• Interview de Salah Zeghidi, l'un des fondateurs du Pôle Démocratique Moderniste et militant des droits de l'Homme Le Temps : Douze mois se sont écoulés depuis ce fameux jour du 14 Janvier 2011 qui, pour certains, a changé le destin de la Tunisie..Quel est le bilan, selon vous ? Salah Zeghidi : Ce qui s'est passé dans cette période de 39 jours qui a commencé le 17 Décembre 2010 à Sidi Bouzid , constitue un soulèvement populaire d'une très grande importance. Beaucoup de gens se sont indignés de m'entendre dire , en Janvier et Février 2011 déjà, sur certaines chaînes de télévision ou de radio ,qu'il n'y avait pas lieu de parler de «Révolution»… La chute de la dictature n'est pas la Révolution , outre le fait que le passage d'un système de dictature à un système démocratique est un processus long , tant il est évident qu'il n' y a pas UN dictateur dont il s'agit de se débarrasser , mais de tout un ensemble de structures , de mentalités , de pratiques et même de valeurs qui ont imprégné des années durant non seulement les gouvernants , mais aussi les gouvernés et l'ensemble du tissu social , et qu'il s'agit de transformer profondément…Ce passage s'appelle , non pas une Révolution, mais une transition démocratique…Et c'est cette transition qui est aujourd'hui, non seulement partiellement bloquée , mais proprement en danger …Autant le 14 Janvier avait soulevé de grands espoirs (souvent démesurés, il faut dire !) pour l'avenir de la démocratie et du pays en général , autant l'évolution des évènements et surtout les résultats des élections du 23 octobre ont soulevé des craintes parmi des franges de plus en plus larges de la population…Le processus «révolutionnaire» s'est en fait achevé aujourd'hui par ce qu'il faudrait alors appeler «une contre-révolution» ! Après avoir conquis une part importante de l'électorat , les nahdhaouis , avec les complicités qu'ils ont pu gagner en échange de quelques miettes ,se sont emparés du pouvoir… Je suis sidéré de constater à quel point on n'a pas pris conscience de ce qui vient d'arriver : pour la première fois dans le monde arabe, l'Islam politique prend le pouvoir suite a un processus électoral !!.. Ajoutons que cette prise de pouvoir a bénéficié de la participation complice des non-islamistes locaux et du soutien manifeste de l'Administration américaine …Dès lors, rien ne sera plus comme avant, parce qu'il s'agit d'un tournant historique pour notre pays. -L'opposition qui se réclame de la démocratie et du progrès (tel le PDM , dont vous êtes un des fondateurs et un des dirigeants ) , et qui , de ce fait , a rejeté les propositions de participation au gouvernement de Jebali , est-elle , selon vous , à même de jouer son rôle et de se présenter comme une alternative au pouvoir nahdhaoui ? ….Non, malheureusement, me semble-t-il …Il faut dire qu'il y a un phénomène un peu bizarre. C'est un peu comme si tout le monde était encore sous le choc , ou le double choc : celui d'abord de l'échec , relatif mais ,il faut le dire , assez net , aux élections , et celui du «retournement de veste» de deux partis se réclamant jusqu'ici de la démocratie et du progrès , je parle du Takattol et du CPR , ou de ce qui en reste …Aujourd'hui , au sein des partis et mouvements concernés , c'est un peu la débandade…Il y a bien des débats , mais parcellaires , fragmentés et parfois surréalistes !..Chaque parti est tiraillé entre d'une part la volonté de tout faire pour renforcer ses propres rangs en se renouvelant ou en changeant de nom si nécessaire , et le désir de contribuer à rapprocher , à rassembler les forces et les énergies de toute cette mouvance…A partir de là, ça semble aller de tous les côtés...Certains prétendent aujourd'hui unir en un seul parti tous ces partis de l'opposition démocratique et progressiste! !! Oui , Néjib Chebbi , Ahmed Brahim , Mohamed Kilani , Abdeljelil Bedoui , Yassine Brahim et d'autres cohabiteraient et dirigeraient, comme par enchantement, un même parti, centriste pour les uns , de centre gauche, rectifient d'autres !...L'auberge espagnole, quoi !...L'équation est pourtant bien claire ….Ces partis se sont situés dans l'opposition à Nahdha et à son gouvernement .Pourquoi ? Parce qu'ils refusent le projet de société porté par Nahdha , qu'ils ne sont pas loin , à des degrés divers , de considérer comme rétrograde et certainement dangereux pour les acquis réalisés par la Tunisie ..Il s'agit donc pour eux , à ,partir de ce qui les unit et qu'on appelle généralement une plateforme commune, de faire face à ces projets dangereux , et de préparer la prochaine échéance électorale pour se présenter unis face aux candidats gouvernementaux….Cette démarche est celle de ce qu'on nomme partout dans le monde un front , ou ,pour Emna Menif qui n'aime pas ce terme qu'elle trouve quelque peu «guerrier», une alliance ou un rassemblement. Un Appel , adopté et signé par près d'un millier de citoyen(ne)s , vient d'être lancé .Les signataires y affirment que la désunion des progressistes sert les intérêts des forces réactionnaires et anti-démocratiques , comme l'ont malheureusement confirmé les élections du 23 Octobre 2011…Ils appellent les dirigeants des partis et mouvements concernés ( Tajdid , PDP ,PSG, PTT, Parti Républicain, Afak et d'autres) à cesser de perdre le temps dans des discussions de salon sur le soi-disant Grand Parti Unifié et à prendre sans tarder l'initiative de constituer le « front de l'opposition démocratique et progressiste» …Je veux espérer que cet Appel , celui de la raison , du réalisme et de la sagesse , sera entendu Propos recueillis par Néjib SASSI