Qu'est-ce que l'art contemporain aujourd'hui en Tunisie ? C'est la question que l'on peut se poser en parcourant l'exposition « Ouverture(s) » qui se déroule actuellement au B'chira Art Center à travers les propositions d'une quinzaine d'artistes dont les deux tiers ont réalisé une production spécifiquement dédiée au projet. Pour l'inauguration de son centre à Sebelet Ben Ammar, B'chira Triki Bouazizi, artiste peintre et céramiste, a choisi d'intituler l'exposition « Ouverture(s) » au regard de ce qu'elle peut offrir aux artistes. L'objectif de la fondatrice, est d'offrir un lieu où se développent les pratiques artistiques contemporaines grâce à une structure professionnelle permettant aux artistes de produire, d'exposer et de réfléchir autour de leur travail artistique. Fakhri El Guezal présente son travail photographique dans une série intitulée SIDI(s). Il s'agit d'amis colocataires qu'il a photographiés six années durant dans les différentes maisons qu'ils ont partagées. Ismaïl Bahri manie la vidéo comme d'autres utilisent leur plus belle plume pour écrire un poème. Il s'intéresse au concept de fragilité à travers une force graphique indéniable. Si on peut parler d'artiste multidisciplinaire, Moufida Fedhila en fait bien partie. De performances aux installations, en passant par la vidéo ou la photo, Moufida choisit le médium qui exprimera le mieux son sentiment du moment. Imprégnée de toute l'ambiance qui l'entoure, comme une éponge, elle se gorge pour en ressortir son jus le plus précieux. Comme Moufida, Ismaël manie différentes techniques, poète de l'image et du verbe, il se veut tour à tour vidéaste, activiste, poète, chroniqueur ou organisateur d'organismes culturels. Houda Ghorbal que l'on connaît comme artiste céramiste expose ici une sculpture en résine « Corps fontaine » installée dans le bassin du Centre. C'est une sculpture pleine de sensibilité qui incite à l'échange, à la tolérance et à la démocratie qui pourrait introduire le dicton : « Faites l'amour, pas la guerre ! » Des portraits de Ben Ali, encore ! Mais cette fois, Ben Ali est fait de pain, un pain qui se désagrège au fil des scanners de Héla Lamine pour finir probablement par pourrir. Des mains, rien que des mains, celles dont le doigt a été coloré de bleu et que bien des électeurs ont été fiers de montrer. Les voici à travers 5 photos de Wassim Ghozlani, des fines, des grosses, des sympas, des antipathiques, des prolétaires, des bourgeoises…. Ici, on peut imaginer toute la société et nous dire combien des mains peuvent être expressives. Les sculptures de Noutayel Belkadhi ne laissent pas indifférent. Ingénieur de formation, il associe sa technique à sa passion pour l'art. Résultat : des petites bébêtes articulées et mobiles du plus bel effet. Puis plus loin une cascade de chaînes métalliques qui tournent sans cesse sur elles-mêmes « Et l'on croit voir, subitement, Crouler des murs de diamant, Dans un abîme de lumière. » (Rollinat 1846-1903). Haythem Zakaria, comme figure incontournable de la scène de l'Art Digital en Tunisie privilégie ici la Performance Audio-Vidéo. Fortement inspiré par la pensée Soufie, il s'oriente vers l'expérimentation de dispositifs génératifs en temps réels. Malek Gnaoui est un céramiste de la génération montante. Formé à l'école d'Art et de Décoration, il se perfectionne au Centre National de céramique Sidi Kacem Jelizi. « Ring & Ring » en terre blanche. Un rouge sanglant pour l'œuvre que présente Insaf Saada. Une technique mixte qui combine coupures de presse, fleurs blanches et sabre maculé de peinture rouge, clin d'œil violent à la révolution tunisienne mais aussi plus largement aux révolutions qui perdurent malheureusement encore dans le monde arable. Wadi Mhiri, déjà primé de nombreuses fois pour ses photos, expose ici des flacons dorés qui se veulent en lévitation et qui nous invitent à briser le mur de l'indifférence pour être plus mobile et méditer sur la fragilité et peut-être aussi la non pérennité des positions sociales diverses. Tarak Khalladi nous propose trois photos. Du noir et blanc pour « Lotus », le cou et le haut du dos d'une femme que d'autres qualifieraient d'indécent et qui pourtant ne montre rien mais manie l'art de la suggestion avec finesse. Mohamed Hachicha, Directeur du Centre National de la Céramique de Sidi Kacem Jelizi, pour lequel la céramique qui n'a plus de secrets, va jusqu'à utiliser la décalcomanie et la mêler au verre pour en formuler une œuvre qui lui est propre. La Tunisie contemporaine est donc abordée à travers des thématiques différentes qui rendent compte des profonds changements de notre société : la politique, l'urbanisme et l'environnement, la religion, le foyer, l'identité, l'artisanat. La vidéo jusqu'ici quasi inexistante dans les expositions des galeries « classiques » y trouve la part belle. Tout au long du parcours, les regards croisés des artistes sur la société contemporaine tunisienne sont confrontés dans un dialogue stimulant. L'ambition de B'chira, par le biais de ce magnifique Centre d'Art, est non seulement de faire découvrir la création contemporaine, mais aussi de favoriser le dialogue, de générer des échanges et de tisser des liens durables entre notre pays et d'autres cultures. Une exposition à ne rater sous aucun prétexte !