L'hésitation, le flou et la confusion sont, tout le monde le sait, les ennemis mortels de tout leadership. Que dire alors si ce dernier est du type politique et touche les institutions de l'Etat ? Cela arrive quand un pays est en ébullition et ses citoyens en colère. C'est en fait ce qui est arrivé chez nous, lors des derniers événements qui ont pris tout le monde de court et imposé leur logique. Cette dernière n'a qu'un seul nom, la précipitation. Ces comportements continuent de se manifester au niveau du gouvernement provisoire et participent à réduire la visibilité. D'aucuns craignent déjà qu'à la place de la peur de la dictature, s'installe chez nous la peur de l'inconnu. Certains veulent hélas, que ce scénario se réalise. Espérons que le peuple les contredira. Flou et confusion se retrouvent aussi au niveau de l'opinion publique (dans la rue et via les médias), ce qui ne semble pas arranger les choses, puisque les effets se multiplient. Chacun des deux protagonistes gouvernement-citoyens y va de son côté. Un vrai problème de communication, quoique les revendications du peuple soient devenues actuellement plus claires. C'est donc au niveau de l'opinion publique que nous allons essayer de donner une idée succincte sur ces pratiques. Un détail, mais de taille Nous avons constaté cet état de fait dès le départ. Un quotidien titrait le samedi 15 janvier: «M. Mohamed Ghannouchi assure la Présidence de la République». Sans rappeler le contexte et sans préciser dans la titraille qu'il ne s'agit que d'un intérim en vertu de l'article 56 de la Constitution. Il faut lire le texte de l'article pour comprendre de quoi il s'agit. Dimanche, c'était au tour d'une animatrice télé de s'égarer en bavardages et confusions. Croyant rassurer son auditoire, elle leur explique, d'une manière assez savante, que la Constitution prévoit l'obligation pour les pouvoirs publics de procéder dans un délai ne dépassant pas les 60 jours à l'organisation, tenez-vous bien, «d'élections présidentielles et législatives» (sic). Il n'en est rien. L'article 57 de la Constitution qui a été appliqué le samedi, après un constat de la vacance du poste de Président de la République, est pourtant clair: «(…) Durant cette même période, des élections présidentielles sont organisées pour élire un nouveau Président de la République pour un mandat de cinq ans (…)». Il est cependant envisagé selon le dernier alinéa que le nouveau Président «peut dissoudre la Chambre des Députés et organiser des élections législatives anticipées». Le détail, si insignifiant soit-il, est donc clair : les législatives ne sont pas obligatoires selon la Constitution. Nous comprenons, ici, rapidement que le contexte politique ne peut que conduire à des élections législatives. Mais, entre la tendance et ce que permet la loi, il y a une différence bien claire. Citons au passage qu'un intellectuel participant à un débat télévisé a persisté et signé en disant que le gouvernement provisoire dispose d'un mois seulement (sic) pour organiser des élections alors que la Constitution prévoit jusqu'à deux mois (article 57) et même plus si nécessaire (article 46). Etat ou gouvernement ? S'adressant à un éminent juriste, un journaliste a, pour formuler sa question, dit que, puisque le gouvernement de transition a été formé, l'Etat a donc été reconstruit. Erreur ! L'Etat a toujours existé avec ses institutions, ses lois et les différents pouvoirs qui expriment sa volonté. L'interviewé n'a d'ailleurs pas passé sous silence cette confusion de taille. Bon nombre de citoyens ne savent pas, en effet, faire la différence entre les deux institutions et prennent facilement l'une pour l'autre. Nous avons lu aussi dans un journal ce que nous reproduisons ici : «Les jeunes ont pris la sécurité du pays en main, aidés en cela par l'armée et les forces de l'ordre». Cela s'appelle aller trop vite en besogne. Que peuvent faire, en effet, des groupes de jeunes pour assurer la sécurité d'un pays qui est un vaste programme incluant frontières, centres névralgiques, positions stratégiques, infrastructures vitales, sites sensibles, etc. Tout juste sont-ils capables de défendre leurs quartiers respectifs. Discutant avec un auditeur, un animateur radio s'est étonné d'entendre son interlocuteur remettre en question certaines revendications et lui a répondu ainsi : «Comment, vous vous positionnez contre la volonté du peuple ?» (vous n'avez pas honte ! Sommes nous tentés d'ajouter). Confusion grave, car la volonté du peuple ne s'exprime que lors de scrutins et à travers les urnes. Les manifestations et autres revendications ne sont que des opinions. Quoique devenant pressantes et massives, elles peuvent amener le pouvoir à s'incliner. Prenant au micro le ministre de l'Education, qui vient d'être nommé dans le gouvernement provisoire, un animateur de radio pose cette question en substance : «Est-ce que vous allez revoir cette histoire de Capes ?». Et le ministre de rester coi. Car non seulement il vient d'être nommé, mais en plus, il n'a pris en main aucun dossier ni entrepris des démarches pour établir les priorités de son département au vu du contexte. Histoire de dissolution Le dernier cas que nous citerons nous vient directement de communiqués intéressant le RCD. Les premiers disent que le Premier ministre (vice-président de ce parti) et le Président de la République par intérim (membre du Bureau politique de ce même parti) viennent de démissionner de leur formation politique. Là il n'y a rien à dire, quoique du point de vue de la forme l'on puisse se demander à qui ces démissions ont-elles été adressées. Car, d'habitude, c'est chez le président de la structure que ce genre de décisions atterrit. Mais là où l'information devient énigmatique c'est quand on nous informe qu'il a été procédé à l'exclusion d'un groupe de membres de ce parti, y compris son président, certains membres de son bureau politique et deux de son Comité central. Qui les a exclus ? Comment ? Rien n'est précisé. Sachant que normalement, nous aurions dû apprendre peut-être qu'une réunion du Bureau politique a été tenue pour constater la vacance du poste de président (élu par le congrès), constater sa faute très grave ayant porté atteinte aux intérêts du pays et exclure les autres membres également pour faute très grave. Ce n'est qu'après tous ces constats que le vice-président (le Premier ministre de transition) peut démissionner. Certains, dans ce même ordre d'idée, pensent que le RCD peut être dissous rien que sous la pression de la rue. Rien n'est plus erroné. En tant que parti, le RCD ne peut être dissous que suite à une décision judiciaire définitive (exogène) ou par décision d'un congrès (endogène). Sans citer les dérapages verbaux dans nos médias, surtout audiovisuels, et les abus parfois flagrants, disons que l'accélération des événements a fait que tous ces problèmes surgissent en même temps. Une situation rendue plus facile à cause d'une culture politique encore balbutiante. A y remédier le plus rapidement possible, car les nuances sont décisives.