Brusquement, le régime de Ben Ali est désigné, notamment dans les médias occidentaux, comme étant un régime, dans son essence, « antidémocratique, autoritaire et de dictature ». Ce qui est juste, mais qui parmi ces médias et surtout des institutions financières internationales « osait » qualifier le régime de l'ami Ben Ali de la sorte ? Presque personne. Pis, le régime Ben Ali bénéficiait de tous les éloges de la part de ceux qui semblaient être des alliés. Il s'agit d'organismes internationaux, notamment. On en citera le FMI (Fonds Monétaire International) et la BM (Banque Mondiale). A travers ces deux grandes institutions, nul doute ne semble planer sur le fait que Ben Ali et son régime ne pourraient autrement être que les serviteurs des intérêts économiques occidentaux. Cette relation du FMI notamment avec la Tunisie remonte assez loin, comme elle est décrite dans une étude élaborée par l'institut Global Research. Ben Ali, selon cette étude, n'était pas dictateur. Un dictateur est quelqu'un qui décide et qui dicte. Mais Ben Ali était un « serviteur » des intérêts économiques occidentaux. « Une marionnette politique qui obéissait aux ordres et qui jouissait du soutien de la communauté internationale ». L'ingérence extérieure dans les affaires internes de la Tunisie n'a jamais été mentionnée dans les rapports médiatiques, de même que les prix des denrées alimentaires qui n'étaient pas dictés par le régime de Ben Ali. Ils ont été imposés par Wall Street et surtout par le FMI. Le rôle du régime de Ben Ali était seulement d'exécuter les ordres dictés par ce Fonds afin de bien asphyxier l'économie nationale. « C'est ce qui a conduit pendant plus de 20 ans à la déstabilisation de l'économie nationale et à appauvrir le peuple tunisien ». Comme président, Ben Ali ne décidait pas grand chose. La souveraineté nationale, n'était qu'un slogan. En 1987, dans une période de crise de dettes, le gouvernement de Habib Bourguiba est supplanté astucieusement par un nouveau régime qui se disait « rénovateur et prêt à adopter des réformes pour l'instauration d'une économie de marché libre ». Sous la houlette du FMI, la gestion macro-économique était entre de bonnes mains bien intentionnées des créanciers extérieurs de la Tunisie. Au cours des 23 dernières années, la politique sociale et économique du pays a été dictée par le consensus de Washington. Ben Ali demeurait au pouvoir seulement parce qu'il était à la tête de gouvernement qui obéissait aux dictats du FMI, tout en servant les intérêts des Etats Unis et de l'Union Européenne. La même connivence et procédure sont d'ailleurs adoptées dans différents autres pays à travers le globe. Nul ne peut prétendre que le mouvement de protestation vise d'une façon directe Wall Street et les institutions financières internationales situées à Washington. L'implosion sociale étant dirigée contre un gouvernement plutôt que contre l'interférence des puissances étrangères dans l'orientation de la politique gouvernementale. Ainsi, on ne peut pas dire que ce mouvement de protestation que la Tunisie a connu au cours du mois de décembre visait les « réformes néolibérales ». La question à laquelle on doit répondre concerne la façon de laquelle la crise va-t-elle évoluer? Comment la question, plus large, de l'interférence étrangère sera-t-elle abordée par le peuple tunisien ? Du point de vue de Washington et de Bruxelles, un régime impopulaire est déposé et devra être remplacé par un autre régime marionnette. C'est ce qui explique, pourquoi Tunis subitement devenu le point de mire des responsables américains et européens. Des élections sont prévues dans quelques mois, mais est ce que ces institutions vont essayer de continuer avec leur politique, dont l'objectif est d'appauvrir encore plus les populations pour servir certains intérêts ?
La spéculation sur les prix des aliments continue
Au mois de septembre 2010, un accord a été conclu entre Tunis et le FMI stipulant l'annulation du reliquat des subventions au profit du citoyen tunisien pour « atteindre un équilibre fiscal ». Les autorités tunisiennes voulaient toujours assurer « une prudence fiscale, qui leur est une priorité importante ». Dans un article intitulé “IMF Tunisia : 2010 Article IV Consultation - Staff Report ; Public Information Notice on the Executive Board Discussion ; and Statement by the Executive Director for Tunisia” on note « la nécessité de maintenir en 2010 une politique budgétaire d'un grand secours ». Toute une décennie pour que les efforts visant à réduire significativement le ratio d'endettement public « ne devraient pas être compromis par un politique budgétaire trop laxiste. Les autorités sont engagées à contrôler fermement les dépenses actuelles, incluant les subventions ». Le FMI a ainsi insisté sur l'austérité budgétaire et l'abolition des subventions, qui ont coïncidé avec de nouvelles augmentations des prix des aliments de bases sur les bourses mondiales. Des hausses qui se sont avérées à la fin comme le résultat des spéculations pratiquées par des intérêts financiers et commerciaux des industriels agricoles. Les hausses sont le résultat de la manipulation qui a servi à appauvrir les populations à travers le monde, un maillon dans le nouveau processus de l'appauvrissement mondial. « Les médias ont simplement induit l'opinion publique en erreur en ce qui concerne les causes de ces augmentations de prix, en se concentrant presque exclusivement sur les questions des coûts de production, du climat et d'autres facteurs entraînant la réduction des réserves et pouvant contribuer à l'augmentation du prix des produits essentiels. Bien que ces facteurs puissent entrer en jeu, leur pertinence est limitée dans l'explication de la hausse impressionnante et dramatique des prix des produits de base», lit-on dans cette étude. Ainsi, et entre 2006 et 2008, une hausse dramatique des prix de tous les produits essentiels, dont le riz, le blé et le maïs a battu tous les records. Le prix du riz a triplé en cinq ans, passant d'environ 600 $ la tonne en 2003 à plus de 1800 $ la tonne en mai 2008. L'augmentation récente du prix du grain est caractérisée par un bond de 32 % enregistré durant la deuxième moitié de 2010 dans l'indice composite des prix alimentaires. Suivit par la suite la forte hausse des prix du sucre, des céréales et des oléagineux qui a conduit les prix alimentaires mondiaux à un record en décembre, dépassant les coûts de 2008, lesquels avaient déclenché des émeutes à travers le monde, et suscitant des mises en garde à l'effet que les prix s'aventuraient en terrain dangereux. Toujours en décembre, un indice compilé mensuellement par les Nations Unies a battu son record de juin 2008 pour atteindre le niveau le plus élevé depuis la création des registres en 1990. Publié par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (ONUAA) située à Rome, l'indice, qui suit les prix d'un panier de céréales, des oléagineux, des produits laitiers, de la viande et du sucre, a augmenté pendant six mois consécutifs. « Amère ironie : avec une augmentation du prix des aliments en arrière-plan, le FMI recommande l'annulation des subventions dans le but d'atteindre l'objectif d'austérité budgétaire ».
Manipulation de données et de statistiques
Selon le rapport de la Banque mondiale sur la Tunisie, le gouvernement tunisien (avec l'appui des institutions de Bretton Woods) a contribué à réduire les niveaux de pauvreté à 7 % (des niveaux nettement plus bas que ceux enregistrés aux Etats-Unis et dans l'Union européenne). Certes, la Tunisie a enregistré des progrès remarquables en matière de croissance équitable, de lutte contre la pauvreté et d'indicateurs sociaux. Son taux de croissance s'est maintenu à 5 % en moyenne au cours des vingt dernières années, avec une progression régulière du revenu par habitant et une augmentation parallèle du bien-être de sa population mise en évidence par un taux de pauvreté qui est parmi les plus bas de la région (7 %). « La réduction de la pauvreté est attribuable principalement à la progression régulière du revenu par habitant […] L'amélioration du réseau routier rural a joué un rôle particulièrement important en permettant aux populations pauvres vivant dans les campagnes d'accéder aux marchés et aux services urbains ». Dans ses rapports, la Banque Mondiale n'arrête pas de faire l'éloge des « programmes de logement qui ont amélioré les conditions de vie des populations pauvres et permis de dégager des revenus et de l'épargne pour financer des dépenses alimentaires et non alimentaires, ce qui a contribué également à agir favorablement sur la réduction du taux de la pauvreté ». « Les subventions alimentaires, qui étaient destinées aux pauvres, quoiqu'elles n'aient pas fonctionné de façon optimale, ont également aidé les habitants pauvres des villes », lit-on aussi dans la note de présentation de la Tunisie dans le site de la Banque Mondiale. Ces chiffres sur la pauvreté sont de pure fabrication, sans compter l'« analyse » économique et sociale sous-jacente. Ils présentent le libre-marché comme le moteur de réduction de la pauvreté. Le cadre analytique de la Banque mondiale est utilisé pour justifier un processus de « répression économique » appliqué dans plus de 150 pays en développement à travers le monde. A partir de ces conclusions de la Banque Mondiale et son petit frangin le FMI on peut déduire que puisque seulement 7 % de la population tunisienne vit dans la pauvreté (comme le suggère l'« estimation » de la Banque mondiale) et que 93 % arrivent à satisfaire leurs besoins fondamentaux en termes de nourriture, de logement, de santé et d'éducation, il n'y aurait pas de crise en Tunisie. La Révolution du 14 Janvier est venue tout basculer puisqu'elle a mis à nu non seulement les politiques sociales défaillantes de l'ancien régime et son passif entaché de corruption, mais aussi les politiques machiavéliques de ces institutions internationales, supposées en effet pousser les gouvernements des pays membres à améliorer le niveau de vie de leurs citoyens et non pas servir les intérêts des minorités. Croire toujours en ces institutions et suivre à la lettre leurs recommandations serait-il un dogme inévitable des gouvernements en Tunisie ne sera pas, à vrai dire, à un atout ou un vecteur de confiance.