Un régime politique totalitaire et répressif repose nécessairement sur un appareil policier puissant pour faire couler le sang et asseoir son pouvoir. Il est obligé de recourir à la force pour occulter ses carences dues à sa cécité pour le mal et surtout pour son manque d'intelligence, c'est-à-dire son ineptie. C'est ce qu'a fait Ben Ali, le maître en la matière, pour essayer de sauver son royaume. Il a fait usage de tout son savoir-faire dans le domaine du crime, son unique spécialité, en engageant tous ses hommes de main, ceux du Palais et ceux de « l'intérieur » qui aiment bien faire les choses. « Ils sont scrupuleux dans l'accomplissement des ordres qu'ils reçoivent » dit Staël, c'est une question d'éducation.
Des moyens persuasifs
Ces « fidèles », partis pour la «croisade» contre «les vassaux félons», ont essayé par tous les moyens «persuasifs» de dissuader ces «infidèles» de se rebeller et les ont exhortés à accepter leur destinée qui était scellée par leur «seigneur» depuis des années. Alors, pour mater cet esprit de fronde qui était en fait un lèse-majesté, ces soldats ont tout fait pour préserver l'image de marque de sa majesté que des « mercenaires » voulaient ternir par jalousie. Ils étaient très méthodiques dans leurs manœuvres. Au départ, ils ont utilisé la matraque pour leur asséner des coups sur la tête pour les réveiller et les sermonner. Puis, quand ils ont constaté que ce moyen ne faisait que les chatouiller, ils ont employé un autre « moyen de persuasion », le gaz lacrymogène. Mais là aussi ils ont échoué, les « insoumis » ont fini par s'y habituer au point de connaître des crises de manque les jours où ils n'en prisaient pas. Devant cette obstination, nos hommes de l'ordre commençaient à voir rouge, ils se sont alors trouvé contraints de recourir à un moyen péremptoire : les balles. Mais là également ils ont essuyé un échec : le sang n'a fait que décupler les forces des insurgés, leur détermination d'aller de l'avant était arrêtée. L'épilogue c'était un succès retentissant dans un bain de sang. Les auteurs de ces crimes sont comme l'ont démontré les vidéos, l'ont attesté les témoins et le sous-tend la raison les hommes de l'ordre, les seuls à porter des armes à moins d'assimiler la pierre à ces dernières, et dans ce cas, tout le peuple serait armé et aurait bien sûr perpétré tous les crimes et la Révolution serait ainsi une guerre fratricide ou plutôt un suicide.
L'impunité
Pendant les événements à Sidi Bouzid et à Kasserine, les régions d'où était parti le mouvement libérateur, des familles ont affirmé que des agents de l'ordre ont assassiné de sang froid leurs enfants et violé leurs femmes et leurs filles sous leurs yeux. Plusieurs parmi ces familles disposent de listes nominatives de ces bourreaux dont elles réclament en vain depuis des mois l'arrestation et le jugement. A Regueb, la population en avait assez de voir ces criminels se promener tranquillement sans être inquiétés le moins du monde, elle est alors passée aux manifestations pour faire entendre sa voix indignée aux autorités et les pousser à agir et à faire prévaloir la justice. Mais elles ont fait la sourde oreille, puisque l'un des officiers, un tueur notoire à Sidi Bouzid, est monté en grade, on lui a décerné cette promotion à titre de « récompense » pour ses « mérites » pendant la Révolution. Les habitants du Kram ont eux aussi exprimé leur indignation face à cette impunité en organisant un sit-in samedi dernier devant le Théâtre Municipal. L'affaire de Ouerdanine embrase encore la ville, les familles ne comprennent toujours pas le silence des autorités locales à propos des meurtriers de leurs enfants, des agents de police qui ont organisé la fuite de Kaïs Ben Ali. L'opinion publique locale est au courant de l'irruption spectaculaire d'une cinquante de policiers dans le tribunal de première instance de Sousse pour faire sortir de la géôle leur collègue incriminé.
Les vrais instigateurs
Derrière les agents d'exécution, il y a toujours des hommes qui prennent des décisions, les vrais responsables du chaos qu'a connu notre pays et de la grande terreur que nous avons vécue et que nous continuons à vivre bien qu'épisodiquement, avec une cadence beaucoup plus faible que celle des premiers jours. Ces hommes de main du régime déchu dont nous avons identifié quelques uns sévissent encore dans le ministère de l'Intérieur. Lors de la première semaine de la Révolution, des agents de police honnêtes et qui faisaient preuve d'un ardent patriotisme se sont présentés à la place Mohammed Ali et ont remis aux syndicalistes une liste de vingt-et-un officiers accusés de corruption et de malversation. Rajhi en a doublé le nombre et les a tous limogés. Le nouveau ministre en aurait rappelé quelques uns. C'étaient ces mêmes agents de police qui ont organisé une marche dans l'Avenue pour revendiquer un syndicat. Ce mouvement revendicateur s'est ensuite répandu dans tout le pays, ils étaient rejoints par tous leurs collègues honnêtes et patriotes. Personne ne peut nier la présence d'une milice qui est toujours active, elle est certes responsable de plusieurs crimes. Mais il ne faut pas oublier non plus le rôle de la police politique dans tous ces crimes, quoi qu'en dise la vieille garde de Ben Ali n'est pas démantelée, c'est pourquoi l'opinion publique nationale continue à réclamer sa dissolution effective.
Défendre le diable
Mardi dernier, les agents de l'ordre ont porté le brassard rouge en guise de protestation contre ce qu'ils jugent des accusations infondées, essayant, selon eux, de leur faire porter le chapeau. Ils ont affirmé qu'il n'y avait pas des snipers parmi eux. Cette incrimination implicite a poussé les militaires à publier un communiqué officiel dans lequel ils ont affirmé qu'ils n'ont pas tiré sur les citoyens. Loin de ces accusations mutuelles, essayons d'être un peu rationnels. D'abord, le peuple n'est pas armé et c'est donc forcément ceux qui le sont qu'on doit accuser des crimes. On ne parle pas ici des snipers, cette énigme sera certainement élucidée dans les semaines ou les mois qui viennent. Ensuite et comme on l'a démontré ci-dessus, des familles sont des témoins oculaires des crimes commis par certains policiers contre lesquels elles ont intenté des actions en justice, ce qui veut dire que ces criminels ont été identifiés. Alors pourquoi nier quelque chose d'avéré ? Pourquoi vouloir dissimuler le crime et défendre les criminels? Mais ces derniers doivent assumer les conséquences de leurs méfaits, le crime doit être châtié. Leur incrimination n'est pas compromettante pour les autres, ceux qui étaient corrects, alors pourquoi s'affoler et s'indigner ?
L'amalgame
Le jour de la grève, un agent a requis la restitution de l'autorité des hommes de l'ordre pour que l'Etat recouvre la sienne !!! Quel amalgame et quel esprit ! Ils assimilent les prérogatives dont ils disposent à une autorité égale à celle de l'Etat au point de s'imaginer en être l'incarnation. En fait, il ne faut pas leur en vouloir, c'est la faute du régime déchu qui leur a inculqué cette idée ; ne les appelait-on pas « autorité » (hakem) ? Ils doivent comprendre qu'ils sont les gardiens de la paix, c'est-à-dire qu'ils sont là pour protéger la patrie et le peuple et non pas des individus, alors ne faites pas de celui-ci un ennemi, vous êtes nos enfants, nos pères, nos mères, nos parents, nos amis, nos voisins… vous êtes nos concitoyens. Il va falloir attendre encore quelque temps pour que les mentalités évoluent et changent. Pour en accélérer le processus, les responsables sont tenus de penser à de nouvelles pédagogies pour les futurs recrutés et aussi pour ceux qui sont en exerce, il est nécessaire de leur apprendre le respect du citoyen, de lui faire comprendre qu'il est un partenaire et non pas un ennemi. C'est seulement à ces conditions qu'ils pourront se réconcilier avec lui, les slogans ne suffisent pas, il faut un changement de comportement.