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« Il est nécessaire d'engager des démarches en profondeur pour être en phase avec la Révolution » Politique: Moncef Chebbi démissionne de l'Union Démocratique Unioniste (UDU)
Un des fondateurs de l'Union Démocratique Unioniste (UDU) et membre de son bureau politique Moncef Chebbi vient de démissionner de ce parti. Il nous explique ici les raisons de sa décision et s'il envisage de former un autre parti. Il nous parle aussi de la situation actuelle du pays. Interview Le Temps : Quelles sont les causes qui vous ont poussé à démissionner ? M. Moncef Chebbi : Elles sont très nombreuses. J'en retiendrais quelques unes. La scène politique tunisienne après la Révolution a de nouvelles exigences. Elle demande que surgissent des forces nouvelles capables de fusionner avec l'élan populaire. D'en traduire l'essence en termes politiques, des forces capables de mobiliser les énergies pour construire une Tunisie nouvelle et rayonnante, une Tunisie plus juste, sur tous les plans or l'UDU est l'héritier d'une culture politique statique, n'a jamais réussi à s'élever à ce niveau. J'ai tout fait pour bousculer les vieilles habitudes les réflexes autoritaires, la disposition naturelle à écouter les directives émanant du palais, plus précisément d'Abdellaziz Ben Dhia, mais je n'ai pas réussi. • Mais pourquoi avez-vous attendu la Révolution pour vous retirer de ce parti ? -Je n'ai pas attendu la Révolution pour m'inscrire en faux contre les politiques décidées par le secrétaire général du parti Ahmed Innoubli et le groupe des nationalistes chauvins qui l'entouraient et qui en dernier ressort l'ont abandonné à son triste sort, pour aller flâner ailleurs. Au printemps dernier j'ai fait devant le Conseil national le bilan de l'action d'Innoubli à la tête du parti et j'ai établi un diagnostic sévère qui laissait peu d'espoir quant à unze éventuelle de ce parti malade d'absolutisme et j'ai dit que seule une nouvelle équipe dirigeante pourrait, peut être, y remédier. Et c'est dans cette perspective que je me suis porté candidat au secrétariat général du parti. Donc ma position et le bilan que je fais de l'action du parti UDU ne date pas du 14 janvier. Mais j'ai compris après cette date que les exigences de la scène politique vont bien au delà d'un nettoyage hypothétique de tel parti ou de tel autre et qu'il est nécessaire d'engager des démarches en profondeur pour être en phase avec la Révolution du Jasmin et de la dignité. • Comptez-vous adhérer à un autre parti ou en créer un autre ? Il me serait très difficile d'envisager une retraite politique. Je suis dans toute autre disposition d'esprit et beaucoup d'amis m'interpellent aux quatre coins du pays pour demeurer sur la scène politique et continuer d'accomplir l'avenir avec sérénité en dialoguant avec un grand nombre de militants et d'hommes politiques pour mettre au point les textes et les orientations sur lesquelles se bâtirait un nouveau projet. Cela va prendre quelques semaines où je serais probablement amené à sillonner le pays d'Ouest en Est et du Nord au Sud pour aboutir probablement à une nouvelle formation politique dont il m'est difficile d'annoncer aujourd'hui les choix et les couleurs. • Dans quel créneau idéologique et politique se situerait cette formation ? -Je crois qu'il n'y a pas de secret parce que je ne participerai pas à la construction d'une force politique non conforme aux choix que j'ai toujours porté. Il est certain que la Révolution en cours m'a donné une matière à réfléchir mais pour l'essentiel cette force nouvelle aura sans doute une orientation sociale pour plus de justice dans la répartition des fruits de l'effort national. Elle aura comme on peut s'en douter, une très forte exigence en matière de démocratie et de droits de l'Homme. Enfin la question identitaire occupera une place de choix. Maghreb et monde arabe sont en effet les cadres naturels pour la prospérité nationale de demain. Ces thèmes, qui me sont chers, ont constitué l'essentiel de mes interventions ces vingt dernières années sur les colonnes de la presse nationale et depuis plus de cinq ans sous la coupole de la Chambre des conseillers. C'est donc le fruit d'un long mûrissement politique et intellectuel et je ne suis pas prêt à y renoncer. Tout regroupement à la construction duquel je pourrai être amené à collaborer devra tenir compte de ces choix d'autant que la Révolution en cours à épouser pour l'essentiel une démarche tellement proche de ces orientations. • Que pensez-vous de la situation actuelle du pays et de la composition du gouvernement de transition ? -Cinq ou six générations successives ont subi depuis la colonisation jusqu'à ce jour l'oppression politique, l'exploitation économique et la misère sociale. Après le régime colonial, le peuple tunisien qui a tant sacrifié à l'indépendance et à la liberté s'est retrouvé sous le joug d'un régime despotique et sa jeunesse a rempli les géôles bourguibiennes. Certains hommes parmi les plus valeureux y ont laissé leurs vies a tel point que le 7 novembre 1987 a été vécu par tout un peuple comme une nouvelle indépendance. Mais une nouvelle fois il a fallu déchante. Le vaillant peuple tunisien en avait gros sur le cœur malgré quelques réalisations d'ordre matériel. Le changement tant espéré s'est noyé dans la folie d'un couple présidentiel aux fantasmes ravageurs. Les révélations se succèdent pour nous décrire l'ampleur de la dérive au plan financier et surtout au niveau des dégradations des mœurs administratives. Nous étions donc affames de justice, de liberté et de bonne gouvernance. Vu sur cet angle le gouvernement de transition ne présente pas comme je l'aurais souhaité les caractéristiques d'un gouvernement d'union nationale on pourrait lui imputer énormément d'erreurs mais de son manque d'expérience politique et d'engagement révolutionnaire. Gestionnaire bien sûr mais gestionnaire s'entend au service de la Révolution or vous le constatez le peuple tunisien reste insatisfait. Il reste sur sa faim et attend avec impatience que les décisions majeures soient en adéquation avec les choix populaires. Les gouverneurs s'ils doivent être issus du terreau administratif n'en doivent pas moins avoir un minimum de crédibilité politique parce que l'effervescence populaire exige un discours politique cohérent et parce que le sens commun populaire est parfaitement capable de distinguer les opportunismes et les engagements sincères. Il ne suffit pas que certaines personnalités sur la probité desquels aucun doute ne doit planer soient incluses dans ce gouvernement pour qu'on parvienne à tromper la vigilance de la classe politique et le sens aigu de la responsabilité populaire . • A votre avis la situation va-t-elle se stabiliser ? -Je crois que le temps aidant la situation peut se calmer. Une certaine reprise est déjà tangible et je pense sincèrement que malgré ses faiblesses ce gouvernement doit poursuivre sa tâche au bénéfice du doute. De toute manière nous avons attendu un demi siècle nous pouvons attendre 6 mois. Interview réalisée par Néjib SASSI