• Demain, ce sera peut-être le tour des écoles, des collèges et des lycées ! Lorsqu'il fut nommé ministre de l'Enseignement Supérieur dans l'un des deux gouvernements de Mohamed Ghannouchi, M. Ahmed Brahim s'empressa de prendre des mesures « historiques » dont la suppression du corps de sécurité universitaire. Il n'y avait plus alors de police dans les établissements du Supérieur et paradoxalement c'est à ce moment-là que commença une implacable chasse aux «flics» parmi les étudiants, au sein du corps enseignant et dans l'administration universitaire. Nous garderons toujours en mémoire cette image d'un étudiant de Tunis pourchassant l'un de ses camarades « taupes » d'un étage à l'autre de leur Institut. Lorsque l'étudiant fugitif se réfugia dans le bureau du secrétaire général, son traqueur enragé menaça de tout casser si on ne le lui livrait pas : il bavait comme un chien enragé et tenait à la main les bras métalliques d'une chaise avec quoi il s'apprêtait à corriger jusqu'à ce que mort s'ensuive « l'espion » caché ! Toute une foule de « camarades » le soutint dans son projet meurtrier et n'eût été l'intervention de plusieurs enseignants et des fonctionnaires de l'établissement, le flic présumé aurait été lynché, coupé en morceaux et donné en pâture aux chiens et chats de rue ! Débats intolérants Dans le rang des enseignants, on se mit également à régler leurs comptes aux professeurs et aux administrateurs acquis au régime de Ben Ali. La curée fut certes moins violente que chez les étudiants, mais on dénonça et l'on déchut beaucoup de monde, parfois sur simple suspicion. L'occasion pour certains d'écarter un ancien ou un futur rival. Bref, on fit ce qu'on put pour assainir l'Université de sa flicaille officielle et déguisée, mais rien ne garantit aujourd'hui que nos universitaires soient tous blancs comme neige. Ni que la police ait réellement disparu des couloirs des facultés et des instituts supérieurs. La Révolution donna même le jour à une drôle de police parallèle au sein des professeurs: il s'agit d'anciens RCDistes et de rebelles de la dernière heure qui s'érigèrent en justiciers contre les « traîtres ». Des tribunaux se dressèrent à l'intérieur des salles des professeurs et aussi dans les amphithéâtres à l'occasion des conférences et des colloques sur la Révolution. Ces derniers jours, c'est un nouveau sujet qui enflamme les débats : l'habit religieux (hijab et niqab). Sauf que cette fois, ce sont les étudiants qui font la police vestimentaire de leurs professeurs ! Il faut dire qu'ils ont quelques sympathisants parmi ces derniers. On soupçonne même des enseignants intégristes d'être derrière les campagnes de dénigrement visant les professeures non voilées. Il paraît aussi qu'entre collègues de même établissement, les rapports commencent à s'envenimer à cause du port du voile et des libertés individuelles d'une manière générale. On s'adresse mutuellement des reproches d'intolérance. Mais chacun se prévaut de son extrême ouverture. Certains vont même jusqu'à défendre l'entière liberté vestimentaire : une étudiante intégralement voilée, cela ne les dérangerait point ! Ce qui suppose que si une étudiante entre dans leur classe avec pour tout effet un string microscopique, cela aussi leur serait indifférent ! Où va-t-on avec une telle largeur d'esprit ? Un (ou une) professeur(e) pourrait à son tour se permettre de donner ses leçons torse nu et en maillot échancré ! Même les hippies les plus libérés n'ont pas revendiqué la tenue d'Adam dans les amphis ! Cesser les surenchères On aime les surenchères à l'Université : lorsque quelqu'un propose une heure de grève, il y a toujours un camarade ou un collègue pour en proposer deux ou même 24 ! Quand le port d'un brassard suffit pour protester contre une mesure quelconque, il y a toujours quelqu'un pour suggérer une plus violente réaction. Si un étudiant ou un professeur propose le dialogue, d'autres trouveront cette solution molle, peu efficace et même suspecte ! C'est un peu ce qui se passe en ce moment après les agressions contre des enseignantes non voilées. Les commissaires-priseurs ne seraient pas de trop dans nos universités. En effet, les débats actuels autour de l'habit religieux donnent lieu presque systématiquement à des surenchères au niveau des solutions proposées pour résoudre le problème à l'Université. On ne se donne même pas la peine de se demander pourquoi ce problème ne se pose pas au secondaire. Tout le monde sait pourtant que les rapports professeurs-élèves y sont de plus en plus tendus ces dernières années. L'Université serait donc une cible privilégiée, un bastion prioritaire convoité par des courants islamistes radicaux. Plus tard, ce sera peut-être le tour des lycées, des collèges et des écoles. Contre ce péril intégriste, les universitaires ont intérêt à faire front uni et à cesser leurs rivalités mesquines qui, hélas, ne peuvent que profiter aux extrémistes, adversaires redoutables et sournois qui en sont arrivés aujourd'hui à convaincre le monde qu'ils défendent les libertés à leur manière. C'est au nom d'une liberté individuelle qu'ils veulent imposer le port du niqab. Le hijab c'est chose faite désormais, en société comme dans les établissements scolaires et universitaires. Si l'on cède à leur logique, il ne restera plus rien à défendre. Le ministère de tutelle, de son côté, ne prend pas encore de mesure claire et définitive sur le port du niqab à l'Université. De quel droit, se demande-t-on du coup, interdire l'entrée en classe à une étudiante entièrement voilée ? Les vraies priorités Qui en ce moment décide à l'Université ? Qui a raison ? Qui a tort ? Peut-on aujourd'hui combattre l'intégrisme religieux avec les mêmes armes qu'autrefois ? La mouvance islamiste a le vent en poupe, ces derniers temps, en Tunisie comme chez les voisins libyens et dans le monde arabe. Dans le camp des libéraux, c'est encore la débandade après les élections d'octobre. Il faudra du temps pour qu'ils se réorganisent et affrontent de nouveau l'ogre intégriste. Ce sera d'autant plus lent que dans leurs rangs les divisions et les mésententes deviennent légion. Qui alors défendra l'Université ? Et le cinéma et le théâtre et la littérature et l'art et le sport et et !! Heureusement que pour l'heure, la percée intégriste est encore tâtonnante dans tous ces domaines ! C'est la raison pour laquelle nous estimons qu'il y a péril en la demeure. Avec trois gouvernements provisoires successifs, les syndicats des différents métiers ont pu accumuler les acquis. Pourquoi celui du Supérieur ne marque-t-il pas encore de points sur l'adversaire intégriste ? C'est très complexe, nous en convenons, surtout en cette période de flou qui caractérise la gouvernance du pays. Mais il ne faut surtout pas favoriser le retour de la police à l'Université. Celle-ci doit s'accrocher à son intégrité et à son invulnérabilité. Elle doit donner l'exemple en matière d'autogestion « sécuritaire ». Les différents intervenants dans la vie universitaire (professeurs, étudiants, administration, fonctionnaires et personnel ouvrier) doivent comprendre que les excès de toutes sortes sont à bannir de leur enceinte quasi sacrée ; que tous les problèmes qui y surgissent se règlent sans violence ni exclusion ; que la priorité des priorités à l'Université consiste à éduquer et à former des générations responsables et conscientes des vrais enjeux nationaux, à savoir l'éradication de la pauvreté, la résorption du chômage, la répartition équitable et transparente des richesses du pays, le redressement économique et la démocratie. Ce n'est pas en imposant aux femmes le port du niqab qu'on relèvera tous ces défis. Celui et celle qui pensent le contraire ne veulent pas le bien de ce cher pays. Un de ces quatre matins, ils le paieront très cher !! Badreddine BEN HENDA daassi [email protected] zarzour [email protected] sihem [email protected] amad salem [email protected] daassi [email protected]