Par Chokri JAOUA - Cadre de banque - Le peuple tunisien n'a pas fini de nous étonner par son courage, son hospitalité, sa générosité, sa culture, son émancipation, sa modernité, son ouverture sur le monde. La perfection de l'âme, nous enseignait déjà Ibn Khaldoun, vient justement de la rencontre avec les autres, ceux qui ne sont pas de ma culture ou religion, ceux qui vivent et pensent autrement que moi. Pendant des siècles, la Tunisie s'est enrichie de sa diversité, de la coexistence de races, de religions, d'identités multiples qui ont partagé avec nous leurs traditions, leurs coutumes, leurs cultures, dans une complicité très belle à voir et à vivre , qui se perpétue encore aujourd'hui par les échanges entre nos communautés et qui font de nous des Arabes, des Musulmans, cultivés, tolérants, cosmopolites. La parenthèse de 23 ans que nous venons de vivre, ce malentendu qui nous fait honte, nous a éloigné de ces nobles valeurs et nous a enfermé dans l'obscurantisme, le clientélisme, l'affairisme, la corruption, dont on ne voit pour l'instant que la face immergée de l'iceberg. La face cachée sera révélée par la justice et surprendra, par son ampleur, l'imaginaire de tout un chacun, de tout Tunisien. Revenons tout simplement aux nobles valeurs qui sont les nôtres. Laissons de côté la gangrène qui a pourri notre vie, faisons confiance en notre justice et à ce gouvernement provisoire pour mener à bien cette transition, pour réapprendre à vivre ensemble, dans le calme, dans le respect de l'autre, dans la tolérance, dans la liberté. Méfions-nous des extrémistes qui avec des mots, rien que des mots, sans programme politique, sans vision pour la Tunisie, sans compétences dans leurs équipes pensent, veulent nous gouverner et perpétuer des dictatures, sous d'autres formes. Laissons les urnes trancher, le 24 Juillet 2011. Nos politiques manquent de quelque chose d'essentiel, de coffre comme on dit, d'étoffe, de carrure qui ne s'acquièrent qu'avec l'exercice du pouvoir, l'expérience. Regardez comment le nouveau Premier ministre, Béji Caïd Essebsi, un vieux fourneau, a convaincu, impressionné tout un peuple par son talent de communication. Il nous a gratifié d'un discours où se mêlent mémoire, souvenirs, métier, coquetterie, tact, humour, finesse, élégance, esprit, humilité, modestie, courtoisie, inspiration, franc parler, sincérité, séduction. Un moment intense, exceptionnel qui a capté l'attention de tous les Tunisiens, excepté Marion. On dirait une fresque, une peinture respirant la vie, une partition, une symphonie. Si Béji, vous nous avez rendu notre enfance. Par moments, j'avais l'impression d'écouter Bourguiba, que Bourguiba n'était pas mort et il ne l'était pas, ce jour là. La composition était excellente, la vérité, le naturel ont été réinventés, recomposés selon nos désirs, nos rêves les plus fous. Le vrai politique est celui qui a le don de donner au rêve une réalité, d'illuminer les esprits, de nous réconcilier avec nos valeurs, avec la vie et je pense que Béji Caïd Essebsi a réussi à répondre aux attentes de toute la société tunisienne, avec sa complexité, ses difficultés, ses espoirs. Mohamed Ghannouchi, que j'avais qualifié de Premier ministre en or, dans un précédent article paru sur La Presse, n'a pas finalement réussi à mener à bien cette transition, faute d'expérience politique. Il était devenu ministre sous Ben Ali, puis Premier ministre, mais est resté un technocrate compétent certes, parlant le langage des chiffres, froids, têtus, implacables de réalités, de vérités qu'une majorité de Tunisiens ne voulaient manifestement pas entendre, sans qu'elles ne soient accompagnées de rêves. Le gouvernement Ghannouchi a souffert d'un déficit de communication que Béji Caïd Essebsi a vite comblé, l'espace d'une seule et unique conférence de presse parce que le nouveau Premier ministre est avant tout un politique qui avait beaucoup appris de Bourguiba, un orateur hors pair et un politique exceptionnel, malgré ses erreurs, ses excès. De Ben Ali, par contre, on ne pouvait rien apprendre, inculte qu'il était, d'autant qu'il avait créé le vide autour de lui. Jospin, en son temps, avait fait les frais de son franc parler, une certaine année 2002, où il avait été sorti de l'élection dès le premier tour, devancé par un Jean Marie Le Pen fanfaronnant, ce qui représentait l'affront suprême l'ayant conduit à abandonner le soir même du scrutin la vie politique. L'erreur de Jospin, dans cette élection, était de s'appuyer sur un bilan de 5 ans passés au gouvernement, un bilan honorable certes, mais qui ne projetait pas les Françaises et les Français dans l'avenir, avec un programme où ne figuraient ni rêves, ni émotions dont avaient besoin ses compatriotes. Mitterrand, Chirac et Sarkozy sont devenus présidents en vendant du rêve et en faisant, une fois élus, presque exactement l'inverse de ce qu'ils avaient promis. En politique, on se brûle rapidement les doigts, si on est exposé trop tôt ou si on manque d'expérience. Cela a été le cas de Juppé et Fabius, qui ont été tous deux nommés Premiers ministres trop jeunes. Ils en ont payé le prix, même s'ils étaient talentueux, cultivés, bien meilleurs que l'actuel Président que subissent la France et le monde entier. Un président qui prend tout le monde de haut, ses ministres, son peuple, ses élites qui représentent pourtant la crème de la France. Juppé qui a depuis mûri, pris du coffre, se repositionne sur l'échiquier politique et fera mieux entendre la voix de la France. Il a publié un livre chez Plon, dont le titre est fort révélateur qui illustre sa traversée du désert :« Je ne mangerai plus de cerises en hiver » Notre peuple devrait s'en inspirer et apprendre que chaque chose vient en son temps, que tout, tout de suite mène droit au mur, que dégage a fait son temps et qu'il s'agit maintenant de s'engager pour produire, créer de la richesse, de la croissance pour pouvoir gagner les vrais paris de la Tunisie, l'emploi, la dignité, la liberté, la tolérance. Sans croissance, on ne fera rien de bon, le pays s'engouffrera à nouveau dans l'impasse, le chaos, l'insécurité, autant de maux dont on voudrait sortir par le haut en construisant une Tunisie où il fait bon de vivre. La Tunisie est déjà exceptionnelle par sa beauté, son histoire, son climat, ses lumières, sa modernité, son émancipation et elle le sera davantage en devenant l'exemple à suivre dans le monde arabe. La Tunisie a déjà exporté sa Révolution en Egypte, en Lybie où Kadhafi finira par tomber et bien d'autres pays suivront. Tout comme, je l'espère, la Tunisie exportera plus tard son modèle économique, politique, social. La Tunisie est en mesure de briller de mille feux, d'émerveiller, d'impressionner, de devenir, l'exemple à suivre. Il suffit tout simplement d'y croire, de rétablir l'ordre, de se remettre au travail, à la recherche du temps perdu ou du temps retrouvé, pour reproduire Proust.