On a tout dit ou presque sur la Révolution de jasmin et sur son éventuel effet dominos qui fera tomber bien d'autres régimes totalitaires dans le monde arabe. On a, également, parlé de l'inspiration tunisienne quant au soulèvement du peuple qui a insufflé bien d'idées à d'autres populations. M. Fawzi Bouaziz, docteur en sociologie propose une lecture différente des faits. Le Temps : Quel regard portez-vous sur la révolution tunisienne? M. Fawzi Bouaziz : J'ai des réserves par rapport à la couverture médiatique faite sur la Révolution tunisienne, que ce soit en Tunisie ou à l'Etranger. Les spécialistes des médias se disent surpris et pris au dépourvu par la Révolution qu'ils ont vénérée après coup. La sociologie compréhensive prônée par Max Weber nous éclaire sur la situation actuelle. Depuis 20 ans, la réalité tunisienne a évolué de manière à ce qu'une bombe à retardement aille exploser à tout moment de l'histoire. Les évènements de Gafsa et ceux de Ben Guerdane étaient pourtant des signes avant-coureurs de cette éventuelle explosion. En plus, le modèle de gestion personnalisé cause de sous-développement des pays du tiers-monde est devenu une caractéristique de notre société qui fait que l'on perçoit l'établissement public comme une propriété privée. Un autre indice peut être fourni dans la foulée, se rapportant à l'analyse avant-gardiste d'Ibn Khaldoun qui au 14ème siècle a expliqué que la fin d'un empire se caractérise par la généralisation de la corruption, par le déploiement du faste et par la recherche à esbroufer autrui avec une certaine ostentation. Tous ces indices portent à croire que la réalité tunisienne est unique et qu'elle a imposé un modèle de révolution qui nous est bien particulier et que l'on ne peut en aucun cas calquer. Il y a lieu de remarquer que la réalité tangible précède le précepte. Celui-ci est malléable et se transforme selon la réalité. Quels changements a-t-on opéré suite à la Révolution ? Nous assistons à une nouvelle socialisation. N'importe quel phénomène est une forme de socialisation qui se base sur des principes nouveaux. Le Tunisien se familiarise aujourd'hui avec des concepts nouveaux comme la liberté d'expression, les libertés d'une manière générale, l'opposition, le comité constitutionnel, la citoyenneté. De nouveaux rôles s'imposent dans la société et doivent entraîner un changement immédiat touchant à plusieurs domaines comme le juridique, et autres. Mais aussi des changements dans le comportement des gens qui prennent des années et des années. Le fruit de la Révolution n'est perceptible qu'après une quinzaine d'années. Je reste optimiste. Mais on a l'impression qu'on verse dans l'anarchie totale. Qu'en pensez-vous ? L'anarchie est une évolution normale de la Révolution à ses débuts Elle se suit d'une anomie qui fait que les normes communément acceptées disparaissent. Il est vrai qu'on vit une période de crise, mais la crise est un signe de vie qu'on doit savoir encadrer pour que la révolution réussisse. Pour ce faire, il faut être bien outillé et avoir les moyens pour pratiquer la démocratie. Alors que si l'on observe la situation actuelle, on se rendra compte des faiblesses de nos médias à mener un véritable débat démocratique et à convaincre le citoyen de sa nouvelle socialisation. Pour sortir de cette impasse il faut privilégier la communication dans tous les domaines de la vie, au sein de la famille, à l'école et dans nos médias, etc. La rumeur est devenue un phénomène quotidien qui se répand comme une trainée de poudre. Qu'en dites-vous ? La rumeur est parfois voulue. On laisse courir une rumeur pour, par la suite, évaluer la réaction des gens et rectifier le tir.