J'ai lu très attentivement l'interview accordée par Monsieur Le Premier Ministre au journal Assabah dans sa livraison du 10/2/2011 et je vous avoue que ça n'a fait que nourrir davantage le doute et les réserves que j'ai à l'encontre du gouvernement provisoire et de sa capacité et la compétence de certains de ses membres pour faire face à la situation que vit notre peuple et que traverse notre pays. En effet, mes réserves concernent autant la conception, que la structure et les faits politiques de ce gouvernement auquel j'avoue avoir accordé un préjugé favorable aux premières heures de son annonce. Dans cette interview, Le Premier Ministre reconnait la précipitation ayant accompagné la formation de ce gouvernement et le fait de ne pas avoir élargi le champ des consultations. Ceci et le reste ne font que renforcer mes doutes et mes réserves. Je ne comprends pas comment on peut respecter la constitution tout en la violant, certes en douce et très gentiment. Sans prétendre être un spécialiste du droit, je pense que l'ordre des articles d'un texte législatif doit refléter une logique importante dans l'articulation des uns avec les autres. Par conséquent tout article précédant les articles 56 et 57 ne peut s'appliquer à ce que ces deux derniers peuvent générer comme situation sauf si cela est spécialement mentionné. Alors, faire voter l'article 28 de la constitution dépouillant le parlement (avec ses deux chambres) de son pouvoir législatif est, à mon humble avis, au moins une erreur d'aiguillage et au plus un fait anticonstitutionnel. On est en droit de se demander pourquoi cela ? Si ce parlement n'est pas légitime autant lui permettre de s'auto-dissoudre comme l'a proposé le député (Rcdiste), le premier à intervenir lors du débat de cette loi. Sinon laissons-le assurer sa mission. Doit-on s'attendre à ce que ce parlement « dépouillé de son pouvoir « soit rappelé pour voter une loi activant l'article 39 de la constitution qui permet au Président de la république (en principe élu), en cas de guerre ou de péril imminent, de reporter les élections à une date ultérieure. Ce qui revient à proroger un intérim sensé ne pas dépasser 60 jours. J'ai peur que ça ne devienne du provisoire qui dure. Toujours dans le cadre de la démarche à laquelle vous avez opté, qui va voter et adopter les projets de lois (nouvelles ou de simples révisions) tels que le code électoral, le code de la presse, la loi sur les partis et les associations et surtout la constitution ? Je n'ai pas compris, je ne comprends et ne comprendrai jamais pourquoi un gouvernement provisoire avec autant de ministres et surtout l'utilité des secrétaires d'état sans parler de leur assez grand nombre. Est-ce pour faire plaisir à certaines sensibilités ou bien pour mettre en orbite, pour l'avenir, les éventuels candidats ? Je ne comprends pas quand il affirme que le programme (que l'on a toutes les peines du monde à déceler dans l'action) du gouvernement provisoire est la transition démocratique et, plus loin dans la même interview, que le souci majeur du gouvernement est la libéralisation des investissements. Notre jeunesse s'est levée et a entamé sa révolution (devenue depuis celle de tout un peuple) pour la liberté, la dignité et la justice sociale et non pour une quelconque augmentation de salaire ou titularisation de quelques contractuels, reléguant ainsi au second plan les revendications sociales qui ne sont pas négligeables pourtant. Je suis d'accord avec lui que le plus urgent est de concrétiser la liberté et la dignité. Malheureusement on n'entend pas les autres membres du gouvernement expliquer ce principe avec un discours franc, juste et vrai dans un contact direct avec les manifestants en leur expliquant la situation réelle de l'économie dans tous les secteurs du pays et en précisant ce qui est réalisable dans l'immédiat et ce qui peut être reporté à plus tard. Au contraire, on a vu le ministre de l'éducation, par exemple, critiquer la grève à caractère politique, déclenchée par les instituteurs, en disant qu'ils n'ont le droit de grève que pour des revendications matérielles. N'est-ce pas là une invitation au déclenchement du mouvement social revendicatif, à la généralisation duquel on assiste maintenant ? Ce même ministre, incapable d'avoir de l'imagination pour minimiser les journées perdues par les élèves, conduit le même calendrier des vacances de février. Quelles sont l'opportunité et les répercussions positives de ces vacances sur nos enfants ? N'aurait-il pas été plus judicieux de donner les journées du 14 et 15 février (Mouled)? Je ne comprends pas comment, au même moment où il dit ne pas posséder une baguette magique pour tout résoudre, on accorde des augmentations pour certaines catégories sociales (la police, la gendarmerie et l'armée, etc…) et qu'on les refuse pour d'autres. Je ne comprends pas comment le ministre de l'enseignement supérieur promet une aide (de valeur ridicule, inférieure à la pension vieillesse) aux étudiants non boursiers et inscrits au 3ème cycle. Quelles sont les mesures budgétaires qui supporteront ces dépenses car elles ne sont pas inscrites au budget voté en décembre dernier et il n'y a pas eu de collectif budgétaire complémentaire. Je ne comprends pas la compagne de limogeage de certains cadres dans tous les secteurs, qui s'apparente plus à une épuration « ethnique « associée à un positionnement de copains et d'obligés qu'à une optimisation de ressources humaines. N'est-il pas plus juste de faire des audits pour déterminer le degré de leurs implications dans les malversations et exactions du régime du président déchu et de décider de leurs sorts en fonction des résultats de ces audits. Je ne comprends pas ce qui est arrivé aux contractuels de Tunisie Télécom et l'absence de réaction immédiate et adéquate du gouvernement. Je ne comprends pas comment les gouverneurs ont été nommés. Une fois que la plupart d'entre eux a été maladroitement chassée de leurs postes, qu'attend-on pour les remplacer ? N'est-ce pas une urgence ? Je ne comprends pas la composition des trois fameuses commissions et surtout celle chargée de préparer les textes législatifs concrétisant la transition démocratique et la rupture définitive avec les anciennes pratiques détestables et condamnables du pouvoir. Dans toutes les sociétés, ce sont les politiques qui conçoivent la législation et les juristes qui la rédigent dans les termes spécifiques. Par conséquent, cette commission doit comprendre des représentants du spectre politique et de la société civile et quelques (et non exclusivement) juristes. Comme je ne comprends la création d'une commission qui veillera au respect de la déontologie journalistique. Est-ce que les journalistes sont des mineurs ? Afin de me permettre de comprendre, je pense Monsieur Le Premier Ministre que ce gouvernement provisoire doit avoir une feuille de route claire, basée essentiellement sur les réformes politiques conduisant à la préparation d'élections réellement démocratiques en établissant un calendrier pour les textes à promulguer tout en précisant leurs lignes directrices et les instances qui vont les discuter et les adopter. Le gouvernement provisoire doit faire preuve de transparence et de cohérence dans ses actions telles que les nominations des gouverneurs, des ambassadeurs et de tout autre corps des commis de l'état ainsi que dans son traitement des revendications sociales. Ce n'est que comme ça que l'on pourra se libérer du joug de 23 ans de despotisme et d'oppression. Tahar Manoubi Professeur de l'Enseignement Supérieur