Raouf KHALSI - Est-on sûr que malgré leurs airs extralucides et le ton parfois apocalyptique ceux qui s'agrippent à la Révolution – quitte à la faire à reculons – ont compris quelque chose à l'essence de la Révolution elle-même et à la vérité de notre siècle ? Les forces d'aujourd'hui libérées comme par l'effet aristotélicien de la purgation des passions, prennent leur revanche sur les années d'oppression mais, en même temps, elles s'épient mutuellement, ne se font pas de concessions et rappellent, toutes, la nécessité d'une charte fondatrice. Et c'est là que les tensions montent : on est d'accord sur le principe ; on n'est pas d'accord sur les moyens. Chacun aujourd'hui se proclame d'une légitimité révolutionnaire et ceux qui le font avec le plus d'acharnement sont justement ceux qui ne sauraient s'en prévaloir, du moins pas en premiers. Dans un terreau sociétal très logiquement dévasté, il y a encore des places à prendre, des âmes indécises à séduire et des humeurs baladeuses à apprivoiser. Que craindre le plus en fait ? Un régime présidentiel toujours prêt – c'est dans son essence et particulièrement dans les pays arabes – à céder à la tentation absolutiste. N'oublions d'ailleurs pas que le premier monarque présidentiel de l'histoire de la Démocratie fut précisément un certain Charles De Gaulle. Un régime parlementaire alors ? Les politologues et les constitutionnalistes sont divisés à ce propos : dans son essence, dans ses articulations plurielles, il favorise les coalitions, espèces de lobbies politiques qui finissent par se télescoper et par provoquer des instabilités gouvernementales à coups de votes de confiance et de motions de censure. N'oublions pas les tournures risibles qu'avaient prises la IVe République française et, en face de nous, le nombre impressionnant de gouvernements italiens depuis 45 ! Maintenant les indépendants expriment certaines craintes. Elles tiennent à une possible connexion, UGTT/Ennahdha. Ce n'est pas à exclure. Ennahdha jure par tous ses dieux qu'elle ne se consacrera pas à la seule exaltation du message divin. Ayant fait l'objet d'une répression féroce, ses adeptes veulent reconquérir une réalité sociale qu'elle ressent comme hostile, matérialiste et mortifère. L'Islam, de ce fait, sortira de son rôle normatif vers une meilleure sécularisation dans laquelle le confinait justement l'ancien régime. Etat et religion resteront séparés si l'on ne touche pas à l'article I de la Constitution. Dans quelles conditions alors cette possible alliance avec l'UGTT ? Un souci de massification d'abord. Ensuite, une légitimation qui ne serait pas divine. Mais venant des masses laborieuses… Le plus normalement du monde les partis libéraux se rapprocheront les uns des autres… Et le plus normalement du monde aussi, le PCOT continuera de prôner la Révolution permanente, mais pas vraiment à la manière de Trotsky.