«Je suis persuadé que les accidents, sont la responsabilité du constructeur allemand» Suite à la cascade d'accidents de route, au cours desquels plusieurs citoyens ont perdu la vie, le doigt accusateur est pointé sur les bus « Man ». Des bus acquis suite à une transaction qui a l'air d'être quelque peu malsaine et dont nous avons relaté les faits sur nos colonnes au mois de juin dernier. Nous avons jugé utile de conduire un entretien avec le ministre du Transport Salem Miledi. Interview… La polémique autour des bus MAN ne fait que s'accentuer, et pour cause le nombre croissant de décès suite aux accidents de route, font susciter des doutes quant à la fiabilité mécanique de ces bus. Pourriez-vous nous donner les raisons qui ont poussé le ministère à porter plainte contre Alpha Bus, votre fournisseur en bus MAN ? Lorsque nous avons décidé de porter plainte contre ce concessionnaire, nous n'avons désigné personne en tant que telle. Alors que, et comme nous le savons tous, ce domaine était sous l'emprise des membres de la famille des anciens clans au pouvoir. Auparavant, nous nous intéressions aux bus de marques différentes, Vous vous rappelez certainement de la marque Icarus, qui est une marque bulgare. Aujourd'hui, lorsqu'on voit le nombre de décès, on pense à deux choses et on se dit : les bus de cette marque sont en service depuis 2008, on est actuellement obligé de ne les faire circuler que dans les milieux urbains. On se demande alors, comment est-ce qu'un bus qui a coûté 250 mille dinars ne peut manœuvrer qu'en première et deuxième vitesses ? Il y a donc un problème. La deuxième chose : nous, en tant que ministère, avons exprimé notre intention de recourir à une expertise internationale pour délimiter la responsabilité de chacun. Si cet expert atteste que le cahier des charges n'a pas été respecté, que chacun assume sa responsabilité. Et personnellement je vois mal qu'un bus, quelle que soit sa marque, ne puisse dépasser les 70 km/h, dans ce cas, il devient incontrôlable. C'est illogique. Parlez-nous de la transaction. Comment a-t-elle été conclue ? On va même plus loin, lorsque certains connaisseurs de l'intérieur même du secteur du transport affirment que le ministère a acheté ces bus MAN en pièces détachées pour payer par la suite les coûts du montage dans les usines d'Alpha Bus, et tout cela dans un cadre louche ! Surtout que le ministère était consentant en sachant l'inexistence des systèmes de freinage ABS, qu'on essaye à présent de rajouter ?! Pour commencer, la partie qui a signé la transaction n'est pas le ministère du Transport, mais l'Office Tunisien du Commerce. Seuls les derniers 1000 bus ont été contractés par le ministère. Mais il s'agit d'un marché datant de 2006. En cette année, c'est l'OCT qui a avait procédé au dépouillement des appels d'offres, et le premier bus a été mis en circulation en 2008. Dire que les bus ont été acquis en pièces détachées, ce n'est pas possible. Si vous voulez plus de détails, vous pouvez voir avec Sarra Rajab, Directrice Générale du Transport Terrestre au sein du ministère. Quant aux spécifications techniques, il est vrai qu'elles ont été établies par le ministère. Ceci laisse à dire que le ministère est aussi impliqué. Maintenant, il paraît que deux offres ont été lancées ; une avec ABS et une autre sans ABS. Et c'est le ministère qui a demandé à ce que ces bus soient sans ABS, car on avait estimé que ce système de freinage est un luxe. Il ne fallait pas chicaner sur ces petites sommes alors qu'il s'agissait d'une nécessité, à savoir la sécurité, surtout qu'on parle d'une affaire de plus de 70 millions de dinars. C'est pour cela que nous demandons l'expertise d'un expert international qui pourra déterminer les vraies raisons de ces accidents et s'il en ressort que les bus respectent les normes des cahiers de charge, là on n'a plus aucun problème. Par mesure de précaution, le ministère était dans l'obligation de porter plainte. Et pourquoi donc les responsables d'Alpha Bus ont-ils paniqué ? L'administrateur judiciaire d'Alpha Bus a demandé à me rencontrer, et nous nous sommes fixés un rendez-vous. Il demandera à son tour une expertise qui va délimiter à son tour les responsabilités et la justice désignera à son tour un expert, et il revient à la justice de trancher. Alpha Bus ne fait que l'assemblage, alors il se peut que les défaillances proviennent de l'entreprise mère en Allemagne. La délimitation des responsabilités se fera suite aux expertises. Au mois d'octobre 2008, vous étiez à la tête de quelle administration ? J'étais à la tête de la Direction Générale de Planification et des Etudes Alors vous n'avez aucun rapport avec l'affaire des bus MAN, ni de près ni de loin ? Je n'ai aucun rapport avec des marchés des bus ou autres. Ma tâche consistait à faire des études et d'établir les stratégies pour le secteur comme je chapeautais aussi les plans quinquennaux et j'assurais les liaisons avec les bailleurs de fonds : la Banque Mondiale, la Banque Européenne d'Investissements, la Commission Européenne pour qu'une fois les plans approuvés par les ministères du Développement et des Finances, je coordonne avec l'ensemble des parties prenantes afin d'accorder les financements nécessaires pour les projets. Je suis un homme de finances et non pas un technicien, alors je n'interfère pas dans les choix techniques. Est-ce que l'offre d'Alpha Bus était la meilleure sur le plan financier ? Surtout que dans le contexte duquel on parle, il était difficile de refuser l'offre de cette compagnie qui appartenait à Belhassen Trabelsi ? Il faut faire la part des choses. Personnellement, j'ai refusé d'être mêlé à ces affaires. Ce genre de marchés avant d'être conclu il passe par la Commission Supérieure des Marchés, relevant du Premier ministère qui comprend un nombre déterminé d'experts. Ce qu'on me dit maintenant, c'est la commission technique qui a donné son aval, et en conséquence il lui revient la décision d'annuler le marché. Je comprends la position d'Alpha Bus, puisque le ministère a accepté le produit. Car pour eux, si techniquement l'offre n'était pas consistante, la commission de dépouillement aurait dû refuser. Mais on peut toujours détecter des vices de fond. Par ailleurs, j'ai la présomption que l'offre d'Alpha Bus fût consistante, mais comme je vous l'ai dit je n'ai aucun rapport avec cette affaire. Vous pouvez vous adresser à Sarra Rajab, DG du Transport Terrestre, c'est elle qui a tout chapeauté. L'affaire aurait pu passer normalement, mais du moment où on ne cesse de relever des défaillances au niveau de ces bus, c'est que la qualité de ces bus prête à équivoque. Cette commission au sein du ministère du Transport, lorsqu'elle donne le feu vert pour l'exécution de l'affaire, l'Office du Commerce ne peut à son tour qu'obtempérer et suivre… Bien sûr. On peut cerner toutes ces responsabilités. C'est pour cela qu'on doit recourir à la justice. Il ne faut jamais anticiper. Je n'ai jamais nommé qui que ce soit, car la justice peut, enfin, nous inculper en disant que le ministère était impliqué dans le dépouillement technique, et de ce fait il devient partie prenante. La justice va se prononcer, et c'est d'autant mieux que d'attendre que de nouvelles victimes perdent la vie à cause de ces bus. Je ne me permets pas de le faire. La justice est là pour identifier les responsables et les poursuivre par la suite. Il se peut qu'on finira par juger que c'est le ministère qui a commis l'erreur, peut être que c'est Alpha Bus qui a commis une connerie, peut être aussi que c'est la compagnie allemande qui nous a tous escroqués ou enfin, il se peut qu'il n'y pas de problèmes, car partout dans le monde il y a des accidents. C'est mieux de clarifier la situation. En tant que premier responsable au sein du ministère, ce qui m'est le plus important c'est la sécurité des voyageurs. C'est une responsabilité. Mais il ne faut pas faire de cette histoire une affaire. On se souvient tous des défaillances des voitures Renault 19, on n'avait fait signe de ces défaillances qu'une dizaine d'années après, ou encore l'année dernière en ce qui concerne la marque Toyota qui avait dû retirer des millions de ses voitures des marchés à cause de défaillances détectées par la suite. Dans cette affaire, je suis presque persuadé que c'est la maison mère qui est responsable. Soit, ils l'ont fait avec préméditation en nous vendant des machines déficientes, nous considérant un pays de tiers-monde, soit honnêtement puisqu'ils ne s'en sont pas rendu compte de l'état dans lequel ces machines se trouvaient. Il faut être courageux et responsable. Il fallait que cette compagnie même envoie des experts après avoir entendu que des accidents successifs ont eu lieu, ce qu'ils n'ont pas fait. Car Alpha Bus en se limitant à l'assemblage de ces bus ne procure à vrai dire aucune valeur ajoutée, et sur ce, on ne peut les tenir responsables. Je vous donne l'exemple de la construction des navires. Avant de contracter la construction du navire Tanit pour la CTN (Compagnie Tunisienne de Navigation), le constructeur a effectué les tests d'équilibre dans l'eau. Ils créent la vague, selon des critères bien calculés, et testent la capacité et l'équilibre du prototype avant de passer à la construction. Qui payera le montage des systèmes ABS sur ces bus ? Et ce montage devra coûter combien ? Nous le ferons, sans aucun doute. Lorsque nous avons contracté ce marché, il y avait deux variables ; soit avec ou sans ABS. En tant que ministère, on avait choisi sans ABS. Beaucoup de gens me disent actuellement qu'il n'est pas évident que ces bus retrouvent leur équilibre avec l'ABS. Je ne suis pas un technicien, mais en tant que responsable je dois penser sécurité et c'est pour cela qu'on ajoutera ces systèmes de freinage. Pour ce qui est des coûts, il faudrait attendre les tractations, mais les coûts oscillent aux alentours de 2.5 millions de dinars. Actuellement, on espère qu'avec le montage de ces systèmes de freinage on observera une diminution des accidents, mais ce n'est pas évident. D'une façon générale l'état du transport public en Tunisie demeure défectueux, pourquoi on en est arrivé là ? Nous travaillons dans des conditions pénibles, mais en comparant notre transport public en Tunisie à ce qui existe chez nos voisins au Maroc et en Algérie, on devrait s'estimer heureux. Mais Dieu merci, on a l'œil sur ce qui se passe en Europe tout en nous comparant à ses pays. Il faut savoir que le coût d'un seul kilomètre de métro revient à 25 millions de dinars. On aurait souhaité qu'il y ait plus de métros. Propos recueillis par Haykel TLILI