cette première en Tunisie, peut-être dans le monde, les policiers essayaient à leur manière d'expliquer qu'ils sont du côté du peuple. « On ne veut plus recevoir les ordres donnés par des assassins qui ont tué notre peuple et pour une fois on veut crier notre colère", nous indique un policier. « Il faut faire la part des choses. Nous sommes des Tunisiens comme tous les autres. Nous voulons dire que nous sommes des victimes de despotes qui nous faisaient vivre dans la terreur », nous dit un autre. « On travaille 24 heures sur 24 pour un salaire de misère", dénonce un autre policier en montrant sa fiche de paie avec salaire brut de 360 dinars. « Cela fait des semaines que je vis loin de mes enfants et de ma femme qui vivent dans la terreur de représailles alors que je suis en train d'exposer ma poitrine aux snipers et aux sbires de Seriati pour protéger le peuple », raconte un autre avant de se joindre à ses collègue qui scandaient : « Seriati le lâche, le peuple tunisien ne sera jamais humilié». Entre temps la foule des policiers grossissait avec la venue d'autres groupes de policiers venus d'un peu partout. Nous avons suivi l'un de ces groupes parti depuis tôt le matin de Bouchoucha et constitué principalement d'éléments de la police de la circulation. "Nous sommes aussi les victimes de la bande des Trabelsi", scandaient les policiers sur fond de klaxons des motards qui accompagnaient le cortège. « Nous vivions dans la terreur, qui d'entre nous pouvait arrêter un membre de la famille ou dire non à son supérieur au risque de se faire virer ou muter aux fins fonds de la Tunisie », expliquent-ils accusant un certain Ali Mansour d'être la cause de tous les maux. D'ailleurs tout au long de la manifestation ce nom a été repris à mainte fois par les policiers qui manifestaient. A l'image de « Ben Ali dégage », devenu célèbre, le mot d'ordre était hier devant le ministère de l'intérieur était unanime « Ali Mansour dégage». Mais au fait, quelle sont exactement les revendications de ces policiers. L'un des meneurs de cette manifestation explique : « Nous voulons d'abord expliquer une chose, nous autres, les policiers nous n'avons fait que suivre les ordres et pendant tout au long de ces dernières semaines nous avons vécu des situations inhumaines, personnes n'a eu un jour de congé depuis des mois et c'est là l'une de nos revendications. L'autre revendication, la principale, c'est la dissolution de l'inspection des policiers, qui est derrière toutes les exactions commises en Tunisie et la création d'un syndicat de policier. C'est là une revendication sur laquelle on ne reviendra jamais ». Signalons à ce propos, qu'un syndicat des employés du ministère de l'intérieur existait déjà dans les années cinquante. Notons enfin que ces manifestations qui se sont dispersées vers 16 heures ont eu lieu dans le calme sous l'œil vigilant des militaires qui ont encerclé l'Avenue Habib Bourguiba sans jamais intervenir. On a même constaté une certaine sympathie entre les hommes en vert et les policiers qui, entre deux slogans, venaient échanger quelques mots avec les militaires. Une manifestation qui a atteint, un tant soi peu son objectif. Les civils présents ont pour la plupart exprimé leur sympathie avec les policiers. « Avec notre âme, avec notre sang nous nous sacrifions pour vous policiers », scandaient certain d'entre eux. « Au fait, les policiers sont des Tunisiens comme nous. S'ils y a parmi eux certains hommes pourris, il ne faut pas généraliser. Et puis il faut aujourd'hui que tous les Tunisiens s'unissent pour le bien de notre nation, or nous avons tous besoin de l'ordre pour pouvoir avancer », nous affirme, une jeune femme qui faisait des youyous au passage des manifestants devant le théâtre municipal. En dehors de la capitale, les policiers ont organisé d'autres manifestations dans pratiquement toutes les régions, à Sousse, Monastir, Bizerte, Sfax, Gafsa, Gabès et le Kef, pour ne citer que ces villes. Elle ont eu lieu, pour la plupart, devant les délégations régionales de l'UGTT avec les mêmes revendications, à savoir : un retour de la dignité, la création d'un syndicat de police et la réconciliation avec le peuple. A signaler, enfin, et c'est symbolique, qu'une manifestation a eu lieu hier à Sidi Bouzid, cette ville d'où est partie la contestation après l'immolation par le feu de Bouazizi, et où la répression était sans merci, une centaine de policiers se proclamant "victimes" de l'ancien régime ont également manifesté.
Manifestation devant le siège du gouvernement
Outre les manifestations organisées par les policiers, d'autres manifestations contre le Gouvernement d'Union Nationale ont eu lieu hier à Tunis et plus précisément devant le siège du gouvernement. Organisée par le « Front du 14 Janvier » qui vient d'être constitué par les diverses tendances de Gauche, à savoir : la Ligue de Gauche Ouvrière, le Mouvement des Unionistes Nasseriens, le Mouvement des Nationalistes Démocratique, Les Nationalistes Démocratiques, le Mouvement Baâthistes, la Gauche Indépendante, le Parti des Ouvriers Communistes Tunisiens (POCT), le Parti du Travail national démocratique, cette manifestation a regroupé plus de 700 personnes selon les organisateurs. La manifestation qui est partie vers 10 heures devant le théâtre municipal a été bloquée pendant une dizaine de minutes à Bab Djazira mais devant le nombre qui grossissait, les forces de l'ordre ont cédé, surtout que d'autres groupes venant de Bab Alioua et de la Médina avait renfloué les manifestants qui insistaient pour faire un sit-in à la Kasbah et pour revendiquer la dissolution du RCD et du nouveau gouvernement des caciques de l'ancien régime qui y ont été maintenus malgré les promesses de rupture. Toujours à la Kasbah, un témoin nous indique que des policiers qui sont venus eux aussi, manifester devant le siège du gouvernement ont bloqué, un moment, l'accès à la voiture du président tunisien de transition, Foued Mebazaâ, avant d'être écartés en douceur par des collègues en service. Ces mêmes revendications ont été formulées par d'autres manifestations qui ont eu lieu dans beaucoup d'autres régions du pays. A noter, à ce propos, celle qui a eu lieu à Monastir devant le gouvernortat et qui vu la participation de Faouzi Benzarti , l'entraineur national et Zouheir Chaouch président de l'Union Monastirienne. Selon un témoin sur place, Amer B., Faouzi Benzarti aurait appelé à la dissolution du RCD et le retour au parti socialiste destourien. Affaire à suivre.