Par Khaled Guezmir - Le moment est-il venu de rectifier le maître philosophe de l'Histoire Ibn Khaldoun lui-même quand il disait : «Attawatur youfidou Al Kataâ… ella fi Tunes » (La répétition de la rumeur implique la véracité des faits … sauf en Tunisie). Malheureusement nous sommes tentés de contredire l'auteur de la « Moukaddima » parce que toutes les rumeurs concernant l'ancien régime se sont révélées vraies et même en deça de la réalité ! On « disait »… et on « savait » que le dictateur et son clan avait de l'appétit… mais de là à imaginer tout ce qu'ils ont accumulé comme profits et comme « affaires » touchant tous les domaines de l'activité économique sans exception, personne ne pouvait le croire. Pensez à quoi aurait ressemblé la Tunisie si Ben Ali et la « Régente » étaient restés au pouvoir jusqu'en 2019 ! Notre pays aurait certainement changé de nom pour devenir « la Bénalie » ! De jour en jour on se réveille sur la triste réalité, qui a été la rumeur persistante des 23 dernières années, et qui montre comment cette « mafia » s'est approprié le pays, ses ports, ses aéroports, ses banques, ses fermes agricoles son cadastre immobilier et mêmes ses médias écrits et audiovisuels et sa culture ! C'est la première fois depuis Carthage que nous sommes devant un cas d'espèce qui remet en question le concept même du totalitarisme car il s'agit non pas seulement d'une appropriation de l'Etat et de ses institutions mais aussi de son économie toute entière ! Il aurait fallu à Annah Arendt et Raymond Aron, s'ils étaient encore en vie, créer un nouveau concept que le totalitarisme classique a apparenté et véhiculé par Hitler, Staline, ou Pol Pot du Cambodge ! C'est dire si la blessure est profonde dans le corps social et économique de la Tunisie sans parler du « brigandage » constitutionnel et politique qui a légitimé cette dérive grossière et impensable ! C'est pour cela aussi qu'il faut prendre le mal à la racine pour construire le nouveau système politique tunisien et l'immuniser contre toute velléité de déconfiture nouvelle ! Un ami qui ne manque pas d'humour me disait que le meilleur moyen de s'enrichir en Tunisie et dans les pays arabes et du Tiers-monde c'est de prendre le pouvoir ! Mais à condition d'être le « numéro 1 » s'empresse-t-il d'ajouter ! Ceci nous ramène à la démarche à suivre pour réformer le système politique en Tunisie. Ce qu'il faut c'est qu'il n'y ait plus de « numéro 1 » mais plusieurs « numéros 2»! C'est-à-dire séparer les pouvoirs et leur donner les moyens d'être fonctionnels et autonomes. Or en dehors du système américain, pour des raisons culturelles et historiques propres, aucun système présidentiel au monde n'a pu échapper à la personnalisation excessive du pouvoir et même à une certaine corruptibilité de ses élites dirigeantes ! Le seul régime qui permet réellement et naturellement la séparation des pouvoirs et l'alternance politique, c'est le régime parlementaire. Cette option s'impose avec la plus grande acuité en ce moment dans notre pays à cause des forces en présence et de la mosaïque qui commence à se développer dans le paysage politique. Mieux encore certaines forces crédibles et mobilisatrices comme les courants islamistes et les courants de gauche s'adossent à des idéologies portées naturellement vers « l'hégémonisme » ! Car peut-on reprocher aux marxistes et aux islamistes de développer une stratégie de conquête du pouvoir « majoritaire » et aspirer au commandement politique dominant ! C'est aussi leur droit dans un pays démocratique. L'effritement de l'espace libéral et la décapitation du mouvement destourien trop compromis avec la dérive totalitaire, ne fait que redouter l'éventuel raz-de-marée islamiste et des forces de gauche parce que mieux structurées et plus agguéries ! Ben Ali et ses conseillers politiques n'ont jamais compris que la plus grande école politique, c'est la « Prison ». Le Néo-destour de Bourguiba lui-même, est passé par là et ses élites dirigeantes ont connu toutes sortes de prisons et de répressions avant de devenir des « élites de commandement » ! Par conséquent le risque est grand devant l'absence d'un pôle libéral crédible et structuré avec de nouveaux chefs charismatiques de voir les forces à base des idéologies naturellement « hémoniques » prendre le pouvoir et le contrôler pour longtemps si le régime était présidentiel. Le régime parlementaire permet le fractionnement mais aussi les alliances qui peuvent être salutaires quand le changement s'impose et comme dirait l'adage « wa fi khilafihom rahma » (leur division est une bénédiction). Quelques sceptiques diront : mais le système parlementaire peut conduire à l'instabilité ! Ce risque existe, certes. Mais il est très limité quand un pays a une bonne administration ce qui est le cas d'un pays comme la Belgique et bien sûr la Tunisie. Malgré cette période de transition exceptionnelle, notre administration a prouvé sa bonne tenue, sa résistance à la gabegie et à l'indiscipline, et ce, grâce à ses nombreux cadres et agents compétents, honnêtes et zélés patriotes. Une occasion d'ailleurs pour leur exprimer notre reconnaissance. Notre administration avec ses traditions qui remontent à la dynastie husseinite, et le grand historien Ibn Abi Dhiaf le confirme dans ses « Ithafs », est capable de relever le défi et assurer un passage sans grandes difficultés au régime parlementaire. Le reste est une question de choix et de volonté politique !