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Le temps des promesses
Martyrs de la Révolution
Publié dans Le Temps le 29 - 11 - 2011

Enquête réalisée par Melek LAKDAR - On n'apporta point l'encens à l'autel où résident les sacrifiés de la liberté.
Au moment où la majorité des partis politiques se trouve happée par le désir de trôner et d'occuper un bon nombre de sièges à la Constituante, les familles des martyrs, totalement délaissées à leur sort, n'arrivent pas à faire leur deuil. Comble de l'inhumanité et d'indifférence ou sacrilège envers des êtres emportés pour une cause qui semblait noble ?
Course vers le pouvoir, au diable les martyrs !
Pendant que le paysage politique tunisien actuel est en ébullition et que la course vers le pouvoir semble être le seul et unique sujet de prédilection de nos chefs de partis politiques, les familles de nos martyrs qui se morfondent dans l'oubli sont abandonnées à leur triste sort. Ces jeunes, qui ont balisé le chemin à ceux qui aujourd'hui semblent détenir le pouvoir pour décider du notre destinée, ont été doublement ensevelis.
Dans les coulisses, ces anciens exilés pourchassés par la dictature, s'entre-tuent, et se guerroient entre eux. Ils font fi des vraies causes qui tenaillent les entrailles de la société tunisienne et sont plutôt préoccupés par le nombre de sièges, la présidence et que sais-je encore !
Médusées, choquées et totalement déboussolées, les familles des sacrifiés de la Révolution, font face, en solitude, à leur désarroi. Aucun soutien psychique ni assistance juridique sérieuse. Ballottés d'un tribunal à un autre, les dossiers des martyrs sont trimballés et trainent encore. On se demande où est passée la Société civile ? Qu'attend le Tribunal militaire pour lancer la première audience, pour que les parents des martyrs sentent que les choses évoluent et que justice sera enfin rendue ? Dix mois plus tard, rien n'est encore clair, hormis quelques dons, beaucoup de promesses non tenues jusqu'à présent et surtout une précarité hallucinante et un silence gouvernemental outrancier.

Mme Najet Namoussi (Hammam-Lif, mère du martyr Mohamed Nasser Talbi, tué par balle le 13 janvier)
«Depuis, la propriétaire de la maison que je loue menace de nous mettre à la rue. J'ai perdu le fils et le soutien.»
«Trois ans que je ne l'ai pas vu. Il était rentré de l'Italie depuis une semaine pour quelques jours de vacances. Un retour définitif et fatal. Il devait avoir 23 ans au mois de juin dernier. Une balle a traversé la vitre de la fenêtre et lui a transpercé le cou par derrière. Mohammed était allongé au salon regardant la télé qui diffusait les manifestations. Juste en face de notre appartement, situé au second étage, il y avait la circonscription de Hamam Lif…
Parents divorcés, il était l'aîné. Il était mon unique soutien et espoir. Seule source de revenu pour son frère et moi, il nous payait le loyer et assurait mes soins. Depuis, la propriétaire de la maison menace de nous mettre à la rue. J'ai perdu le fils et le pilier. Maintenant, je vis dans une totale précarité. A tout moment je risque de me trouver sans foyer. Aucun effort de la part de notre municipalité. J'ai demandé à ce que l'on nous répare la fenêtre du salon bousillée par la balle. Toutes les intempéries laissent leurs traces dans la chambre, qu'il pleuve ou qu'il vente. Rien ! On nous fait la sourde oreille malgré toutes les promesses.
J'ai eu d'abord affaire à un avocat qui m'a demandé 300d pour prendre en charge le dossier de mon fils. Mais, je viens d'être contactée par une avocate qui se porte volontaire à défendre la cause de Mohamed gratuitement ».
Rappelons qu'au moment où l'on écrit ces lignes, Mme Najet Namoussi n'a pas de quoi payer son loyer et qu'à tout moment, elle peut être, elle et son fils dans la rue. Aucune assistance psychologique ni morale…

Mme Saida Manaï (Lafayette, mère de Helmi Manaï tué par balle le 13 janvier lors des émeutes)
«Le président a refusé de me recevoir dans son bureau. Il a préféré me parler dans l'escalier…»
«Je garde encore la vidéo qui filmait l'assassinat de mon fils Helmi. Le cortège de son enterrement a passé devant le ministère de l'Intérieur le 14 janvier et a bouleversé plus d'un !
Il n'avait que 23 ans et vibrait de vie. On l'a tué parce qu'il manifestait contre le dictateur. Aujourd'hui, où tout cela nous a menés ? Rien ! Un second fils, qui, sous le choc, a eu une dépression et qui se fait enseigner à l'hôpital psychiatrique de la Manouba, une propriétaire de maison qui a porté plainte contre moi pour le loyer, un dossier qui traîne encore… Je me demande où sont passés la Société civile, la commission d'investigation, le gouvernement ? Quand je suis allée à la Ligue des droits de l'homme, le président a refusé de me recevoir dans son bureau. Il a préféré me parler dans l'escalier devant la porte des toilettes, prétextant une réunion en cours !!! Drôle de respect et de considération envers une mère qui a perdu son fils dans des circonstances pareilles ! Depuis, plus rien. ..Le dossier traîne encore et on ne sait plus à quel saint se vouer… »

Chéfia Ali (avocate du martyr Slim Zantouti)
«J'ai reçu le dossier de Slim Zantouti de la part de la commission d'investigation. Je me suis proposé de m'en occuper bénévolement. C'est la moindre des choses à faire avec ces gens qui ont perdu ce qu'ils ont de plus cher et dans des conditions tragiques. Ces enfants ont ramené ce vent de liberté. On leur doit bien ça.
En ce qui concerne le dossier de mon client, il est au tribunal militaire de Tunis après avoir été au tribunal de l'Ariana. Malheureusement, l'audience n'a toujours pas été fixée. Si au tribunal permanent de la ville du Kef, le procès a commencé portant sur les meurtres à Kasserine et Thala, celui des villes de Tunis, Nabeul et Bizerte n'a pas encore été fixé.
Il faudrait que les familles soient encadrées et mises au courant. La procédure est longue et compliquée et c'est tout à fait normal. Les familles des martyrs devront s'armer de patience même si c'est trop leur demander. »

Hammouda Zantouti (parent de Slim Zantouti, tué par balle le 14 janvier)
«On a instrumentalisé notre cause à des fins politiques !»
«C'est mon fils unique. Il avait 28 ans. On lui a tiré dessus le 14 janvier quand il était allé porter secours à ses amis coincés devant le rond point de la Cité El Ghazella et pris de court par l'annonce soudaine du couvre-feu de 17h. Un quart d'heure plus tard, il décéda. Une balle en plein cœur lui a ôté la vie en lui transperçant la poitrine. Voilà bientôt un an que l'on attend. J'ai tout de suite porté plainte auprès du poste de police. Le dossier a été trimballé entre le procureur de la république de l'Ariana, à la brigade criminelle au Gorjéni, pour échoir enfin au tribunal militaire de Tunis. J'ai été contacté au mois de mars par la Commission d'investigation qui a pris mon témoignage et m'a proposé une avocate qui se chargera gratuitement du dossier de mon fils. Comme la procédure juridique est assez compliquée, la période transitionnelle aidant, on attend toujours et encore que le procès commence. Entre temps, le Gouvernorat nous a avancé 20 mille dinars comme première partie.
Par contre, ce qui est aberrant et humiliant c'était le comportement de certains chefs de partis politiques qui se la jouant anciennes victimes de Ben Ali, ont joué de notre cause. Ils ont instrumentalisé notre deuil pour faire leurs propres propagandes électorales lors des meetings qu'ils organisaient. On nous a promis des châteaux en Espagne. Vendeurs de paroles, ils ont pris la poudre d'escampette une fois la campagne électorale terminée. La preuve en est, on n'a plus jamais entendu parler d'eux depuis. L'humiliation atteint son comble à travers ces déclarations télévisées, ces décrets de loi qui ne sont qu'une pure mascarade humaine. Néanmoins, l'ISIE a tenu à nous rendre hommage à la Coupole la semaine dernière mais ça a mal tourné. Aigris, déçus et terriblement affligés, les familles de martyrs ont manifesté leur colère et frustration en semant le désordre. Il ne faut pas leur en vouloir. On aurait dû leur expliquer depuis bien longtemps que les choses traînent non pas par négligence mais plutôt par soucis de transparence et surtout par ce que la loi est très compliquée. Dans toute cette folie, j'ai pu récupérer la médaille où y était gravée le nom de mon fils, une médaille offerte par l'ISIE à toutes les familles de martyrs, une médaille que je garde jalousement, le temps que justice soit faite !
Maintenant, livrés à notre sort, on était depuis le mois de mars que le tribunal militaire fixe la date de la première audience ! Il est temps tout de même que ça ait lieu !»

Radhia Nasraoui (avocate et militante pour les droits de l'Homme)
«Les parents des martyrs ne font pas de la marche »
Nous nous sommes adressé à Maître Radhia Nasraoui, fervente militante pour les droits de l'Homme et activiste connue pour sa lutte effrénée contre toute forme de tyrannie et pour avoir été durant deux décennies persécutée par la police politique du président déchu. Nous nous sommes entretenues avec elle quant à la situation assez critique de la cause des martyrs.
Le Temps : Comment expliquez-vous l'absence de la Société civile et du silence gouvernemental pour ce qui est du traitement des familles des martyrs et de leurs dossiers? Sachant que certains d'entre eux accusent les partis politiques d'avoir abusé de leur cause en en faisant un produit de marketing, un coup de pub la veille des élections du 23 octobre…
Radhia Nasraoui : Je trouve que c'est anormal que l'on ignore les familles des martyrs. On devrait au contraire les traiter plus humainement et de manière plus respectable. Juridiquement parlant, les choses stagnent. Les parents qui ont perdu leurs enfants sont très déçus à cause des procès qui traînent. Il faut activer la procédure pour que les familles puissent constater que ceux qui ont tué injustement leurs enfants ne vont pas bénéficier d'une impunité, comme du temps de Ben Ali ! Car, il n'y a pas pire pour des parents que de voir que les coupables soient toujours en liberté alors que l'on a enlevé sauvagement la vie à son propre enfant ! La justice doit être rendue et le plus tôt serait le mieux.
Que pensez-vous de cette kyrielle de décrets de loi qui sont sortis et dans lesquels il s'agit de la gratuité des soins et de transport pour les familles des martyrs ? Est-ce équitable ?
Les parents de martyrs qui sont venus me voir considèrent ce décret comme une humiliation. Ces gens ne font pas la manche ! Ils demandent à ce que justice soit faite et que les criminels soient jugés. Ces parents revendiquent un minimum de respect et d'être traités humainement. J'ai vu des citoyens très déçus et terriblement déçus et affligés. Inconsolables, ils ne conçoivent pas le silence voulu par les autorités à leur égard. La moindre des choses, aurait été de les inviter pour les honorer officiellement. Pourquoi pas les convier à la première réunion de l'Assemblée Constituante au lieu de cette ribambelle d'anciens vassaux de Ben Ali…
Dix mois plus tard, on a l'impression que les martyrs qui ont été derrière le retour de l'exil des détendeurs actuel du pouvoir, ont été totalement ignorés, une fois que les jeux sont faits. Actuellement, c'est plutôt la course vers le pouvoir qui prime. N'est-ce pas perfide et déloyal ?
Effectivement, les véritables causes qui ont animé le peuple tunisien ont été totalement ignorées après les élections. On ne doit pas être ingrats avec les familles de martyrs car c'est justement grâce à ces jeunes vaillants et intrépides que les hommes politiques tunisiens les plus influents et puissants ont pu rentrer de leur exil ! Ils devraient leur être reconnaissants et non ingrats, du moins envers les familles qui ont perdu l'un des leurs. C'est un minimum !
Ces martyrs nous ont donné cet espoir d'émancipation, ont mis fin à la dictature d'un tyran. C'est grâce à eux que l'on a pu ouvrir une nouvelle page dans notre Histoire, des élections libres, la préparation de la Constituante et le processus démocratique. Sans eux, on serait encore sous le joug du despotisme !
Une cause qui se métamorphose en propagande électorale et instrumentalisée à des fins politiques, en somme. Comment y remédier ? Rappelant, que le lendemain de l'inauguration de l'Assemblée constituante, familles de martyrs et blessés de la Révolution sont allés, une fois encore, manifester devant le Tribunal militaire…
Il faut une solution radicale à ses citoyens inconsolables. Le gouvernement doit assumer sa responsabilité. La société civile ne peut qu'aider, en parler mais c'est à l'Etat d'appliquer la justice car il est le seul corps responsable de ces pertes. Il faut que ce dernier active la procédure et entame les procès dans les plus brefs délais! Une fois que c'est fait, les gens se sentiront mieux et croiraient que l'on ne laisse pas les choses traîner. Le pire c'est que certaines familles connaissent parfaitement le nom, le prénom et l'adresse du sniper qui a tué leurs fils. Ils ont divulgué ça aux forces de l'ordre qui font la sourde oreille. Voir l'assassin de son propre enfant se balader tranquillement sans qu'il y ait même d'arrestation est le comble de l'injustice ! Estimons-nous heureux que l'on ne soit pas passé aux vendettas sans merci !
Où sont donc les dossiers des martyrs ?? Pourquoi il n'y aurait-il pas un encadrement juridique de la part d'un groupe d'avocats qui défendraient ensemble et gratuitement la cause des martyrs ? Un groupe qui travaillerait en équipe et ferait le suivi du procès jusqu'au bout ?
Les procès sont encore à la cour de Cassation. Il faut activer les choses et que le procès ait lieu. Les gens seraient mieux rassurés ! Quant aux avocats, vous savez, on a nos traditions et on travaille toujours dans la solidarité. Là, tous les avocats qui se sont chargé des dossiers des martyrs le font bénévolement. Parce que nous sommes profondément reconnaissants envers ces héros de la Nation. C'est grâce à eux que nous sommes maintenant libres. C'est donc pour nous un devoir de défendre leur mémoire et de les honorer. Le jour de l'audience, une kyrielle d'avocats sera là. Pourvu que ça commence déjà ! On n'attend que ça ! »
Hier, la première audience portant sur les meurtres des jeunes martyrs tunisiens a bien commencé. Pour l'instant, elle concerne juste les villes de Kasserine et Thala. Le procès dont les accusés sont au nombre de 22, a vu la parution de l'ex ministre de l'Intérieur Rafiq Haj Kacem.
Un soupçon d'espoir est désormais permis…


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