Les élections de la Constituante sont prévues pour le 24 juillet 2011.Le mode de scrutin d'élection fait débat. Les deux variantes principales en discussion sont : le mode uninominal à deux tours, et la proportionnelle, ou à liste couvrant un gouvernorat, naturellement à un seul tour. Les deux modes sont utilisés dans des systèmes démocratiques. Chacun des deux modes assure une représentativité reconnue démocratique quand les sociétés sont politiquement structurées. Modes de scrutin et réussite des élections
Le scrutins à listes se font sur la base de choix entres programmes et lignes politiques au delà des individus. Les candidats peuvent être assez méconnus des électeurs, mais proposés par le parti promoteur de la liste. Le scrutin uninominal se base sur la proximité, il privilégie la confiance accordée par les électeurs aux candidats, il renforce le sentiment de participation chez l'électeur. Le programme, ou la ligne politique qu'incarne un candidat affine le choix de l'électeur. Ainsi pour les élections de la Constituante, la préférence à accorder à un mode ne peut pas découler des caractéristiques intrinsèques du mode lui-même. Le critère principal de choix c'est le niveau d'adaptation du mode de scrutin à la situation politique du pays et aux circonstances particulières d'une Constituante. La question est d'ordre pragmatique : Lequel des deux modes peut contribuer le plus à la réussite de ces élections. Remarquons que ce mode est celui à retenir pour les législatives dans l'avenir. Le choix de ce dernier relève des prérogatives de la nouvelle Assemblée constituante. Dans une consultation aussi exceptionnelle, les objectifs à rechercher sont : une participation forte des électeurs, qui renforce la légitimité populaire des élus. L'émergence d'une représentation qui concrétise le pluralisme politique et la diversité sociale. Enfin une assemblée d'un niveau élevé qui produit une constitution d'un système politique, moderne, démocratique et participatif. Scène politiquement déstructurée et mutations difficiles
Ce qui distingue la scène politique actuellement c'est son émiettement et son éparpillement. Une cinquantaine de partis dont l'écrasante majorité date de quelques jours ou de quelques semaines. Ils sont naturellement méconnus par les électeurs. Dans l'espace de quelques mois, ils ne peuvent établir des lignes politiques et formuler des programmes. Concrètement ils sont dans l'incapacité de se démarquer des autres partis et d'imprégner les électeurs de leurs choix et de leurs orientations sociopolitiques ou de leurs candidats sur une échelle régionale. Les formations politiques qui ont une existence officielle ou informelle plus ancienne sont à l'épreuve de la difficile mutation de statut de partis de militantisme politique, à celuides partis politiques à la requête de base sociale et de sympathisants. Les discours sont à revoir. Ils doivent dépasser la contestation et les réclamations justes, partagées, mais évidentes. Les programmes spécifiques sont à réinventer dans le contenu, pour brasser les divers domaines de la vie ; et dans les formulations, pour être accessibles aux plus larges franges de la société. A une ou deux exceptions prés, ces partis doivent aussi développer et redéployer leurs structures, ils doivent toucher des citoyens simples, non nécessairement intéressés par le militantisme politique. Ces partis n'y étaient pas préparés à ces mutations. La Révolution a surpris tout le monde. Au delà de l'aspect légal, la présence sociale des partis politiques n'est pas toujours perceptible et est difficilement vérifiable. Evidement les programmes et les personnalités à l'échelle régionale le sont moins. Les réalités de la scène politique, le niveau de politisation des citoyens, l'exigence de regrouper le plus de conditions de réussite, la triste association psychologique mais réelle des élections à listes avec le trafic des résultats, et d'autres aspects encore, tous incitent objectivement à adopter le mode de scrutin uninominal .
Déficit d'arguments
Tout en reconnaissant ces réalités, curieusement les voix qui défendent le choix de scrutin à listes formulent peu d'arguments. A ma connaissance il y en a deux : Simplicité des élections, à coûts donc moins élevés, et la question des représentations spécifiques. « Le découpage correspondant aux gouvernorats est acquis de fait. Et un seul tour coûte quelques millions de dinars de moins que deux tours. De toute évidence cet argument est bien léger, en rapport aux enjeux d'une Constituante. Les représentations spécifiques, essentiellement les femmes et les résidents à l'étranger, requièrent évidemment des solutions. Le système de quotas peut être indifféremment adopté et appliqué aussi bien dans les scrutins uninominaux ou à listes. Des sièges spécifiques peuvent être alloués aux femmes à l'échelle des gouvernorats. Nous rappelons que « Des 25 pays où les femmes représentaient 30 % ou plus des élus au Parlement en 2009, 22 avaient utilisé une forme ou une autre de quotas » (Union parlementaire. Genève 2010). Quant aux résidents à l'étranger, le scrutin uninominal se ferait naturellement par l'adoption d'un découpage en pays, ou en régions de résidence. Le scrutin à listes amènerait vraisemblablement à une configuration où les résidents des pays du Golfe et des Etats Unis seraient représentés par des résidents à Paris.
Destins personnels et tactiques électoralistes
Faire croire à une contradiction du scrutin uninominal avec les représentations spécifiques relève du virtuel et ne tient pas à l'analyse. L'arbre qui cache le forêt. D'autres considérations peuvent logiquement justifier cette posture plus théorique qu'en rapport avec la réalité sociopolitique. En effet, avec l'émiettement de la scène politique, un scrutin à liste permet l'élection des têtes de listes même avec des résultats modestes. Ainsi, les leaderships de certaines formations politiques voient leurs chances d'être élus, sensiblement augmenter. La confrontation d'individus, et les incertitudes sur les résultats qu'offre un scrutin uninominal fait craindre plus qu'un candidat, aussi médiatiquement présent soit-il. Des destins personnels de ténors politico médiatiques se trouvent sérieusement en jeux. Par ailleurs, les élections à scrutin a listes sont a connotions idéologiques et doctrinales. Le rôle des appareils et structures dans l'issue d'une élection est capital. Il se trouve qu'aux yeux de certains politiciens la dissolution factuelle du RCD, qui se trouve alors sans candidats, offrirait une opportunité de se servir en tout, ou en partie, de ses réseaux et de son appareil informel. Il semble même que cela fait l'objet d' âpres luttes, et de délicates manœuvres de positionnement tactiques pour bénéficier de cette machine, et de faire la différence dans les résultats. Ces deux raisons nous paraissent bien plus pertinentes que les quelques millions de dinars. Sauf qu'elles ne sont pas facilement avouables. Risques et implications
Les implications du choix de scrutin à listes sont de niveaux différents. En effet, la méconnaissance des candidats et de leurs partis, les caractères plutôt abstraits des enjeux favorisent le sentiment d'éloignement, incitent à la démobilisation et poussent à l'absentéisme. Par ailleurs, l'activité au sein des partis politiques n'est pas de notre tradition. Nombreux sont les candidats potentiels, politiquement non engagés, plus nombreux et au moins aussi représentatifs. Un scrutin a listes constitue un obstacle décourageant. Ils doivent chercher d'autres candidats, composer des listes et s'entendre sur des programmes : de quoi créer un nouveau parti. Tous ne seraient pas prêts, et ne seraient pas dans la capacité d'affranchir ces obstacles. La consistance de l'offre politique en sera affectée. D'un autre côté, à l'état actuel, seules deux formations politiques nous paraissent potentiellement en mesure d'avoir des structures régionalement opérantes dans le délai d'un trimestre. Ce cas de figure mènerait vraisemblablement à une Constituante sous la domination de deux formations. Le pluralisme s'éloignerait. Enfin, dans un scrutin à liste, le nombre de postes éligibles est limité aux premiers sur la liste. Ils sont souvent attribués aux premiers responsables régionaux. La centralisation de la vie politique conduira en sorte que les postes éligibles reviennent souvent aux membres urbains issus des chefs lieux administratifs. Ainsi serait composée la Constituante. C'est une aliénation politique supplémentaire des petites villes et du monde rural. La diversité sociale en sera la victime. Il devient ainsi d'une pure trivialité apodictique de constater que le mode de scrutin sur base de listes est en décalage affligeant avec le faible encadrement et la déstructuration politique de la société. Il ajoute des difficultés supplémentaires à un électorat novice en matière d'appréciation de programmes politiques, et de différenciation des nuances doctrinales. Il comporte des risques majeurs de nature à affecter durablement la scène politique. Le sujet est trop important pour être confié à une instance administrativement désignée, aussi supérieure soit elle. Le gouvernement doit assumer sa responsabilité. L'adoption du scrutin a listes relève à mon sens du hold-up politicien sur la Constituante. Le sujet peut motiver une nouvelle Kasbah.