La page de la dictature est tournée, on l'espère une bonne fois pour toute, et une nouvelle page d'une Tunisie multiple et plurielle s'ouvre aujourd'hui. Depuis le déclenchement de la Révolution, les artistes toutes catégories confondues – ceux ayant flirté avec le régime précédent ou ceux qui s'y sont opposés – se sont tus face à l'infernale machine politique qui tel un rouleau compresseur a écrasé tout sur son chemin. Même après les élections, le temps de parole des artistes n'est pas encore arrivé. C'est le temps de la digestion pour les partis politiques et les électeurs parmi lesquels figurent les artistes qui sont aussi de simples citoyens. Les artistes de mouvance islamiste ont voté soit pour Ennahdha, soit pour des partis d'obédience nahdhaoui. Ils ne s'en cachent pas. Ils ont bien compris le jeu et s'y sont inscrits sans façon. Au lendemain des élections, un homme de théâtre, ayant voté pour le parti de Marzouki, le quotidien « El Fajr » sous les bras, affiche sa satisfaction d'avoir voté pour un parti qui a pactisé avec Ennhadha laquelle lui a déjà permis de présenter sa pièce dans le cadre de sa campagne électorale. A propos de la réussite d'Ennahdha, sa réaction ne s'est pas faite attendre : « Tant mieux qu'Ennahdha l'emporte. Et puis ça suffit avec les Français qui nous ont imposé leur culture francophone. Que ça change maintenant » a-t-il dit. D'autres artistes ont voulu adopter l'attitude de l'autruche. Nous avons tenté de les interpeller sur diverses questions à caractère culturel, ils ont carrément refusé arguant du fait qu'il est encore tôt de se prononcer. Ils veulent prendre du recul pour adopter une stratégie leur permettant de mieux glisser dans le nouveau paysage politique avec discrétion et panache. Pour l'heure, ils rasent les murs en attendant que le ciel s'éclaircisse et prenne leur direction. Ils restent indécis sur tout et ne veulent surtout pas se mouiller dans les médias en faisant des déclarations qui risquent de fâcher. Il existe une autre race d'artistes imperturbables, immobiles voire inertes, totalement absentes qui sont à l'image des sous-marins invisibles. Ils ont pris le parti de ne pas se mêler de politique, de ne pas se mêler au peuple, enfin de rester en marge de la société. Fins observateurs, ils s'impatientent de voir les choses se mettre en place, attendent que les cartes soient distribuées pour engager leur transhumance. Laisser passer l'euphorie de la victoire, prendre le temps de réfléchir cela compte. Dans l'effervescence, eux aussi saisissent l'occasion pour congratuler les vainqueurs et entreprendre leurs tractations. Leur appétit est immense de gagner plus de subventions mais aussi de rester dans la marge.