Pour bien réprimer, il faut savoir maîtriser l'art de camoufler, d'effacer toute trace pour sauver la face surtout quand on se prétend de démocratie sinon on risque de perdre tout crédit et être rangé parmi ses ennemis. Cette règle a été bien observée ces derniers jours par la police qui, comme d'habitude, a employé tout son savoir-faire en la matière pour ne pas se compromettre en cette période révolutionnaire. Alors, pour éviter d'être un hiatus dans ce processus, elle a procédé à des arrestations sélectives visant tous ceux qui oseraient porter atteinte à son « image de marque », on veut parler ici des facebookers et des blogeurs qui n'arrêtent pas de « blaguer » et de nuire à nos « protecteurs ». Ces jeunes désœuvrés et enthousiasmés s'occupaient à filmer nos agents au moment où ils accomplissaient leur « métier ». Un peu de sérieux et de responsabilité les jeunes ! On vous a gâtés au début de la Révolution en fermant les yeux sur vos actes répréhensibles et déstabilisateurs, on vous a laissé vous amuser, mais plus maintenant s'il vous plaît, l'heure est grave, on passe à des choses sérieuses. Donc, écartez-vous et laissez faire les policiers, ils savent mieux que vous arranger les choses, notre avenir est entre leurs mains, c'est à eux de forger notre destin. Arrêter le devenir d'un pays n'est pas un jeu d'enfants, cela requiert de l'expérience et de la responsabilité et c'est l'affaire des grands.
Notre linge sale
Pour mettre fin à cette « mascarade » qui n'a fait que trop durer, notre chère police a pris les choses en main. C'est ce qu'elle a fait vendredi au Conservatoire National de l'avenue de Paris lorsqu'elle a confisqué les portables de tous les étudiants, ceux qui ont filmé les scènes et ceux qui ne l'ont pas fait, sécurité oblige. Ce comportement préventif met en évidence le grand intérêt que porte la police nationale à la « stabilité » du pays, ces grands soucis traduisent en fait sa volonté de défendre la grande réputation dont jouit celui-ci à l'échelle mondiale depuis la Révolution : que dirait de nous le monde après cet événement historique quand il verra, par exemple, quatre policiers passer à tabac une jeune fille qui gisait par terre. Leurs coups de poings et de pieds et ceux de matraque répétés ne sont pas une image belle à regarder. Il est de même pour l'autre jeune fille heurtée par une voiture de police à l'égyptienne. Il faut être antipatriote pour oser les divulguer. Il s'agit de notre linge sale, alors, gardons-le pour nous-mêmes d'autant plus qu'on y est habitués.
Le sens de la responsabilité
Enfants de la patrie, soyons sages et évitons d'être la risée des autres. Après tout, les forces de l'ordre sont nos pères, nos enfants, nos frères et nos parents, et si on n'en a pas quelqu'un dans la famille, on en a certainement un parmi les voisins. Ils agissent au nom de l'intérêt général, cessons donc de faire de leurs « corrections » un scandale. On espère que les autres font preuve de patriotisme et lui empruntent le pas. Voilà pourquoi le ministère de l'Intérieur a présenté ses excuses aux journalistes houspillés, mais pas aux manifestants brutalisés, car eux, ils seraient réfractaires et surtout incontrôlables. On veut coopérer avec des parties responsables ou plutôt qu'on veut « responsabiliser », les journalistes ne doivent plus se comporter comme ils l'ont fait, on espère que les confrères de La Presse ont bien saisi le message.
Une concession ?
Alors, gardons notre calme et ne nous laissons pas influencer par les rumeurs qui tentent de remettre en question la bonne foi du gouvernement. D'ailleurs, n'a-t-il pas dissipé les doutes qui nous ont rongé ces jours-ci en adoptant l'article 15 ? Il est vrai que cette mesure est intervenue après les révélations de Rajhi et le mouvement de la rue qui a suivi, mais cette pression qui a donné ses fruits, il est vrai, ne doit pas nous occulter la sincérité de nos responsables politiques, car ce qui compte ce sont les faits et non pas les intentions. La chose devrait être appréhendée de cette façon, il serait malveillant de voir dans cette adoption une concession.