Parmi les modes nouvelles qui « défilent » depuis quelque temps sur les écrans de nos téléviseurs, ces bandes de textes accompagnant à chaque émission, ou presque, les images diffusées. Il s'agit dans certains cas d'informations brèves relatives à l'actualité en Tunisie ou à l'étranger, sinon d'annonces diverses ou de messages envoyés via la chaîne par les téléspectateurs (du moins, c'est ce qu'on nous laisse croire). Pour ceux qui s'y sont habitués sans peine, le problème que nous soulevons n'a peut-être pas lieu d'être posé. Quant à nous, nous n'arrivons pas encore à nous en accommoder : c'est-à-dire que le télétexte qui occupe trop de place sur l'écran de télévision continue de nous déranger ; pire, de nous irriter jusqu'à l'exaspération. Si seulement il n'était question que de la taille ou du volume du texte déroulé, on aurait prié nos chaînes de les écrire en plus court et en plus petit ; mais ce sont les aberrantes maladresses et incorrections relevées sur ces messages qui énervent le plus. Elles sont tellement criantes, d'une arrogance si insoutenable qu'on en arrive à se demander si les propriétaires de la chaîne qui les diffuse s'en soucient le moins du monde ! On dirait même que ces derniers trouvent du plaisir à nous afficher de tels textes bourrés d'erreurs et d'incongruités. Au nom de quoi ? De la liberté d'expression sans doute, surtout quand il s'agit des messages transmis par les téléspectateurs ! C'est cette sacro-sainte liberté qui désormais cloue le bec à ceux qui n'ont rien à cirer des commentaires « libres » affichés sans permission sur leur écran et qu'ils sont obligés de lire tout en essayant de se concentrer sur les émissions. En effet, il n'y a pas moyen de les effacer, ces textes souvent débiles qui vous passent sous le nez et les yeux. Vous avez beau tenter de les écarter de votre champ de vision, ils s'imposent à votre regard par la couleur vive de la bande déferlante qui les supporte et bien entendu par les monumentales « coquilles » qu'ils renferment ! «Bizarrophonie» L'une de nos chaînes privées s'illustre à merveille dans la diffusion de ces « perles » de moins en moins rares : non seulement, on n'y respecte aucune des règles linguistiques apprises entre l'école primaire et l'université, mais les messages soi-disant arabes y sont transcrits si mal en lettres latines que, pour les déchiffrer, il vous faut un ou deux interprètes bien rodés face à ce genre de charabia ! Lorsque c'est écrit dans la langue de Voltaire, la catastrophe est beaucoup plus déprimante ; en plus c'est d'une prétention désarmante ! Il faut être culotté pour écrire des SMS élogieux ou critiques à l'adresse du Premier ministre, de l'animateur ou de certains invités prestigieux d'une émission sans le moins du monde faire attention à la correction de son langage. Mais la faute est partagée par les responsables de la chaîne qui laissent passer des monstruosités pareilles. Cela est-il de nature à leur faire de la promotion ? A notre avis, il s'agit d'une forme de populisme débilitant : dans notre pays, la démocratie et la liberté auxquelles nous aspirons n'autorisent pas à dire et à faire n'importe quoi n'importe comment ! Permettre de diffuser à longueur de soirées (et de journées parfois) un volume aussi spectaculaire de bourdes, de galimatias et d'extravagances, ne peut pas être pris pour un choix totalement innocent ! A l'heure du débat houleux sur l'identité tunisienne, certaines de nos télévisions enfoncent délibérément le clou et dénaturent un pilier de cette identité, à savoir la langue que nous sommes censés parler ! Ce n'est plus ni de l'arabe pur, ni du français formaté, ni du « Tunisien » bâtard, ni même un salmigondis maghrébin ! C'est « étrangeophone », « bizarrophone », «minablophone », « ridiculophone », « scandalophone » ! Honteux et criminel ! On peut ne pas craindre pour la langue des Tunisiens adultes, quoique… ! Mais le public des jeunes est de plus en plus rivé aux écrans de tous genres, depuis la télé jusqu'à son afficheur de portable en passant bien sûr par l'écran de son ordinateur. Allez un moment lire la langue dans laquelle nos adolescents communiquent sur face-book. C'est assurément la déprime et l'envie suicidaire que cela provoque chez, non seulement les perfectionnistes, mais aussi les gens moyennement scrupuleux sur les questions de correction linguistique. La télévision éduque, c'est l'une de ses vocations ; allez savoir néanmoins si elle le fait bien ou mal ! Certaines de nos télévisions et de nos radios incitent à la délinquance linguistique, corrompent le langage des jeunes et des moins jeunes, vandalisent le patrimoine identitaire local et étranger, squattent la langue d'autrui, se l'approprient et la déforment à leur guise comme un bien particulier. Ce n'est pas seulement honteux, c'est criminel. Nous ignorons encore dans quelle langue parleront la douzaine de chaînes radio nouvellement autorisées, mais il ne faut pas trop rêver ! C'est comme pour la centaine de partis politiques que compte actuellement le pays : il doit y en avoir deux ou trois qui savent parler; les autres feraient bien de se taire !