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Pardon Bouazizi!
Publié dans Le Temps le 01 - 02 - 2011

Connaissez-vous Sidi Bouzid ? Sans l'ombre d'un doute oui. Mais ce que vous connaissez, surtout, c'est cette ville du centre de la Tunisie devenue l'emblème de la Révolution de la dignité.
Nous avons pris la route, direction Sidi Bouzid, tempête sous crâne, ruminant tout au long les événements qui l'ont secoué récemment. Un gouvernorat de 40000 habitants aux allures, pourtant, d'une cambrousse. Pas vraiment gâtée par la nature : loin de la capitale et de la mer, ceinturée par des montagnes et souffreteuse d'un enclavement freinant son développement.
Sidi Bouzid c'est aussi le premier producteur de légumes en Tunisie et fait partie des principaux bassins laitiers du pays. Joli contraste, en effet ! Puis, Sidi Bouzid c'est aussi la bataille de la Seconde Guerre mondiale qui a opposé les forces de l'Italie fasciste et de l'Allemagne nazie aux forces alliées, en 1943.
Mais, Sidi Bouzid a, plus que tout, réécris son Histoire, ébauche de celle de la Tunisie. Une réécriture qui s'est coltinée dans la douleur et par le sang dont les premières notes étaient composées par le crève-cœur de feu Bouazizi.
Ce n'est peut-être pas le décharnement absolu quant à la vie que les Bouzidiens –excessivement et injustement traités de butors- mènent des années durant sous le régime de Ben Ali. Néanmoins c'en est fallut de très peu.
A Sidi Bouzid, la vie semble avoir repris son cours normal. Quelques débris encore témoignent de la baston charriant des jeunes intrépides orgueilleux de devenir héros ou martyrs de notre chère patri. Les souvenirs assaillants de la Révolution ont pris lieu d'habits des murs et quelques symboles de part et d'autres de la ville.
Pardon Bouazizi !
Le début de notre reportage ne pouvait prendre en guise d'ouverture autre que celle de la visite du domicile et de la famille du défunt Mohamed Bouazizi. C'est quelque part une forme de mea culpa et d'un pardon qu'on voudrait demander à Bouazizi et à sa famille. Pardon de n'avoir pas pu raconter la véritable histoire d'acte loin d'être « isolé », certes de désespoir mais pas uniquement.
Nul ne peut imaginer le sentiment qu'il aurait pu avoir à la suite de son humiliation et de son oppression devant toute une assistance. Voir sa dignité bafouée de la sorte ne peut laisser un homme tel Bouazizi indifférent ravalant sa colère et son mépris envers pareille situation. Toute la ribambelle de rebuffades et de refus de tout compromis ont poussé ce jeune homme à un acte des plus épouvantables et traduisant au plus haut point ce qui le touchait au plus profond de lui.
« Pardon Bouazizi ». Pardon d'avoir tue ton affliction et ton supplice. Pardon de n'avoir pas compris ta cause et ne l'avoir pas défendu. Pardon d'avoir fait primer la peur et empêcher de reconduire la vérité telle qu'elle.
Mais qui est Mohamed Bouazizi ?
Nous avons rencontré une de ses sœurs, « Samia », nous lui avons demandé de nous parler de lui. Elle nous raconte d'abord comment tout a commencé pour Mohamed. « À l'âge de 3 ans, il a perdu son père, il travaillait en même temps qu'il faisait ses études au secondaire. Il voulait aider la famille à subvenir à ses besoins. Et à l'année de son baccalauréat, il fallait qu'il fasse un choix, celui de continuer les études ou de travailler. Il se sentait responsable de nous, et cela le rendait fier. » Et d'ajouter : « on ne manquait de rien grâce à lui, dès qu'il rentrait à la maison après une journée de travail, il distribuait l'argent gagné sur tous les membres de la famille, des fois il ne pouvait donner à ma mère qu'un dinar et cela la faisait rire. »
Samia et ceux qui l'ont connu nous disent que Mohamed Bouazizi aimait rire et faire des plaisanteries. Il respectait tout le monde et tout le monde le respectait. Il était aimé et connu de tous pour son caractère généreux et gentil. « C'est une grosse perte et pas seulement pour nous sa famille mais pour toute la ville. Un de nos voisins m'a même dit qu'il ne pleurait pas son propre fils comme il a pleuré Mohamed. » Nous confie Samia.
Le 17 décembre 2010 : le début de la fin
« Ce jour là Mohamed est sorti comme d'habitude travailler sur charrette quand les agents de la municipalité sont venus pour la nième fois lui demander l'autorisation de marchander, mais puisqu'il ne l'a pas parce qu'il est marchand ambulant, on lui a confisqué sa marchandise, l'agent (femme qui plus est) l'insulte, lui crache dessus et finit par le gifler. » Trop de humiliation, en effet. Trop à ne pas en supporter. Pourquoi se faire admonester de cette façon ? Qu'a-t-il commis d'aussi grave pour mériter une telle sanction ? Rien, évidement.
« Lorsqu'il a voulu rencontrer un responsable pour régulariser sa situation, bien sûr personne ne l'a écouté. Et c'est là qu'il est allé chercher une bouteille d'un litre et demi d'essence et un briquet à la main, il ne savait plus ce qu'il faisait, il était complètement hors de lui, rongé par la colère et le désespoir. En cliquant plusieurs fois le briquet, il a fini par s'allumer et déclencher la première flamme de la révolte, de la Révolution. »
Pourquoi cet acte d'immolation par le feu ?
Smaïn Laâcher. Sociologue au Centre d'étude des mouvements sociaux (CNRS-EHESS) a déclaré sur les colonnes du journal « Al Watan » à propos de cet acte : « l'immolation est un acte politique et non seulement un acte de désespérance sociale...Tout simplement parce que ce n'est pas un acte privé. Il surgit dans l'espace public et prend à témoin les publics présents. Ce n'est pas seulement sa vie que l'on supprime. L'immolation est un acte d'accusation porté contre la puissance publique et son monopole par tous les puissants. C'est quand il n'y a plus d'interlocuteurs et plus de cadre légitime pour faire valoir son tort et demander réparation que la mort devient une issue possible à la répétition, sans fin du malheur. »
Voyez-vous Mohamed Bouazizi ne connaissait pas toutes ces explications psychologiques de l'acte qu'il a commis. Et nous savons, par ailleurs, que l'immolation en forme de suicide n'est pas tout à fait répandue en Tunisie. D'ailleurs, avant Mohamed Bouazizi, un jeune de son quartier nous rapporte qu'un autre jeune homme porteur de projets à qui on a refusé le financement et donc échouer son projet, s'est donné la mort en avalant un poison mais son acte n'a pas attiré l'attention vers lui.
Bouazizi était écarté de la société, effacé par les autorités, mais il vivait dans le respect et la dignité et selon Samia, les Bouzidiens ne peuvent souffrir aucun compromis quant à leur dignité, c'est leur corde sensible est la toucher serait synonyme de crime contre leur personne. « Le lendemain de l'incident, mes tantes –qui sont nombreuses- se sont déplacées devant le bâtiment du gouvernorat de Sidi Bouzid et ont manifesté contre leurs pratiques inhumaines envers les habitants et en particulier Mohamed», enchaîna Samia.
Mohamed Bouazizi était ambitieux, il n'entendait pas rester marchand ambulant de légumes, il projetait d'acheter une voiture avec de l'argent qu'il aurait économisé et améliorer son petit commerce puis l'agrandir. Son rêve et son ambition ne seront pas réalisés. Mais en contre partie, il a réalisé le rêve de tous les Tunisiens : celui de la liberté et de la dignité. Il leur aurait offert ce qu'il y a de plus cher à tout être humain et a payé de sa vie pour cela.
Sur le chemin du retour, nous avons été nous recueillir sur la tombe de Bouazizi dans le cimetière de « Horchana » situé entre l'école primaire de Sidi Salah et la localité de Sidi Bannour- le village natal de la famille Bouazizi à 16 km de Sidi Bouzid. La tombe est facilement repérable dans ce champ s'étendant à perte de vue, le drapeau de la Tunisie planté juste à côté. Nous avons récité la fatiha et sommes partis, le cœur rempli d'émotion et d'amertume. Car si nous avons eu notre Révolution, fait chuter l'ancien président et son régime, le chemin vers la démocratie et la liberté demeure encore filandreux et éreintant.


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