Le portefeuille ministériel confié à Laroussi Mizouri est loin d'être une sinécure. Car aujourd'hui des questions, pour le moins, épineuses sur la laïcité et le retour en force des islamistes divisent les Tunisiens entre favorables et détracteurs. Mizouri en tant qu'islamologue et pour ses qualités d'un vrai musulman : modestie, amour du savoir et respect de la différence, nous y répond. Le Temps : la menace islamiste devient aujourd'hui une réalité. Est-ce qu'on va l'ignorer ou est-ce que le gouvernement y fera face ? M. Laroussi Mizouri : Je tiens, pour commencer, à prier pour les âmes des martyrs tunisiens, qui étaient à l'origine de cette Révolution. Pour répondre à votre question, je vous dis que le tissu social a changé en Tunisie. Il y a une reconnaissance des partis politiques qui mène à la démocratie, à la liberté. Je conçois les choses de la manière suivante, il y a la liberté responsable et la démocratie responsable. En prenant conscience de ces deux finalités, la paix peut être établie dans notre pays. Mais il reste à savoir, est-ce que les Tunisiens sont mûrs ? Est-ce que nous sommes arrivés au stade d'être responsables et d'être conscients de nos actes ? Une fois cette culture sera proposée et incarnée dans les mentalités tunisiennes le respect mutuel sera établi dans notre pays et pourquoi pas dans notre société humaine. Quel avenir pour la laïcité en Tunisie ? Est-ce qu'on est parvenu à avoir une laïcité qui s'adapte à notre réalité ? Nous sommes pour une Tunisie qui respecte les confessions des autres, une terre pour toutes les cultures et pour toutes les religions. Avec le tissu politique actuel, la laïcité fait partie de la liberté des individus. Mais que ces parties respectent la confession des autres. Les femmes voilées qu'on empêchait de travailler dans les administrations publiques auront-elles enfin la liberté de choisir leur mode vestimentaire ? L'Islam en Tunisie est conçu comme étant une religion modérée qui respecte l'Autre, la culture du droit de la différence. C'est un Islam qui respecte également la modernité. On ne peut pas imposer aux gens un mode de conduite. Le voile est une affaire personnelle et chacun doit respecter la liberté d'autrui en ce sens où ma liberté s'arrête dès que la liberté de l'autre commence. Les manuels scolaires devraient subir quelques changements. Qu'en pensez-vous ? C'est une tâche qui incombe au ministère de l'Education et celui de l'Enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Si les deux ministères nous demandent notre avis, nous n'hésiterons pas à donner notre point de vue sur la question. Signalons par ailleurs que cette question a toujours constitué une polémique, raison pour laquelle on a toujours renouvelé le contenu des manuels. Personnellement, j'ai été président du comité du doctorat et du master, j'ai été aussi appelé à établir une réforme adaptée aux nouveaux changements qui s'opèrent dans le monde, en prenant en considération notre authenticité dans les programmes. D'ailleurs nos enseignants sont toujours sollicités par les pays du golfe. C'est une reconnaissance implicite de la compétence et la créativité des Tunisiens. Comment peut-on soigner l'image de l'Islam en Occident ? On soigne l'image de l'Islam par le comportement des uns et des autres. Tout ce qu'on dit ou ce qu'on fait informe de notre relation à notre religion. Cela passe aussi par l'enseignement. Il faut adapter les programmes aux exigences de l'époque. Il faut encourager par ailleurs les recherches qui se font par les étrangers sur notre société. Leurs écrits peuvent participer aux changements des mentalités envers notre religion. Sans oublier le rôle des colloques qu'on organise ici et là sur l'Islam. Personnellement j'ai organisé et participé à plusieurs colloques scientifiques nationaux et internationaux autour de cette question en ma qualité de directeur de l'Institut supérieur de théologie de Tunis. Que pensez-vous de « la majorité silencieuse » qui appelle les Tunisiens au travail C'est dans l'intérêt du pays. Si ces gens appellent à ce que les rouages du travail reprennent de plus belle c'est qu'ils sont civilisés. C'est une face de la société qui manifeste de cette manière son attachement à la patrie. On respecte également ceux qui manifestent à la kasbah. Chacun a le droit de manifester d'une manière pacifique. Et les Tunisiens sont vraiment un cas d'école en ce sens. Où va la Tunisie ? Notre pays est-il devenu un corps malade ? Pas du tout. La Tunisie va de mieux en mieux. C'est une phase transitoire que subit tout pays qui espère à un avenir meilleur. Nous estimons heureux car on y arrive avec moins de dégâts, moins de problèmes. Les épisodes embrouillés qu'on a vécus ne peuvent pas durer davantage. L'histoire de la Tunisie nous a enseigné que les épreuves difficiles ne sont que temporaires. Mona BEN GAMRA
Qui est M. Laroussi Mizouri ? - Il est titulaire d'une maîtrise de théologie de la Faculté de la Zitouna depuis 1980. - Il a un diplôme d'études approfondies en géosociologie du monde arabo-musulman et problèmes des méthodologies islamologiques (Université de Paris-Sorbonne, 1982). - Il a un doctorat de 3ème cycle en Histoire moderne et contemporaine (Université de Paris Sorbonne Paris IV, 1986) - Il a un doctorat d'Etat en sciences religieuses de l'Université Zitouna, 1995. - Il maîtrise les langues : française, italienne, anglaise et espagnole. - Il a traduit des travaux de recherche du français à l'arabe et de l'italien à l'arabe. - Il a publié plusieurs articles scientifiques en arabe et en français.