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La main dans la main, les Kasserinois vivent une métamorphose
Reportage - Caravane de Kasserine
Publié dans Le Temps le 15 - 02 - 2011


• « Pas de pitié pour les corrompus »
• « Qu'on en finisse avec ces grèves et qu'on se remette au travail »
• « Les Kasserinois des cités Ettadhamen et Ettahrir nous ont rejoints pour contrer la milice de Seriati : mine de rien, nous sommes deux millions de Kasserinois en Tunisie.
Terre aride, visages hâlés, misère crue, tels sont les impressions qu'on a en visitant les régions intérieures, il y a à peine un mois. Le décor est demeuré le même, les traits des habitants exprimaient toujours la même rudesse, mais quelque chose a profondément changé un jour de dimanche – 12 février – jour pendant lequel une caravane est partie de Tunis en direction de Kasserine.
En quelques semaines, la Tunisie a été remué de fond en comble. Un dictateur était chassé et un peuple s'est « senti » pour la première fois pendant des décennies maître de sa destiné. D'un seul coup, on prit conscience de l'existence de l'autre, de celui qui vit dans l'arrière scène de la Tunisie touristique et animée, de ceux qui vivent dans l'ombre… On les appelait par ailleurs, dans les temps Ben Ali, les habitants des zones d'ombre, néanmoins, le peuple s'est rendu compte aujourd'hui, que cet oubli existait dans la conscience collective et non pas sur le plan géographique.
Par le passé, le gouvernement organisait souvent des caravanes. Tristes mascarades organisées pour seul but, prise de photos et campagnes de promotion de l'image d'un président, soucieux de montrer au monde entier qu'il était solidaire de son peuple. Jamais population ne s'était vraiment sentie concernée par ces élans. Mais aujourd'hui, des milliers de Tunisiens se sont organisés pour affluer, ce dimanche dans la ville de Kasserine, dans un geste spontané de rencontre, de gratitude et d'amour, celui du peuple et de la patrie.
Merci Kasserine
Trois cents kilomètres à faire dont une grande partie sur une route serrée, voire désagréable. Une route qu'une grande majorité des gens partis dans la caravane non seulement jamais prise, mais encore moins songer à le faire. Et pourtant, pendant tout le temps que le voyage avait duré, le temps n'avait plus de notion et une ambiance spéciale y ajoutait de la magie.
Quelques jeunes rassemblés dans l'une des voitures et faisant partie du groupe se sont étonnés eux-mêmes des discussions qu'ils avaient faites jusqu'à l'arrivée à Kasserine. Il n'était plus question pendant presque cinq heures de ce qui se passait à l'étranger, ni du prochain voyage, ni de soucis personnels, ni même de foot. Quels sont les profils des ministres constituant le gouvernement transitoire, quels sont leurs liens avec l'étranger, est-ce qu'un régime parlementaire servira mieux à la Tunisie ou alors présidentiel, quels sont les enjeux et menaces, qui sont ces politiciens ou alors, à chaque région que la voiture traversait, quels genres de projets y seront les mieux indiqués… Ces jeunes se demandaient même comment peuvent-ils y participer et élaborer les meilleurs plans, de gestion, de transport ou de communication. Et on se disputait le seul drapeau de la Tunisie qui était dans la voiture. De temps en temps, on apercevait des étrangers dans la caravane, ils y participent en ayant bien pris soin de mettre le drapeau de la Tunisie.
Le pragmatisme s'installa sur la route entre Kairouan et Kasserine, mais l'émotion prendra sa place et atteindra son paroxysme à l'arrivée en ville. La population locale bordait les routes, saluait ceux qui sont dans les voitures, les mains se serraient dans un élan d'union. Enfants, jeunes, femmes, chacun exprimait ses sentiments comme il le pouvait. D'un côté, la surprise de découvrir ces régions, la culpabilité d'avoir laissé faire tant de marginalisation, l'envie de fondre avec la population locale, la gratitude et la détermination de participer à changer les choses et d'un autre, le pardon, l'accueil, la générosité et les voix qui se font finalement entendre. Et à chaque patelin, les voitures s'arrêtaient, un embouteillage fou, mais ce jour là, personne ne s'en plaignait, personne ne klaxonnait, on prenait notre temps…
On nous a offert du pain, du Mlaoui, des bonbons, des roses et du thé à l'entrée de Kasserine. Un mouton fut égorgé sur la route, geste ultime de bienvenu dans ces zones. Les braves Kasserinois réglaient la circulation, parlaient à leurs invités, répondaient par « on est un seul peuple » aux « Merci Kasserine » des arrivants.
Kasserine métamorphosée
« Bastion de la révolution » c'est ainsi qu'on pouvait lire à l'arrivée de la ville. Sur les murs, les Kasserinois avaient écrit « pas de pitié pour les corrompus », « Non à la marginalisation », « Où sont les médias », « Cet endroit fera bien une usine et non pas une prison » et d'autres revendications, rappelant aux Kasserinois et à leurs visiteurs que la révolution faite et le président déchu, l'édification sur des bases solides de la Tunisie devrait continuer.
Au centre de la ville, un édifice a vite été érigé à la mémoire des martyrs. On y voyait leurs noms inscrits et leurs dates de naissance. Le plus jeune martyr est une fille, âgée de six mois, tuée asphyxiée par les gaz Lacrymogène.
Un club, celui des martyrs a été crée. On y trouve leurs photos, les gens venus de Tunis, et des autres villes, y pénétraient, comme dans un lieu de pèlerinage. On récitait la Fatiha, on entendait nous raconter les détails de leurs morts, et on y prenait des photos. On nous raconta l'histoire du premier martyr, un jeune abattu par balle de la part d'un snipper, une femme précisent-ils. Il avait 17 ans et se rendait là où son père travaillait comme vendeur de fruits et de légumes afin de l'aider. C'est pour ça que Kasserine s'est révoltée, indignée et prise par la rage. Un autre fut atteint, à bout portant, en aidant l'ambulancier à évacuer un blessé dans l'ambulance. Ils n'oublieront pas dit-on et pour ce prix qu'ils avaient payé, jamais ils ne permettraient encore une fois d'être mis à l'écart de la Tunisie.
Kasserine saccagée, brûlée par endroits : Meublatex, le local du RCD… revit aujourd'hui et est bien décidée à participer à l'essor et l'avenir de la Tunisie, plus encore à y appartenir.
Longtemps réduits au silence, par le passé par un régime qui laissait couler le chiite à gogo, les jeunes de Kasserine se sont réunis ce dimanche au centre ville, non seulement pour accueillir chaleureusement leurs invités, mais des longues séances de débats eurent lieu entre groupes.
« On sait que c'est un gouvernement provisoire, nous voulons que tous ces gens qu'on voit à la télé revendiquer des augmentations cessent leurs grèves, dites leur. Qu'ils travaillent, l'économie a besoin d'être reconstruite, pour qu'après toutes les régions revivent. Nous donnons une chance à Ghannouchi jusqu'aux élections… » Nous dites-on
L'Economie et la politique furent le centre des discussions qui ont retenu pendant des heures les jeunes rassemblés de partout à Kasserine. On évoqua également l'Egypte, son sort, mais on insistera beaucoup également à ce que plus personne n'oublie son concitoyen en Tunisie, à ce que Kasserine ne soit plus jamais léguée aux oubliettes d'un régime quelconque. Des amitiés se sont nouées et la promesse d'autres rencontres et visites qui devraient avoir lieu entre les jeunes des différentes régions afin que le peuple reste uni.
La police lavée de tout soupçon et stratégie de guerre
Les policiers, absents de la ville durant dix jours, ont repris le service sous l'acclamation de la population. De nouvelles relations commencent. Le comité de la protection de la révolution instauré par les civils aide à nettoyer la ville, à protéger les gens, mais aussi à réparer les postes saccagés. « Parfois on a l'impression que ce sont nous qui les aidons », nous confia quelqu'un de la police.
De leur côté, les gens de Kasserine nous assurent savoir qu'aucun agent de sécurité nationale n'avait tiré sur la population. « Ce sont les Bops, ils ont vidé les postes de leurs armes et la police n'en avait plus. On nous les a envoyés spécialement et ils nous ont attaqués avec les snippers. Même lors des confrontations avec la police locale, aucun d'eux n'a blessé un citoyen. Nous sommes d'accord que notre révolte a été au départ orientée vers la police, symbole du régime et de l'autorité pour nous, mais maintenant nos relations ont changé, pour être établies à nouveau sur la confiance.»
On nous raconta également l'intelligente stratégie qu'ils avaient élaborée pour se défendre « Nous avions appris que Seriati nous a envoyé dix bus remplis, il voulait nous massacrer dans la nuit. Kasserine était encore le centre de la révolte. Nous avons appelé nos proches à cité Ettadhamoun et Ettahrir. Vous vous imaginez ? Deux millions d'habitants y vivent et ils sont en grande majorité originaires d'ici. Révoltez-vous nous leur avons dit, et aussitôt ils le firent. Le soir même ça brûlait là-bas. Les bus qui nous étaient envoyés ont dû rebrousser chemin. Non seulement cela nous sauva, mais fera écrouler le trône qui vacillait déjà… »
Nous avons quitté Kasserine peu de temps avant le coucher du soleil, les routes n'étaient pas sûres, et voyager de nuit était certes dangereux, mais quelque chose nous attachait à la ville et on avait du mal à quitter. Le temps passa si vite, une journée c'était peu…
En quittant la ville noyée dans le crépuscule, nous étions sûrs que quelque chose avait définitivement changé en Tunisie. Qu'avant la révolution, nous ne savions pas vraiment la réalité des choses dans ces régions, mais aujourd'hui on le sait et il nous sera alors impardonnable de participer à une nouvelle marginalisation. Nous savions qu'un changement sans retour est entamé, nous n'avons d'autre choix que de participer et le mener à bon escient.


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